Brandon Shaw (John Dall) et Philip Morgan (Farley Granger) sont étudiants
à l’Université de New York. Convaincus de leur supériorité intellectuelle, ils
décident de tuer un de leurs camarades qu’ils jugent trop faible. David Kentley
(Dick Hogan) est alors étranglé à l’aide d’une corde dans l’appartement
new-yorkais de Shaw. Pour donner du piquant à leur acte, ils enferment le
cadavre de David dans une malle et invitent la famille du défunt ainsi que leur
professeur de philosophie (James Stewart) à venir dîner sur le lieu du crime...
La corde est, dans la carrière d’Alfred
Hitchcock comme dans l’histoire du cinéma, une date importante. Nous sommes en
1949, Hitch a déjà fait ses preuves aux Etats Unis et remporté quelques succès,
il est dorénavant en mesure de se produire et de choisir en toute liberté tant
ses sujets que la manière avec laquelle les aborder formellement. Se fixant à
lui même un challenge technique jamais réalisé avant lui – et que reprendra le cinéaste
Alejandro Inaritu bien plus tard avec Birdman -, il choisira d’adapter une pièce
de théâtre en respectant scrupuleusement unité de temps et de lieu, et donc de
construire entièrement son film en un et un seul plan séquence. Une véritable
prouesse pas tout-à-fait juste sur le plan pratique, les bobines à l’époque ne
permettant de filmer en continuité qu’une dizaine de minutes. Hitch contournera
la difficulté en effectuant des fondus enchainés sur le dos de ses acteurs afin
de donner l’illusion d’une continuité absolue.
Interviewé des années plus tard par François
Truffaut, Hitchcock se montrera on ne peut plus critique sur la pertinence de
son propre dispositif, qu’il assimilera à un truc un peu vain n’ajoutant rien à
la narration en soi. Pour autant, la prouesse technique est stupéfiante, tant dans
le fait que les mouvements de caméra – story bordés avec une précision clinique
– remplaçaient de facto le montage que par le dispositif incroyablement
rigoureux entrepris par le réalisateur et son équipe pour parvenir à pareil résultat.
La corde, en outre, est le
premier Hitchcock en technicolor, et le premier avec James Stewart, acteur génial
plutôt cantonné jusque-là à des rôles de candide chez Franck Capra, et que le
maitre du suspens présentera sous un jour beaucoup plus subtil pour ne pas dire
trouble, autant dans cette Corde que
dans Vertigo ou Fenêtre sur cour. Ici Stewart, incarnant à contre emploi un
professeur d’un cynisme absolu teinté de misogynie et de suffisance, se renouvèle
entièrement.
Sur le plan dramaturgique, La corde s’apparente à une forme de
Cluedo aussi ironique que sadique entre le réalisateur, ses personnages et ses
spectateurs, ces derniers étant mis dans la complicité dès le début de l’intrigue
d’un meurtre commis, de l’identité et des motivations des criminels comme de la
cachette tout-à-fait cocasse du corps, cachette qu’évidemment les invités du
diner ignorent. Le jeu auquel le réalisateur nous invite consistera bien sur à
assister à la manière dont le personnage interprété par James Stewart
parviendra à confondre les coupables. Lesquels, suggère Hitchcock avec subtilité
par des plans ambigus et des échanges de regard qui en disent plus long que les
mots, sont homosexuels – un sujet à l’époque tabou à Hollywood et donc soumis à
une censure malicieusement contournée par ce diable d’Hitchcock.
Renouvelant sa grammaire cinématographique
habituelle en inventant un dispositif de mise en scène exceptionnellement
complexe aux antipodes du théâtre filmé, Hitchcock parvient à faire de la caméra
son personnage principal et du film un exercice de style aussi brillant que
gratuit. Au delà d’une démonstration de son savoir-faire virtuose, qu’il
imposera de façon plus probante dans ses films suivants, il montre ici une volonté
d’explorer formellement de nouvelles directions et de s’inscrire dans
l’histoire du cinéma comme un pionnier.
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