jeudi 30 janvier 2020

Chefs d’œuvre du 7ème art - Green book



En 1962, alors que règne la ségrégation, Tony Lip, un videur italo-américain du Bronx, est engagé pour conduire et protéger le Dr Don Shirley, un pianiste noir de renommée mondiale, lors d’une tournée de concerts. Durant leur périple de Manhattan jusqu’au sud profond, ils s’appuient sur le Green Book pour dénicher les établissements accueillant les personnes de couleur, où l’on ne refusera pas de servir Shirley et où il ne sera ni humilié ni maltraité. Dans un pays où le mouvement des droits civiques commence à se faire entendre, les deux hommes vont être confrontés au pire de l’âme humaine, dont ils se guérissent grâce à leur générosité et leur humour. Ensemble, ils vont devoir dépasser leurs préjugés, oublier ce qu’ils considéraient comme des différences insurmontables, pour découvrir leur humanité commune.

Pour son premier film dramatique, Peter Farelly, derrière la caméra sans son frère, réunit un duo de marginaux peu disposés a priori à se connaître et encore moins à se comprendre, et dont l’aventure commune va permettre à chacun de se détacher progressivement de ses codes et de ses préjugés. Avant de se lancer dans ce road movie en direction des états ségrégationnistes du Sud des Etats Unis, l’un comme l’autre vivent en effet chacun en vase clos, le chauffeur dans une petite communauté italo-américaine quelque peu raciste fermée sur elle-même, et le pianiste virtuose seul dans un immense appartement des beaux quartiers. Comme il l’avouera plus tard, Don, musicien noir éduqué par l’élite blanche, combine en lui un conflit identitaire qui l’éloigne d’à peu près tout le monde, pas assez blanc, pas assez noir, pas assez homme, il est, dans une société où cohabitent sans jamais se fréquenter des communautés raciales et de classes sociales distinctes, toujours  considéré comme une exception et donc un marginal, y compris sur scène où on le regarde comme un artiste de génie – c’est-à-dire encore une fois comme un être à part.

Le lien de subordination entre les deux personnages principaux fonctionne à rebours d’une société où l’afro-américain est par essence l’employé de l’homme blanc. Cette inversion à l’encontre des codes habituels s’accompagne d’une différence cocasse entre le savoir vivre et le langage des deux protagonistes. Ce décalage donne lieu à des échanges parfois irrésistibles de drôlerie, la langue châtiée et l’apparence rigide du pianiste de jazz se heurtant au bagout familier, à la silhouette bedonnante et aux manières relâchées de son chauffeur. La cohabitation va progressivement conduire chacun à apprendre à décloisonner ses propres codes, à mieux accepter les spécificités culturelles de l’autre et à entrer en empathie avec sa profonde solitude. Jusqu’à parvenir à cultiver une complicité qui donnera peu à peu naissance à une authentique amitié.

Authentique Feel good movie adapté d’une histoire vraie, ce Green Book couvert d’une pluie d’Oscars et de Golden Globes s’inscrit dans une tradition du cinéma américain trouvant son origine dans les comédies humanistes de Franck Capra. Triomphe des bons sentiments, culte de l’amitié masculine, beaux moments de partage inattendus, conclusion on ne peut plus optimiste …, on pourrait aisément reprocher au film de n’être au fond qu’une succession sans nuances de bons sentiments propres à se mettre le spectateur dans la poche à moindre frais. Mais c’est sans compter l’excellente facture d’un film dont l’écriture sonne toujours juste, et dont les qualités reposent avant tout sur la réussite du couple formé par deux merveilleux acteurs parfaitement combinés, dont l’humanité et la sincérité du jeu font exploser les conventions d’un scénario en effet sans surprise. 


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