Dans
la ville de Concarneau, aux alentours de 1960, Léon Labbé tient une boutique de
chapeaux en face d’un tailleur d’origine arménienne. Intrigué par le comportement
de Labbé, le tailleur finit par comprendre que le chapelier notable est
certainement l’étrangleur qui sévit depuis quelques semaines dans la petite
bourgade en s’attaquant à des femmes.
La ville de Concarneau, une de ces villes de province où le
temps semble ne pas avoir de prise et où les relations sociales et les rapports
entre les différentes catégories sociales demeurent immuables, est le cadre de
cette brillante adaptation d’un roman de Georges Simenon, ce portraitiste de l
âme humaine, par cet anthropologiste de Claude Chabrol. Lequel, tel un
laborantin observant ses ouailles d’en haut, s’en va avec délices orchestrer le
jeu du chat et de la souris auxquels s’adonnent deux grands malades isolés dans
leurs solitudes. Un chapelier aussi fou que celui d’Alice au pays des
merveilles, sorte de grand bourgeois perclus d’ennui et d’habitudes et marqué
par un lent glissement vers la folie intérieure. Et un petit tailleur juif
malingre, éternel anonyme fasciné par la figure de ce voisin si impénétrable
qu’il sait être un assassin, mais qu’il ne peut dénoncer tant son inaptitude à transgresser
l’ordre social le paralyse.
Se sachant épié et probablement découvert, le chapelier,
génialement interprété par un Michel Serrault jouant en permanence avec la
démesure, va utiliser cet homme qui le regarde avec fascination jusqu’à devenir
dépendant de ce regard. Car si le meurtrier donne au début du film l’apparence
d’un homme extrêmement sur de lui-même et n’aimant rien tant que provoquer, le
lent glissement psychologique décrit par Chabrol expose au fil de l’intrigue
ses failles, ses peurs et ses limites. Labbé est en effet devenu un homme
extrêmement seul, son existence n’est qu’une succession de représentations, où
il joue quotidiennement le rôle de l’époux d’une femme acariâtre qu’il aura de
guerre lasse assassiné à force d’endurer sa méchanceté. Laissé seul en sa
maison déserte où il disserte à n’en plus finir avec un mannequin de cire la
remplaçant, ce chapelier que la ville honore d’un respect de façade dû à son
rang est un être à la dérive, qui oscille en permanence entre une forme de
morgue suffisante et des éruptions de colères aussi irraisonnées qu’infantiles,
et qui se raccroche telle la corde au pendu au regard de ce voisin qui lui fait
pitié.
Film sombre et plein de bile sur la nature humaine de ces
bourgeois de province accrochés à des statuts sociaux qui semblent à la longue
les assécher, Les fantômes du chapelier
ressemblent à une longue litanie précédant l’épitaphe sur une tombe anonyme.
Balzaciens dans l’âme, très fidèle à l’œuvre de Simenon, ces fantômes sont
également, dans la filmographie du réalisateur du Beau Serge et de La cérémonie,
une très belle réussite cinématographique, où la beauté des plans et des
travelings de nuit dans la ville endormie laissent entrevoir une immense
mélancolie.
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