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Un document de 56 pages. Remis par
le tandem composé de Dominique Perrault, architecte ayant conçu la Bibliothèque
Nationale de France, et de Philippe Belaval, Président du Centre des Monuments
Nationaux. Répondant à la lettre de mission datant de décembre 2015 du Président
de l’époque, François Hollande, en accord avec la Maire de Paris Anne Hidalgo.
Leur demandant, dans la lignée des grands travaux présidentiels, une vision de
l’Ile de la Cité à l’horizon des vingt-cinq prochaines années.
Car l’Ile de la Cité, au cœur de la
capitale, se trouvait alors à un carrefour tout a fait particulier, du fait d’un
certain nombre de décisions déjà prises et s’emboitant les unes dans les autres
sur la durée. Déménagement du Palais de Justice aux Batignolles, à l’exception
de la Cour d Appel et de la Cour pénale. Restructuration de l’Hôtel Dieu. Enfin
déménagement de la PJ du 36 Quai des Orfèvres. Sans compter la future piétonisation
des berges de la rive droite, non sans impact fort sur l’ile monument. Une à une,
les grandes administrations prennent la tangente, faisant place nette pour d’autres
opportunités.
Souvenons-nous. Au XIXème siècle, le
Baron Haussmann avait métamorphosé l’antique berceau de la ville, autrefois
lieu de vie, en un centre administratif. On avait alors rasé toute la partie comprise
entre le palais de Justice et la cathédrale Notre-Dame. Des centaines de maisons et de
nombreuses petites églises avaient alors disparu. Seuls échappèrent à la
démolition deux pans de la place Dauphine ainsi que le
cloître Notre-Dame. 25 000 personnes furent expulsées. On édifia sur
l’emplacement laissé libre la caserne
de la Cité, devenue préfecture de police, ainsi que le tribunal de commerce. Le parvis de Notre-Dame fut agrandi de six fois
la surface qu’il occupait au Moyen Âge, par la démolition de l’Hôtel-Dieu,
qui fut reconstruit entre 1868 et 1875 plus au nord, et la suppression des
maisons canoniales et de la vingtaine de sanctuaires qui entouraient la
cathédrale selon la tradition médiévale.
Que
représente pour nos pouvoirs publics sensibles à la modernité marchande et aux
appels du pied du privé cette Ile ? En l’état un vrai gâchis ! 14 millions de visiteurs qui
du fait de l’absence de quoi
que ce soit d’attractif
autour ne font que passer. Au contraire de tous les autres grands monuments
parisiens – le Louvre, sa pyramide et ses commerces, la Tour Eiffel, le Sacré Cœur … - ainsi que de tout ce que
proposent les grandes capitales européennes aux alentours immédiats de leurs emblèmes
patrimoniaux, l’Ile de la
Cité se contentait jusqu’alors
de la Cathédrale et de la Conciergerie.
Que
contenait le fameux rapport laissé depuis 2016 de coté ? Un ensemble de 35 propositions
spectaculaires offrant à
l’ile de la Cité tout le kit pour touristes au pouvoir
d’achat intéressant, à la
hauteur des enjeux que représentent 14 millions de visiteurs venus du monde entier.
Enjeux s'entend pour des intérêts
privés ! Le parvis de Notre Dame recouvert d'une immense dalle de
verre au-dessus de la crypte archéologique. Aux pieds de la cathédrale, un
débarcadère et des plates-formes flottantes accueillant piscine, cafés,
restaurants, salles de concert. Le long de la Seine, une longue promenade
végétalisée, débarrassée des voitures, reliant les pointes aval et amont de
l'île. Deux nouvelles passerelles qui franchissent le fleuve. Et puis, des
verrières, des passages couverts, des galeries souterraines, des atriums en
sous-sol.
Excluant toute nouvelle
construction, les signataires du projet proposèrent néanmoins 100 000 mètres
carrés supplémentaires par la construction d’une dizaine de couvertures de
verre et d’acier au dessus des cours intérieures du Palais de Justice, du tribunal
de commerce ou de l’Hôtel Dieu. La grande cour au sein de la Préfecture de
Police, quant à elle, serait recouverte d’une immense rotonde de verre. Tout
ceci libèrerait de la place pour des logements qu’on imagine hors de prix. Et
bien entendu pour des commerces.
