samedi 27 avril 2019

Manu et le Grand Changement de la petite virgule en bas de la page 7




Donc l’autre soir, après s’être auto-proclamé grand bâtisseur du siècle et pris toutes les décisions qu’il s était imposées à lui même pour faire de la reconstruction Royco Minute Soupe de Notre Dame de Paris son Grand Sujet -  par ordonnances ça ira plus vite ! -, notre Esméralda du CAC 40 s’en est allée faire son numéro de charme tant attendu par à peu près personne devant une meute de chiens de garde on ne peut plus courtois. En son palais, s’il vous plait, avec accréditations pour certains et omissions pour d’autres – on cherchait en vain Gaspard Gantzer, Aude Lancelin, Fabrice Arfi, Denis Robert ou Elise Lucet, ceux-ci devaient être retenus à des ronds points.

Ce fut une longue, très longue péroraison pleine de Moi Je et de Je Me Moi de plus de deux heures trente ou notre Manu parvint avec des mots et des phrases à étirer le rien ne bouge tant que je serai là au delà du supportable. Est-ce qu’on a fait fausse route ? Je crois tout le contraire, a-t-il asséné. Les fondamentaux doivent être préservés, poursuivis et intensifiés, nous assura Sourdingue Premier, concédant un problème de méthode et deux doigts d’arrogance, autant dire deux grammes de cacahouètes.

Je vous la fais courte, la paille à sniff du roitelet. Lequel, après avoir feint pendant deux mois d’écouter des qui ont pas mon QI dans des salles des fêtes de province infectes, a finalement tranché pour n’en faire qu’à sa tête et revenir telle une toupie à son point de départ, à savoir son projeeeet ultra libéral en trompe l’œil.

Oncques donc en des temps anciens sur une autre galaxie, les revendications des gilets jaunes étaient – je dis bien étaient – légitimes. Jusqu’à ce que ces gueux en meutes mutent en d’affreux quenellistes soraliens antisémites homophobes casseurs de flics et de Fouquets. Ce qui me met dans la position régalienne du défenseur de Fort Boyard. Nous sommes un état de droit, mon devoir est d’assurer l’Ordre. Donc la taxe carbone et les 80km/h on repassera. Vos réclamations, allez donc aux urnes, moi je suis le Légitimement Elu. Circulez les jaunes fluo, et revenez dans le cercle de la raison !

Ah oui, votre demande de davantage de démocratie ? Pour MOI la démocratie c’est les élus, du coup votre RIC ca sera sans moi. Pour MOI, je disais, plus de démocratie égale plus de démocratie représentative égale moins de députés – logique non ? -, auquel j’ajoute 20% de proportionnelle pour quand je serai plus là. Et puis pour clore le sujet– cadeau de Manu - j’intégrerai 150 d’entre vous tirés au sort dans un comité Théodule dont vous n’avez jamais entendu parler, et pour cause il ne sert à rien sinon à prendre de petites décisions locales dont je me fiche. Ah oui, et puis après m’être sérieusement pris le chou avec moi même sur cette question du vote blanc, je décide finalement de laisser les choses en l’état. Pourquoi ? Parce que.

Des questions ?

Bon sinon je vous avais promis des baisses d’impôt, je confirme que je vais le faire. Quand ? Bientôt, voyez avec l’intendance, je suis pour la gouvernance à plusieurs, moi ! Du coup, faudra travailler plus pour gagner autant, vu que les études à qui je fais dire ce que je veux me disent que vous bossez moins que les autres des pays à coté. Ça, le travailler plus, ça plaira aux retraités de droite qui eux ont le mérite d’aller voter en masse, et puis vu que ma liste LREM baisse au profit de celle des Républicains, une pierre deux coups !

Oui Laurence ? Ah oui l’islam radical, je serai intraitable, Madame Le Pen n’a qu’à bien se tenir. Et fichez-moi la paix avec les fichés S !

Benalla ? Oh c’était un excellent collaborateur que ce joli jeune homme, non rien de rien, et on en a vraiment trop fait avec cette histoire, vous savez, alors question suivante !

L’ISF ? Ecoutez, le baisser fut à mon sens une très bonne mesure, et puis nous ferons tout bientôt dans un an voire deux une évaluation afin de la faire valider par des amis juste avant que je parte. Ne vous plaignez pas, je vous enlève l’ENA, enfin, j’enlève son nom et je garde le contenu. De toute façon j’ai presque tout vendu, alors fabriquer encore des Macron à la chaine quand il ne reste plus grand chose à demeure, à quoi bon ? Les robots de l’Intelligence Artificielle arrivent de toute façon !

Et de conclure, faussement fataliste. “Diriger en démocratie c’est accepter de ne pas être populaire”. Le sacrifice fait homme que notre poupée vaudou élyséenne pleine de cicatrices ! Pour ses “mesures wahou” on repassera.

Voilà. 2 heures 30 et quelques pour ça, avouez que ça valait l’attente, le cout et le déplacement. Le pire c’est que les chiens de garde parviennent à disserter des heures sur cette logorrhée aussi vide que creuse et qui tient à peine sur un post it. Manu, et ses potes des médias dans la salle, auront donc omis de parler des 10 000 arrestations, des 2000 condamnations à l’arrache, des centaines de blessés, des éborgnés, des mains arrachées, de la mamie décédée, de la BAC déchainée, des LBD, des journalistes embarqués. Sans compter des condamnations de l’ONU, du Conseil de l’Europe et d’Amnesty.

