jeudi 4 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - Pas de printemps pour Marnie


Marnie Edgar utilise un faux nom comme employée de Sidney Strutt pour voler ce dernier avant de disparaître. Lorsqu'elle se fait ensuite embaucher par la société de Mark Rutland, celui-ci est intrigué par son comportement et attiré par sa fascinante beauté. Étant un client de Strutt, il a déjà vu Marnie. Il l'engage tout de même comme secrétaire-comptable dans sa maison d'édition et guette un faux pas, tout en entreprenant de mieux la connaître et de tenter de la séduire.

Echec commercial et critique à sa sortie, Pas de printemps pour Marnie fut considéré, après les triomphes de Psychose puis des Oiseaux, comme le chant du cygne du célèbre maitre du suspens. Qualifié de grand film malade par un François Truffaut qui l'aimait pourtant beaucoup, il est à mes yeux, ainsi qu’à ceux de beaucoup, le dernier authentique chef d'œuvre du réalisateur, un chef d'œuvre tout à fait à part, tout aussi troublant et différent du restant de sa filmographie que ne l'était l'immense Vertigo. Et un suspens tourné non pas comme de coutume sur une trame policière, mais, comme dans La maison du Docteur Edwards en 1946, et en mieux, sur la psychologie névrosée de son héroïne, dont la révélation in fine du trauma initial constitue la raison d'être du film.
Intrigue freudienne que cette histoire autour d'une héroïne à la fois cleptomane et frigide, profondément lestée par un passé qui expliquera tout son comportement. Mais aussi film sur la perversion des rapports humains, sur l'envie de dominer et de posséder l'autre, de le voler en quelque sorte, comme l'héroïne dérobe comme malgré elle le contenu des coffres de ses patrons.
L'idée maitresse d'Hitchcock en adaptant le roman Marnie fut de transformer le personnage d'un psychanalyste en celui d'un richissime dirigeant d'entreprise, un de ces hommes auquel rien ne résiste, et qui, comme le suggérait avec humour le cinéaste britannique, s'entiche d'épouser une cleptomane comme le ferait un fétichiste capricieux. Ce Mark Ruthland auquel le charismatique Sean Connery, alors entre deux James Bond, prête son flegme et sa virilité, sait d'entrée de jeu que celle à laquelle il veut unir ses jours est une voleuse, il l'engage comme secrétaire contre la consigne de son chef du personnel pour mieux l'avoir à sa botte. Mu par des pulsions sexuelles de domination, agissant comme un prédateur déterminé, il parviendra à la prendre au piège, elle la voleuse, en lui laissant le choix entre une bague au doigt et un aller simple en prison.
Prise comme un trophée et privée de liberté, Marnie – qui entretient d'étonnants points communs avec l'héroïne de la première moitié de Psychose, elle aussi une voleuse et une victime, mais aussi avec la Mélanie des Oiseaux, également jouée par Tippi Hedren, elle même victime d'une forme de harcèlement sadique de son réalisateur – se révèlera après un viol d'une frigidité maladive. Et ce viol hors champ – une ellipse osée pour l'époque à Hollywood ! – agira comme la boite de Pandore faisant revenir en plein jour les névroses de l'héroïne, sa terreur envers la couleur rouge, également sa crainte des orages.
De persécuteur et violeur, l'époux se muera dans la seconde partie du film en un enquêteur de la source même de la frigidité de cette femme qui se refuse à lui, également en un allié. Le domptage cette fois se fera avec finesse et tact. A défaut de posséder son corps, tacher plus humainement de posséder son cœur. Et donc l'accompagner à la source même de l'évènement traumatique, chez cette mère infirme qui lui refuse son amour mais qu’elle s’obstine à visiter quand même à Baltimore, dans une ruelle pavée de briques … rouges. Là, tel un père ou un analyste, le mari va aider sa femme-enfant qui redeviendra le temps d'une superbe scène une fillette en larmes.
Même s'il peut nous apparaître de nos jours que cette intrigue revêt certaines facilités scénaristiques voire des naïvetés sur un plan psychanalytique, il n'en est pas moins vrai que ce lent voyage au cœur d'un inconscient féminin malade se révèle absolument fascinant. L'extrême élégance de la mise en scène du maitre, la partition mélancolique et tragique de Bernard Hermann, le mélange de cynisme et d'humanité, extrêmement troublant, et puis ces thèmes qui on le sait concernent Hitchcock dans son rapport aux femmes et au sexe, jusqu’au fait qu’il offre un écrin à une actrice autrefois mannequin qu’il révéla dans Les oiseaux et dont il fit une star, et qui était la quintessence de ces blondes froides qu’il désirait et qui le fascinaient. A laquelle il confia un rôle plein de fêlures, et qu’il plaça dans les rets d'un personnage masculin auquel lui-même semble s’identifier, tant dans sa capacité à manipuler et dominer – Hitchcock, comme réalisateur, est comme le personnage joué par Sean Connery, il est le patron de l'actrice, sur le tournage c'est lui qui lui imposait ce qu’il voulait parfois sadiquement – que dans son attendrissement progressif. La manière dont Hitch joue et tourne autour de l'objet/sujet de son désir a quelque chose à la fois de troublant et de beau, il offre à son héroïne une libération, et à son actrice le second et dernier personnage inoubliable d'une carrière éclair. Un de ces rôles qui cinquante ans après marque encore les spectateurs, et ont fait rentrer son interprète dans l'imaginaire de tous les cinéphiles du monde entier.


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