Quant au parvis de Notre Dame, nos
architectes proposaient de le recouvrir d’une immense dalle de verre, et de récupérer
les deux étages supérieurs des parkings pour en faire d’autres usages qu’il n’est
pas difficile d’imaginer.
Le projet nous dit-on avait à l’époque
surpris et intéressé mais était reste lettre morte. Il faut dire que les
oppositions étaient on ne peut plus nombreuses, et le moment choisi dénué de
tout choc émotionnel.
Et puis, l’incendie. Accidentel,
nous serine-t-on sur nos antennes tandis que les flammes brulent encore. Thèse
des médias aussitôt reprise par un Macron connaissant par cœur sa feuille de
route, puis validée par un procureur de la République dépendant du pouvoir mandaté
pour l’enquête, alors même que celle-ci commence à peine. Ce n’est pas qu’on l’abandonne
cette piste, mais on ne la privilégie pas, dit-on sans rire. Quiconque émet un
doute est aussitôt relégué dans le champ des complotistes d’extrême droite et
des illuminés, seuls deux hommes politiques osent émettre pour l’un des doutes
et pour l’autre la conviction qu’il s’agit d un acte criminel. Tous nos autres représentants,
absolument tous, font le dos rond, comme toujours !
Le pouvoir, lui, appuie sur la pédale
d’accélérateur, réunit un conseil des ministres exceptionnel, parle aussitôt de
geste architectural et d’appel d’offre international. Alors même qu’intra muros
la France détient non seulement les plans de la flèche détruite mais les compétences
pointues pour tout refaire à l’identique.
Sauf que voilà. Le calendrier
politique s’accorde mal avec l’Histoire. Macron et ses amis veulent faire vite,
les JO de 2024 sont à l’horizon. Et avec cela, pourvu que l’on passe outre l’avis
d’à peu près tout le monde de se donner les vingt ans nécessaires pour refaire à
l’identique, la possibilité de s’approprier l’esprit de Notre Dame. Et à partir
de la restauration toute l’Ile de la Cité conformément à certaines des
propositions du rapport initial. Lequel offre le cap de travail.
Ecoutons Dominique Perrault, lequel,
dans une interview donnée tout récemment à Vanity Fair, semble entrouvrir la
porte.
Ces idées sont toujours d’actualité et verront peut-être le
jour grâce ou à cause de cet évènement. Car la cathédrale a été endommagée mais
elle suscite aujourd’hui une attention nouvelle. L’île de la cité va être
portée par des visiteurs qui viendront du monde entier pour voir comment le
patrimoine en France est protégé et valorisé.
Tout est dit pour qui sait lire
entre les lignes. Et on peut compter sur nos JT pour lentement préparer les
esprits.
L’assemblée nationale vient d’entériner
le projet de loi du gouvernement sur la restauration de la Cathédrale. Le gouvernement
passe outre toutes les oppositions, y compris celles des experts du patrimoine –
1100 d’entre eux ayant exhorté un pouvoir sourd à ne pas céder à la précipitation
dans une tribune parue dans le Figaro du 28 avril. Le pouvoir s’assied comme d’habitude
sur un écrasant désaccord de l’opinion publique et suit fidèlement les
desiderata de ses financeurs, lesquels se sont déguisés en sympathiques
donateurs. Fidèle à elle même, l’oligarchie via sa marionnette s’est arrogée la
création par ordonnance d'un établissement public pour concevoir, réaliser et
coordonner les travaux et acté une habilitation du gouvernement à déroger à
certaines règles d'urbanisme, de protection de l'environnement, de commande
publique ou de préservation du patrimoine. En clair, et ce en dépit des assurances
poussives du ministre de la Culture, on fait ce qu’on veut en monarchie présidentielle.
Les lois et les règlements, on les détourne à notre convenance. De toute façon
dans l’actualité un sujet chasse l’autre, et puis les gens ont tant d’autres priorités.
La messe des puissants est d’ores et
déjà écrite avant que le moindre ouvrier ait mis les pieds sur le futur
chantier, tout est question de temps. Et les dénégations des laquais des
puissants n’y changeront rien. Le miracle de l’accident involontaire a miraculeusement
relancé ce qui avant semblait bloqué. De son côté, la construction de Tour
Triangle vient d’être enfin autorisée par la justice après 5 ans au point mort.
En accéléré pour les JO !