De tout cela pas un mot, et bien entendu pas une question. Pas le temps, désolé ! Quand on disserte deux heures trente sur Le Grand Changement de la petite virgule en bas de la page 7, on ne s’attarde pas sur de menus détails.


samedi 20 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - Playtime



Ce fut le quatrième film de notre Charlie Chaplin hexagonal qu’est Jacques Tati, et ce fut le film qui le ruina et manqua ne jamais être achevé. Son énorme dépassement de budget dû à la reconstruction sur un immense terrain d’une sorte de La Défense (alors même que celle-ci était en construction) obligea le cinéaste à vendre les droits de ses trois films précédents. A sa sortie, Playtime rencontra un échec public et essuya quelques revers critiques, que sa ressortie quelques décennies plus tard effaça.
A revoir Playtime de nos jours, dont la modernité saute aux yeux, on se retrouve face non seulement au meilleur film d’un cinéaste aussi talentueux que peu prolixe, mais à un des films les plus originaux de toute l’histoire du cinéma français. Une œuvre visionnaire, d’un burlesque irrésistible, dont les qualités plastiques et de mise en scène éblouissent.
De Jour de fête à Playtime, ou du village rural au village global, tel pourrait être le résumé des quatre films où apparait le double du cinéaste, ce légendaire Monsieur Hulot. Présente en filigrane dans Les vacances de Monsieur Hulot, récit des premiers congés payés, plus évidente dans Mon oncle, au travers du portrait de ces banlieues modernes et de ces maisons suréquipées des technologies absurdes, et ici le cœur même du sujet, la modernité de la société de consommation, loin d’être vue sous l’angle d’un regard réactionnaire, nous est exposée au travers de plusieurs séquences autour de lieux géométriques, composées de lignes droites, de profondeur de champ et de reflets. Des séquences/espaces – l’aéroport, les espaces de bureaux, les appartements-vitrine, le restaurant moderne …- forment des blocs narratifs où la durée des plans et le nombre de figurants et de détails qui y sont contenus permettent au spectateur de fureter et de repérer par lui-même les mille et une absurdités de ces villages globaux qui semblent si peu faits pour la vie.
Mille gags se succèdent, irrésistibles de burlesque, dans la suite des Temps modernes de Chaplin. L l’architecture high tech, l’hyperfonctionnel, l’hyper rationaliste égarent ces êtres qui y passent, y travaillent, s’y promènent voire y vivent. Les gags dans Playtime sont uniquement visuels ou sonores, c’est-à-dire se rattachant à la grammaire même du cinéma. Car dans Playtime, à peu près tous les outils du cinéma classique sont évacués. Pas ou peu de dialogues, aucun hors champ, pas de champ/contrechamp, pas de musique sauf si elle est directement intégrée à ce qui se passe sur l’écran, pas à proprement parler de personnages, hormis Hulot et la femme américaine, pas de progression dramatique non plus. Juste un monde aussi loufoque qu’absurde exposé de manière virtuose, qu’Hulot, servant de dérailleur dans une horlogerie, va faire exploser. Une explosion qui va permettre à tous, et donc pas uniquement aux VIP pour lesquels le restaurant moderniste était destiné, de pénétrer le lieu chic pour y retrouver une forme d’ivresse et de plaisir qui va littéralement faire imploser le décor. Avec une avalanche de gags qui évoque The Party de Blake Edwards, sorti l’année suivante.
Playtime, film incroyablement visionnaire sur notre XXIème siècle et ses dérives, observe avec ironie et sourire ce monde inhumain qui pousse comme un champignon, et met une loupe grossissante sur ses mille et une absurdités tant architecturales que civilisationnelles. Un monde envahi de métal et de verre où la frontière de l’intimité a disparu, et où grouillent des anonymes errant comme dans un labyrinthe et tachant de se conformer à une logique totalement absurde.

mercredi 17 avril 2019

Manu Minion Million



Nous sommes un peuple de bâtisseurs, nous a rappelé avec des trémolos dans la voix le petit télégraphiste de la casse nationale. Ce NOUS fait sourire, ce NOUS manipulateur et mensonger. Lui la créature d’un sommet invisible entend se joindre à NOUS et nous la jouer union nationale. 5 minutes 40 à enfiler avec un regard absent des perles, un Président des Ultra Riches soudain transformé pour la circonstance en débiteur de soupe Harlequin, feignant l’émotion pour mieux surfer sur la vague. Soudain doté d’un cœur, le banquier d’affaires sourd à la souffrance populaire qu’il déchaine et aveugle devant les gueules que son pouvoir a cassées nous chante son amour des jeunes pompiers de Notre Dame. Le pyromane de métier est revisité.

