Oliver Stone, qui est de la même génération
que Scorcese ou De Palma, est connu pour ses films souvent très engagés, qu’on
place à la gauche de l’échiquier politique, et dont le point commun est d’interpeler
et d’interroger jusqu’à la paranoïa la civilisation occidentale et plus précisément
le pouvoir américain dans ses ressorts les plus profonds. Et de le confronter à
d’autres points de vue et d’autres angles au moyen du cinéma, jusqu’à son
dernier film, une interview aussi passionnante que de parti pris de Vladimir
Poutine, qui on l’a vu fascine le cinéaste.
Lequel depuis son engagement dans la
guerre du Vietnam, tant sur le terrain qu’en termes politiques, semble être
revenu de loin et remettre en cause tous les fondamentaux des thèses d’état et médiatiques.
Ici il s attaque au travers d’un
film enquête à cent à l’heure éminemment subjectif – l’identification entre
Stone et le procureur joué par Kevin Costner est totale, le second étant un
double du premier – à une remise en cause totale de l’assassinat de John
Fitzgerald Kennedy tel qu’il nous fut compté par la commission Warren. Armé d’archives,
de lectures d’ouvrages contredisant entièrement la vérité officielle, et aussi
de ses propres enquêtes personnelles, Oliver Stone, trois heures durant, s’en
va avec un montage frénétique catapulter une à une toutes les pièces et thèses
du dossier et les retourner comme un gant, usant en l’assumant de la fiction,
elle même facteur évident au travers de l’émotion, du montage et du choix des scènes
reconstituées, de manipulation.
Parler de subjectivité assumée est
essentiel afin de ne pas d’un revers de main écarter le film, lequel en tant qu’objet
filmique regorge de qualités à la fois narratives et formelles. Car Stone le
citoyen est aussi et avant tout un metteur en scène, extrêmement talentueux
parfois, capable du meilleur comme du moins bon, mais ici à son sommet pour
tenir en haleine un spectateur et le conduire là ou il a envie qu’il aille, en
clair à reprendre le flambeau. C’est à vous de jouer, dira face caméra le
procureur Garrison après un procès d’une heure qu’il aura perdu.
JFK met donc en image un complot
ourdi par l’état profond et des agences comme la CIA contre le dirigeant américain
opposé à la guerre. Cette thèse dite complotiste est loin d’être la seule, et
certainement pas la plus générique, une autre existe qui fait porter le motif
du crime à la volonté du président défunt de lâcher face caméra aux américains
tout ce qu’il savait sur les véritables détenteurs cachés du pouvoir aux Etats
Unis, d’ailleurs il avait peu avant sa mort fait quelques brèves déclarations
sur ce sujet. Ce terrain-là, la thèse de Stone ne s’y aventure pas vraiment et
reste circonscrite à l’affaire de la guerre contre Cuba et de la Baie des
Cochons.
Quoi qu’il en soit, la dimension
exceptionnelle de ce sublime film politique qui s’inscrit comme un successeur des
meilleures œuvres d’un Costa Gavras ne dépend pas de la thèse de l’auteur mais
bien de sa capacité à mobiliser tous les moyens – manipulatoires par essence, j’insiste
– du cinéma pour non pas nous convaincre mais nous amener à nous affranchir de
ce qu’au dessus on voudrait que l’on croit.
Bien que s’achevant dans un dernier
tiers très américain – le fameux film de procès avec les bons et les méchants,
lesquels à la fin gagent contre le chevalier blanc de la vérité -, JFK demeure
avec le temps un brulot animé par une envie sincère, en prenant une caméra
stylo, d’interroger l’Amérique et de tacher d’en puiser la substantifique pureté
par le biais d’un art, celui du cinéma. Lequel art sert à déciller les regards
et se révèle ici un outil propre à faire trembler les colonnes du temple. Un
art – celui de la contestation – dans lequel bien des cinéastes américains ont
brillé.
Et sorti 12 ans avant JFK, un film francais qui m'avait mis aussi une bonne gifle : "I comme Icare".
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