Le texte fut lu sur le prompteur, le lendemain de l’évènement tragique. Cette fois Manu a su retenir le petit sourire en coin, il s était amidonné de grosses ficelles niaiseuses. La veille, devant l’édifice en flamme de cette religion qui est le contraire de la sienne, il nous avait déjà promis que des quatre coins de l’hexagone, par la force de sa seule parole, certains allaient donner donner donner, comme le chantait Enrico Macias. Aussitôt quelques uns de ses marionnettistes apparurent, ceux-là qui avaient tant bénéficié des largesses de leur poulain, et lâchèrent des sommes faramineuses, un milliard, trois fois le budget annuel de la rénovation des monuments historiques. 200 millions par ci, 100 par là, qu’ils avaient dû hésiter auparavant à offrir à nos services publics et à nos hôpitaux. Mais là, devant cette émotion nationale, comment résister ? D’autant que donnant 100, ils en récupèreraient 66 voire davantage, le déficit d’impôt encaissé étant aux services de la collectivité – le fameux NOUS de Manu …

Manu nous l’a dit, en cinq ans, par la seule force de sa Parole, la Cathédrale renaitrait. Car Jupiter est Jupiter. Il n’y avait plus de sous dans les caisses ? En voici des millions ! Passons sur les niches fiscales déguisées en générosité de façade, ne soyons pas mesquins, c’est l’heure où il nous faut face à la tragédie nous serrer les coudes. Les premiers de cordée sont là, à nos cotés. Et NOUS allons poursuivre en chantant la Marseillaise la merveilleuse histoire de cette France que nous aimons tant. Alléluia !


lundi 15 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - Misery



Auteur de la saga à succès Misery, Paul Sheldon vient de terminer son nouveau roman. Alors qu’il quitte l’hôtel de montagne où il s’était isolé pour écrire, sa voiture dérape sur la neige. Grièvement blessé, il est sauvé par Annie Wilkes, infirmière et grande admiratrice de Misery, qui l’installe chez elle.

C’est la seconde fois que Rob Reiner, après Stand by me, adapte une œuvre – ici une nouvelle – de Stephen King. Sorti en 1990, son Misery, huis clos aussi surprenant que glaçant, rencontra un énorme succès et permit à son actrice principale, Kathy Bates, phénoménale, de remporter un oscar. Resserré à l’extrême, Misery, contrairement à beaucoup de films de genre, n’a pas perdu une ride, et mérite sa réputation de classique du film d’horreur.
Contre l’avis de son éditrice, Shelton, conscient de n’être devenu rien d’autre qu’un faiseur de best seller insipides pour ménagères, a décidé contre la logique qui a fait de lui un homme riche, de se libérer de son héroïne une bonne fois pour toutes. En s’isolant l’hiver dans son chalet pour oser enfin délaisser la facilité et retrouver son ambition artistique originelle, il met un terme à la série à succès en faisant mourir son héroïne. Mais à peine a t-il achevé la rédaction que le destin le fauche en plein vol et envoie sa voiture dans le décor.
Retour brutal, presque comique, à la case départ ! A peine notre auteur se libère t-il du joug de son héroïne qu’il se retrouve dans un état d’absolue dépendance vis-à-vis de celle qui l’a recueilli et qui le soigne. Cette Annie, infirmière de métier, a tout d’une personnalité schizophrène. Une de ces groupies qui représentent aux yeux d’un personnage célèbre une source d’inquiétude diffuse. Car Misery est devenue le centre de la vie de sa lectrice assidue, laquelle, tant vis à vis de l’héroïne que de son créateur, verse dans une idolâtrie plus qu’excessive. Vivant seule et recluse, Annie s’est recréée un monde irréel et se projette tellement dans cette fiction qu’elle a depuis longtemps perdu tout sens commun. Vis-à-vis de l’écrivain immobilisé, elle passe de la plus extrême amabilité à des accès de violence propres à un esprit profondément névrosé. La situation d’infirmité du romancier fait d’elle une authentique geôlière sadique, prête à tout pour contraindre par la force l’artiste à ressusciter Misery.
Le combat entre eux deux a des accents de combat pour la survie. La série de romans mièvres a accouché d’un monstre castrateur, et ce monstre est prêt à tout pour asservir le romancier et le ramener à ce qu’il veut fuir. Annie personnifie autant le cauchemar de tout artiste en quête de sens que le démon tapi dans l’œuvre de celui qui à un moment a signé le pacte de Faust et doit donc lui payer une note très lourde pour recouvrer sa liberté.

vendredi 12 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - Orange mécanique



Orange mécanique, encore aujourd’hui, apparaît autant comme un OVNI dans la carrière exceptionnelle de Stanley Kubrick que dans l’histoire du cinéma. Sa sortie en 1971, décennie par excellence où certains grands auteurs pouvaient absolument tout se permettre, fit scandale, le film souffrit d’une interdiction en Grande Bretagne, le cinéaste reçut des menaces de mort… Et le public, extrêmement nombreux, répondit présent.

Tout sauf aimable, l’adaptation par Kubrick du roman d’Anthony Burguess se situe dans un futur qu’on suppose proche dans la banlieue de Londres. Le film est construit en trois blocs. Dans le premier, raconté par une voix off à la première personne s’exprimant avec un langage déconstruit, Alex et sa bande, lâchés en meute dans un monde futuriste aussi libertaire que répressif, s’adonnent en bande à l’ultra violence, viols, tabassages gratuits ou meurtres sans raison. Un monde amoral et barbare, que le cinéaste nous contraint cyniquement à regarder sur un mode aussi distant que décalé, épousant ainsi le regard d’Alex, pour qui ces horreurs sont de l’ordre du divertissement pur. Le vocabulaire, les costumes hyper stylisés des protagonistes, la musique de Beethoven, électrisée, remixée et accélérée, tout concourt à créer un ballet théâtral aussi grotesque que violent, lequel débouchera sur l’assassinat d’un couple filmé comme une chorégraphie.
La seconde partie mettra en apparence un terme à la barbarie pour lui en substituer une autre bien pire encore. Trahi par ses congénères et arrêté par la police, Alex devient le cobaye d’une expérience scientifique gouvernementale. A compter de cette bifurcation, Orange mécanique expose des personnages sans affect représentant la société et l’ordre, policiers, services sociaux, politiciens. Lesquels, tels les agents de la CIA, vont faire vivre à Alex un enfer en le déprogrammant jusqu’à faire de lui un agneau.
On le voit, le propos de Kubrick n’était en rien de magnifier la violence par une forme de plaisir sadique mais bien de la dénoncer sous toutes ses formes, jusqu’à conduire Alex et son spectateur devant une même situation d’écœurement en stigmatisant en premier lieu la violence d’état. Un état qui a déshumanisé Alex en le plaçant dans un monde sans repères, lequel a libéré ses pulsions de mort, avant d’en faire un mouton apeuré transformé en proie.
Le film s’achèvera donc sur la troisième forme de violence. Les victimes sont devenues bourreaux et inversement. Ceux qu’autrefois Alex terrorisait prennent dorénavant leur revanche, avec l’assentiment tacite de cette société sans âme dans laquelle ils se complaisent. Cet ultime retournement de situation sur l’origine de la barbarie contemporaine achève de dresser le portrait volontairement grossi d’un monde malade. Dont Alex n’est en définitive qu’un symptôme et rien de plus.


mardi 9 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - L’antre de la folie



John Trent, un détective privé embauché par une compagnie d'assurance, est chargé de retrouver Sutter Cane, un écrivain dont les livres d'épouvante sont devenus de véritables phénomènes de société. Cane a disparu soudainement, juste avant la parution de son nouveau roman, « L'Antre de la folie ». Sa maison d'édition est désemparée et ses lecteurs en plein désarroi. Trent, accompagné d'une employée de la maison d'édition, suit la piste laissée par Cane. Celle-ci les conduit à Hobb's End, une petite ville oubliée de la Nouvelle-Angleterre qui ne figure sur aucune carte et semble en proie à des phénomènes pour le moins étranges...

L’antre de la folie appartient dans l’imaginaire des amateurs de cinéma fantastique à l’un des sommets de l’œuvre de John Carpenter, aux cotés de The thing et Invasion Los Angeles. Films qui à les revoir aujourd’hui conservent bien des qualités tout en faisant sourire parfois par une esthétique quelque peu datée, impactant quelque peu leur efficacité d’alors.
C’est le grand amateur du romancier Lovecraft que fut Carpenter qui ici convoque un écrivain de best sellers de la littérature d’horreur, sorte de double de Stephen King dont les œuvres sont si intenses qu’elles ont le pouvoir de faire basculer la frontière entre réel et fiction et donc de contaminer autant ses lecteurs que ce monde. Lire Sutter Kane conduit à devenir fou et à être contaminé par le malin, ni plus ni moins.
Le film va procéder par touches tout d’abord discrètes, ensuite de plus en plus évidentes, de cette folie qui peu à peu va envahir la normalité. Laquelle normalité va s’incarner dans un personnage d’enquêteur de compagnie d’assurances, lancé à la poursuite de l’écrivain disparu jusque dans une ville fictive qui n’apparaît sur aucune carte mais se situe dans le dernier roman du maitre de l’horreur. Une ville où tout est inquiétant, bizarre, changeant, à l’approche de laquelle, de nuit, roule sur un vélo un vieillard aux cheveux blancs, et où on arrive en empruntant un passage qui a tout d’un vortex. Au milieu du film, nous pénétrons l’imaginaire en action de l’auteur, lequel imaginaire va aspirer le film en cours de route.
L’enquêteur a lu les livres de Sutter Cane, il s’est même surpris à les trouver bien faits, mais se refuse, contrairement aux fans de l’auteur, à leur accorder la moindre crédibilité. Propulsé au cœur même de l’intrigue d’un livre pas encore publié, il va entrer en lutte avec la multiplication des signes sortis de l’imagination démoniaque de l’auteur – le tableau sur le mur de l’hôtel qui au fur et à mesure change en devenant de plus en plus inquiétant, la route qui conduit à toujours revenir au point de départ, les enfants en meute qui poursuivent des chiens … Jusqu’à devoir admettre qu’il a basculé dans une fiction d’horreur et donc dans l’antre de la folie. Il se pensait homme libre ayant prise sur les choses, il se découvre pantin ne pouvant qu’obéir à ce que Cane a imaginé, et sur lequel il n’a aucune prise.
Ainsi Carpenter, avec son personnage, nous entraine dans une fiction en boucle, débutant dans la cellule d’un asile où le personnage principal devenu fou raconte sa propre plongée dans la folie. L’œuvre du mal que représente L’antre de la folie – le livre -, puis L’antre de la folie – le film avec Sam Neil comme acteur principal PUIS spectateur du film en accéléré auquel nous venons d’assister –, cette œuvre, telle la serre du malin, a tout gangrené. La lecture de l’œuvre puis la projection de son adaptation cinématographique dans les salles du monde entier ont conduit la population mondiale à s’auto anéantir, transformant celles et ceux qui ont cru à l’intrigue en fous furieux décimant tous les autres. Et le film s’achève sur le rire de possédé d’un Sam Neil devenu créature d’un auteur démiurge, lequel pourrait être ce prince des ténèbres, titre d’un autre film de ce diable de John Carpenter.

samedi 6 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - Le nom de la rose

Alors qu’elle est choisie pour être le lieu d’un débat houleux entre divers ordres religieux concernant la pauvreté du Christ, et donc de l’Église, une abbaye isolée du nord de l’Italie est agitée par de mystérieux meurtres. Un moine franciscain, Guillaume de Baskerville et son disciple, Adso de Melk, mènent l’enquête.

C’est avec La guerre du feu en 1981 que le jeune cinéaste français Jean-Jacques Annaud, jusqu’ici auteur de deux films plutôt intimistes, La victoire en chantant et Coup de tête, obtint ses galons de réalisateur apprécié à l’international pour ses grandes superproductions populaires. L’ours, L’amant, Stalingrad et quelques autres rencontrèrent dans le monde un très grand écho, bénéficiant d’un soutien critique inégal selon les films.
Sorti fin 1986, ce Nom de la rose, adaptation du chef d’œuvre du grand romancier italien Umberto Ecco, constitue sa plus incontestable réussite, et a conservé plus de trente ans après sa sortie toutes ses qualités. Elle est de ces œuvres absolument passionnantes que l’on se fait un plaisir de revoir et de faire découvrir aux plus jeunes générations, à leur tour séduites par cette intrigue fascinante, sorte d’Agatha Christie moyenâgeux situé dans un décor grandiose, dans laquelle l’élucidation des meurtres qui y sont commis vont nous conduire sur les sentiers de l’obscurantisme religieux.
La guerre de cent ans n’est pas loin à cette époque où Philippe Le Bel vient de se débarrasser des Templiers, et où rode celle qu’on nommait la Sainte Inquisition. Les moines reclus sur les hauteurs perdues de cette abbaye mystérieuse sont tels des monstres, sortes de freaks aux gueules et aux silhouettes aussi impossibles que cauchemardesques. Tous, tandis qu’à la demande de l’Abbé - interprété par un Michael Lonsdale en grande forme - enquête Guillaume de Baskerville, semblent livrés aux démons, dans les recoins de ces bâtisses sinistres en proie aux ombres, à la boue et aux vents, au sein desquelles on ne peut guère se mouvoir qu’éclairé par de grandes torches tenues à bout de bras.
Abandonnés de Dieu, livrés à la misère et à un travail quotidien, ces moines coupés du monde sont les proies d’une main criminelle,et notre Hercule Poirot médiéval, auquel Sean Connery apporte tout son charisme, va tacher de démêler les fils d’une enquête où son intuition et son sens aigu de l’observation vont jouer un rôle clef.
Fort éloigné de l’obscurantisme de ces âmes tourmentées, le détective en soutane est l’antithèse incarnée de ce Grand Inquisiteur qui à un moment va tacher d’interrompre sa quête de vérité. Car c’est bien sur le chemin du savoir et de la connaissance que l’enquête nous conduit, au cœur des entrailles de l’abbaye, dans le ventre de cette labyrinthique et fascinante bibliothèque, dont l’architecture reflète le gout pour l’ésotérisme de ceux qui veillent jalousement sur la privation d’un savoir universel. Cette exceptionnelle bibliothèque renferme un trésor, en l’occurrence un livre, lequel doit absolument être tenu à l’écart du commun des mortels.
Cette enquête autour du fil d’Ariane que constitue l’acquisition d’un savoir libérateur du joug de l’Eglise est donc bien le sujet central d’un roman aussi foisonnant de connaissances que riche en rebondissements, et donc de sa brillante adaptation cinématographique. Il fallut à l’exigeant Jean-Jacques Annaud cinq longues années de supervision de réécritures successives du scénario – le livre d’Ecco est un pavé, et en faire un film de 2 heures 30 exigea une simplification rigoureuse – pour parvenir à pareille réussite.
Ajoutons que l’excellence, ici, est partout, tant au niveau du choix des décors naturels – des hauteurs montagneuses cernées par d’inquiétants nuages et écrasées par la pluie – que des reconstitutions en studio – travail génial de Dante Ferretti -, de l’inoubliable bande originale de James Horner ou du choix des acteurs – souvent inconnus ou débutants, tel Christian Bale, adolescent – et de leur direction. 


vendredi 5 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - L’impasse

New York, 1975. Carlito Brigante, un trafiquant de drogue notoire, est libéré de prison, grâce aux vices de procédures révélés par son avocat. Bien décidé à rester dans le droit chemin après ces 5 années passées à l’ombre, le criminel repenti entend économiser suffisamment d’argent pour rendre possible l’objectif qu’il s’est fixé. Mais la réinsertion s’avère plutôt difficile pour celui que certains continuent à aduler en tant que gangster…

Ce bijou du grand Brian de Palma s’ouvre, comme le Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, sur l’assassinat et la mort de son héros, et le récit tragique du film opèrera un flash back sur les tous derniers jours de sa vie. Ce héros, Carlito Brigante, est comme le double inversé du Tony Montana du Scarface de De Palma, tous deux superbement interprétés par Al Pacino. L’Impasse, tournée dix ans après Scarface, offre à une autre époque – les années 90 – une vision renouvelée de la mafia et de la pègre, et au delà de l’Amérique. Du temps a passé, les malfrats à l’ancienne ont laissé place à une nouvelle génération de caïds marchant à la cocaïne, immergés dans une Amérique affairiste où la frontière du bien et du mal s’est effacée, et où certains voyous ont intégré un semblant de légalité.

Revenant après des années passées derrière les barreaux dans le monde libre aussi déphasé que possible, le personnage joué par Al Pacino, épris d’une sincère envie de rédemption, redécouvre le milieu avec la ferme intention de rester honnête. Milieu qui va par l’intermédiaire du personnage totalement disjoncté de son avocat tout faire pour le faire chuter.
Un plan résume le destin tragique de son magnifique personnage. Carlito enferme un cafard sous un verre, peu avant de prendre comme malgré lui une décision qui fera basculer son destin du mauvais côté. Le talent de De Palma consiste, alors même que depuis la scène inaugurale les dés sont jetés, à nous faire espérer malgré tout que son personnage parviendra à transcender sa propre malédiction, tout en nous faisant partager ses rêves et sa soif d’amour.
Le destin tragique de ce gangster d’antan plongé dans un cloaque dont il ne comprend plus les règles s’achève, comme dans un opéra, par une dernière demi-heure quasi muette, d’un brio formel incomparable. La mélancolie, l’envie sincère d’une seconde chance, le désir de réécrire sa vie et de panser les blessures – la rédemption ne sera que spirituelle, nous souffle De Palma, tant ici-bas ce monde où seuls les méchants s’en sortent est devenu aussi amoral que fou.


jeudi 4 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - Pas de printemps pour Marnie


Marnie Edgar utilise un faux nom comme employée de Sidney Strutt pour voler ce dernier avant de disparaître. Lorsqu'elle se fait ensuite embaucher par la société de Mark Rutland, celui-ci est intrigué par son comportement et attiré par sa fascinante beauté. Étant un client de Strutt, il a déjà vu Marnie. Il l'engage tout de même comme secrétaire-comptable dans sa maison d'édition et guette un faux pas, tout en entreprenant de mieux la connaître et de tenter de la séduire.

Echec commercial et critique à sa sortie, Pas de printemps pour Marnie fut considéré, après les triomphes de Psychose puis des Oiseaux, comme le chant du cygne du célèbre maitre du suspens. Qualifié de grand film malade par un François Truffaut qui l'aimait pourtant beaucoup, il est à mes yeux, ainsi qu’à ceux de beaucoup, le dernier authentique chef d'œuvre du réalisateur, un chef d'œuvre tout à fait à part, tout aussi troublant et différent du restant de sa filmographie que ne l'était l'immense Vertigo. Et un suspens tourné non pas comme de coutume sur une trame policière, mais, comme dans La maison du Docteur Edwards en 1946, et en mieux, sur la psychologie névrosée de son héroïne, dont la révélation in fine du trauma initial constitue la raison d'être du film.
Intrigue freudienne que cette histoire autour d'une héroïne à la fois cleptomane et frigide, profondément lestée par un passé qui expliquera tout son comportement. Mais aussi film sur la perversion des rapports humains, sur l'envie de dominer et de posséder l'autre, de le voler en quelque sorte, comme l'héroïne dérobe comme malgré elle le contenu des coffres de ses patrons.
L'idée maitresse d'Hitchcock en adaptant le roman Marnie fut de transformer le personnage d'un psychanalyste en celui d'un richissime dirigeant d'entreprise, un de ces hommes auquel rien ne résiste, et qui, comme le suggérait avec humour le cinéaste britannique, s'entiche d'épouser une cleptomane comme le ferait un fétichiste capricieux. Ce Mark Ruthland auquel le charismatique Sean Connery, alors entre deux James Bond, prête son flegme et sa virilité, sait d'entrée de jeu que celle à laquelle il veut unir ses jours est une voleuse, il l'engage comme secrétaire contre la consigne de son chef du personnel pour mieux l'avoir à sa botte. Mu par des pulsions sexuelles de domination, agissant comme un prédateur déterminé, il parviendra à la prendre au piège, elle la voleuse, en lui laissant le choix entre une bague au doigt et un aller simple en prison.
Prise comme un trophée et privée de liberté, Marnie – qui entretient d'étonnants points communs avec l'héroïne de la première moitié de Psychose, elle aussi une voleuse et une victime, mais aussi avec la Mélanie des Oiseaux, également jouée par Tippi Hedren, elle même victime d'une forme de harcèlement sadique de son réalisateur – se révèlera après un viol d'une frigidité maladive. Et ce viol hors champ – une ellipse osée pour l'époque à Hollywood ! – agira comme la boite de Pandore faisant revenir en plein jour les névroses de l'héroïne, sa terreur envers la couleur rouge, également sa crainte des orages.
De persécuteur et violeur, l'époux se muera dans la seconde partie du film en un enquêteur de la source même de la frigidité de cette femme qui se refuse à lui, également en un allié. Le domptage cette fois se fera avec finesse et tact. A défaut de posséder son corps, tacher plus humainement de posséder son cœur. Et donc l'accompagner à la source même de l'évènement traumatique, chez cette mère infirme qui lui refuse son amour mais qu’elle s’obstine à visiter quand même à Baltimore, dans une ruelle pavée de briques … rouges. Là, tel un père ou un analyste, le mari va aider sa femme-enfant qui redeviendra le temps d'une superbe scène une fillette en larmes.
Même s'il peut nous apparaître de nos jours que cette intrigue revêt certaines facilités scénaristiques voire des naïvetés sur un plan psychanalytique, il n'en est pas moins vrai que ce lent voyage au cœur d'un inconscient féminin malade se révèle absolument fascinant. L'extrême élégance de la mise en scène du maitre, la partition mélancolique et tragique de Bernard Hermann, le mélange de cynisme et d'humanité, extrêmement troublant, et puis ces thèmes qui on le sait concernent Hitchcock dans son rapport aux femmes et au sexe, jusqu’au fait qu’il offre un écrin à une actrice autrefois mannequin qu’il révéla dans Les oiseaux et dont il fit une star, et qui était la quintessence de ces blondes froides qu’il désirait et qui le fascinaient. A laquelle il confia un rôle plein de fêlures, et qu’il plaça dans les rets d'un personnage masculin auquel lui-même semble s’identifier, tant dans sa capacité à manipuler et dominer – Hitchcock, comme réalisateur, est comme le personnage joué par Sean Connery, il est le patron de l'actrice, sur le tournage c'est lui qui lui imposait ce qu’il voulait parfois sadiquement – que dans son attendrissement progressif. La manière dont Hitch joue et tourne autour de l'objet/sujet de son désir a quelque chose à la fois de troublant et de beau, il offre à son héroïne une libération, et à son actrice le second et dernier personnage inoubliable d'une carrière éclair. Un de ces rôles qui cinquante ans après marque encore les spectateurs, et ont fait rentrer son interprète dans l'imaginaire de tous les cinéphiles du monde entier.


Chefs d’œuvre du 7ème art - Sur la route de Madison



A la mort de leur mère, Michael Johnson et sa soeur Caroline se retrouvent dans la ferme où ils ont passé leur enfance, dans l'Iowa. Ils apprennent avec consternation que la défunte, Francesca, a demandé que ses cendres soient répandues du haut du pont de Roseman. Une bizarrerie que la lecture du journal intime de Francesca va expliquer. Jadis, au cours de l'été 1965, alors que son mari et ses deux enfants s'absentent pour quelques jours, Francesca voit arriver une camionnette brinquebalante. Robert Kincaid, un photographe sexagénaire, en descend et lui demande le chemin du pont de Roseman. Plutôt que de le lui expliquer, Francesca décide de lui montrer le chemin...
Quatre jours, quatre simples jours dans une vie. Ça s'est passé l'été 1965, dans l'Iowa, ç'aurait très bien pu ne pas arriver, cette rencontre, tandis que les siens lui ont laissée pour elle quatre jours, elle qui, quand ils sont à table et qu’elle les a servis reste à la fenêtre et regarde au loin, tandis qu’ils ne la regardent point. Les siens, son mari et ses enfants, sont là qu’elle déjà semble ailleurs que dans cette vie qu’elle s'est choisie, pour laquelle elle décida d'arrêter son métier, pour simplement être la femme de, la mère de, et une femme au foyer, simple, banale, une femme américaine âgée de quarante ans et quelques, une femme rangée comme il existe tant d'autres.

Sauf que le destin … L'apparition de cet homme qui n’a jamais fait autre chose que suivre seul ses désirs au gré de son art, celui de photographier, et qui vient en son comté en mission pour National Geographic. Deux solitudes qui là, parce que l’évidence semble s'imposer à l'un comme à l'autre, vont se frôler, se conjuguer, s'épancher – bref, pour quatre jours seulement, les plus beaux jours de leurs vies, s'aimer.
Cet amour infini, cet amour qui correspond au rêve de toute une vie, nous allons, par la grâce inégalée de la caméra de Clint Eastwood, plus minimaliste et sensible que jamais, le voir s'éclore sous nos yeux au travers de mille gestes aussi pudiques que bouleversants. Trois fois rien, une bouche qui s'entrouvre, une main qui frôle un épiderme, un tourne-disques, une chanson. Rarement, peut être dans In the mood for love, a-t-on réussi au cinéma à traduire le frémissement amoureux, cette quête des cœurs qui se correspondent, savent l'union de part les circonstances de la vie impossible, et qui ne peuvent pour autant résister à de somptueux élans aussi discrets que le bruissement de l'aile d'un papillon.
Les deux interprètes, Eastwood et Meryl Streep, tous deux admirables à force de suggérer tant avec aussi peu d'effets, semblent ne pas jouer mais être comme saisis au vol par la caméra d'un documentariste des coeurs les accompagnant vivre pleinement et se découvrir, et au travers de cette découverte de l'autre se découvrir eux mêmes comme jamais ils ne se sont connus ni ne se connaitront après. Car, le prologue l'indique bien, ces quatre jours renferment en eux tout le suc de la vie et éclairent passé et futur d'une coloration aussi triste que mélancolique.
Aussi triste que cette pluie battante lorsque, des années plus tard, tandis que son époux fait une course, elle aperçoit depuis son siège dans la voiture conjugale la silhouette dans le véhicule juste devant de l'être aimé, celui qui habite son cœur et l'habitera toujours. En ces dernières minutes, saisissantes, où les amants secrets sont à quelques mètres l'un de l'autre, figés l'un comme l'autre dans leurs vies respectives, lesquelles par un cruel hasard les remet une dernière fois en présence, rejaillissent avec eux en nous les images devenues mythiques, celles de cette heure et demie de pur cinéma romantique et tragique dont le réalisateur américain nous a fait cadeau. Et l'on en vient, tels les protagonistes, à vouloir nous aussi sortir de la voiture, abandonner nos mornes vies, nous faire tremper par la pluie et oser enfin vivre pour ne pas mourir le cœur lourd de regrets et de souvenirs jamais enfouis.




mercredi 3 avril 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - Lemming



Alain Getty (Laurent Lucas), ingénieur en domotique, vit avec son épouse Bénédicte (Charlotte Gainsbourg) dans un quartier tranquille situé en périphérie de Toulouse. Un soir, Alain invite à dîner son patron Richard Pollock (André Dussollier) et sa femme Alice (Charlotte Rampling) ; mais le repas est rapidement interrompu par le comportement étrange et agressif de cette dernière.

La nuit venue, ne parvenant pas à s’endormir, Alain décide de regarder dans le tuyau d’évacuation de l’évier – Bénédicte lui ayant signalé qu’il était bouché. Il y trouve avec stupeur un petit animal qui ressemble à un rongeur…

Lequel rongeur se nomme lemming, un petit animal qui ne vit guère qu’en Scandinavie, et n’a donc très logiquement aucune raison de pénétrer la tuyauterie d’un pavillon moderne de la banlieue de Toulouse. Lemming qui symbolise, par l’absurdité même de sa présence, l’intrusion de l’irrationnel et du fantastique dans l’intimité d’un couple en apparence sans histoires. Trentenaires, tous deux enfants gâtés du système qui les fait vivre ensemble et s’unir, Alain et Bénédicte sont comme l’envers du couple formé par le patron d’Alain et son épouse. Un couple pervers, dont le mari incarne le danger, de part l’absence absolue d’interdits qu’il s’impose, et elle la figure de la mort. Il est bel et bien le patron, celui dont Alain, un ingénieur pour qui contrôler tous les éléments de son intimité est comme une obsession – il vient d’inventer une webcam volante dont la mission est de prévenir tout problème domestique au cœur de la maison – est le salarié préféré comme la cible. 

Ainsi le besoin de contrôle d’Alain sur son environnement, ainsi que la normalité presque caricaturale du couple qu’il forme avec une femme en apparence tout à fait dans le rang – et dont la progression de l’intrigue va révéler au fur et à mesure un tout autre visage dont nous ne saurons jamais avec certitude si ce second visage est réel ou s’il n’est pas la création pure de la névrose qui envahit son mari –, ce besoin de contrôle va subir une succession d’accidents crescendo et faire exploser les conventions. Et faire se fissurer le concepteur qu’est ce jeune ingénieur trentenaire.

Dominik Moll, comme dans son opus précédent, Harry un ami qui vous veut du bien, aime confronter des opposés et traiter de l’intrusion dans la normalité d’un élément perturbateur qui va tout remettre en cause, et révéler le caractère de ses personnages au travers d’une épreuve initiatique. S’inspirant du cinéma de David Lynch, qu’il adore, et notamment de Blue velvet, dans lequel le personnage masculin principal, comme celui ici superbement incarné par Laurent Lucas, pénétrait lui aussi le dessous de la surface des choses, il créée une intrigue où l’anormal est comme le complément indispensable de la norme, voire sa conséquence. Formellement, l’apparition de l’angoisse et du surnaturel se greffent sur des intérieurs impersonnels voire glaçants, des maisons et des pièces faites de métal et de verre, avec des éclairages artificiels trop travaillés, entre l’ombre et une lumière aveuglante. Décors dans lesquels le personnage masculin est comme un rat de laboratoire se débattant avec ses peurs primales.

La vie du couple dit normal, nous suggère le cinéaste, n’est rien d’autre qu’un décor en trompe l’œil, une maison témoin dans laquelle un minuscule rongeur va pénétrer pour en faire dérégler tous les éléments un à un, un peu comme une horlogerie qui déraille. Le trouble, le sexe, la tromperie de l’être aimé, la tentation, le fait d’en savoir en fait pas tant que ça sur cet autre qui partage son quotidien, le retour du refoulé suivant le besoin de contrôler les choses – en somme, au travers d’une fiction décalée et emplie d’angoisses, interprétée par un quatuor d’acteurs à leur sommet, un jeu consistant à déséquilibrer l’existant en transformant un paradis artificiel en enfer intime.