Java 1942 : un camp de
prisonniers américains est dirigé par le capitaine Yonoi, un chef japonais à la
poigne de fer. A la crainte et au mépris qu’éprouvent les prisonniers et les
subalternes du capitaine à l’endroit de ce dernier, s’oppose la résistance
étonnante d’un soldat anglais, Jake Celliers. Face à son attitude provocante,
Yonoi devient de plus en plus sévère dans le but de faire plier le rebelle.
Furyo – Merry Christmast Mister
Lawrence, son titre original – fête le retour de Nagisha Oshima après le diptyque
L’empire des sens / L’empire de la
passion, qui fit scandale dans les années 70. Incarnant la nouvelle vague
du cinéma japonais dans les années soixante, le cinéaste, équivalent d’un
Mishima, n’en finit pas de film en film d’interroger, sans forcément user de
provocation, les interdits et les contradictions de la culture de son pays, et
d’exposer sur pellicule l’inconscient ou le transgressif. Ici l’homosexualité
latente et la fascination/ répulsion entre cultures différentes, sur fond d’impossible
dialogue.
Le capitaine Yonoi dirige de main de
maitre ce camp de prisonniers – en japonais Furyo signifie Prisonniers de
guerre. C’est un officier corseté par son éducation, par un code d’honneur
rigoureux et aussi par la culpabilité de n’être utilisé par l’armée qu’à garder
des captifs au lieu d’être sur le champ de bataille. Aristocrate dans l’âme, extrêmement
respectueux des enseignements tant religieux que militaires et nationalistes,
il offre à chacun un visage ferme et froid, et s’il peut de temps à autre faire
montre d’humanité il n’en reste pas moins apte à user de cruauté, selon les règles
auxquelles il obéit. Incarnant admirablement un empire sur le déclin, il se
voit confronté à un autre, sorte d’équivalent différent de lui-même en la
personne d’un autre officier, britannique celui-là, rebelle à son autorité,
tout du moins rebelle au joug que font peser les geôliers sur leurs prisonniers
de guerre. Un officier qui va fasciner Yonoi, le troubler en profondeur, faire
craquer le masque, au travers de ce que l’on sent rapidement être une attirance
à la fois physique et donc homo sans forcément être pour autant sexuelle – et aussi
humaine.
Car cet officier britannique que l’officier
japonais avait sauvé de la mort lors de son procès pour le conserver avec lui
en sa geôle est comme un retour de l’inconscient, une greffe impossible en ces
lieux ou à l’exception de ce Mister Lawrence, officier prisonnier lui capable
de parler avec les deux cultures, tous se regardent en ennemis. La guerre des
empires impose le mépris de l’autre, et ce dans les deux sens.
Figure christique quelque peu
provocatrice tout autant qu’incarnation à la fois masculine et androgyne, Jack
Cellier, incarné de manière fascinante par un David Bowie charismatique crevant
l’écran à chaque apparition, renvoie l’officier japonais à une fragilité toute féminine,
celle de celui qui est sujet d’un trouble qu’il entend absolument rejeter et qu’il
ne comprend ni n’admet. Fragilité rendant de fait toute la hiérarchie hyper codifiée
du campement caduque.
Le baiser que fera par provocation
le prisonnier a son geôlier équivaut à un suicide. Baiser qui fera s évanouir
Yonoi, et qu’Oshima filme de manière saisissante, au moyen d’un ralenti qui est
en même temps autre chose qu’un procédé technique simple de ralenti. A cet
instant ou la terre s’effondre sous les pieds de l’officier, le cinéaste éclate
littéralement le temps, et par cette figure de style illustre magistralement ce
qu’il y a doublement à perdre la face et à s’abandonner au refoulé sans pouvoir
faire quoi que ce soit.
Ce baiser de la mort conduira évidemment
à l’exécution du provocateur, lequel, vivant sous la culpabilité de n’avoir su
sauver son propre frère, semble être le gagnant du combat intérieur entre les
deux figures de l’autorité. Etre sacralisé par son bourreau, Cellier /Bowie,
cet être dont la blondeur tout sauf naturelle constituait comme un soleil
aveuglant autant ses compatriotes que ses ennemis, survivra en tant que symbole
au travers d’une mèche de cheveux que fort symboliquement Yonoi viendra
extraire de nuit afin de la déposer sur l’autel de sa maison. Son action au
sein du campement, nous confieront les deux derniers et merveilleux personnages
présents a l’écran a la toute fin, c’est comme une bonne graine qui éclot après
les combats et les haines.
Cette mèche de cheveux posée sur un
autel et ainsi sacralisée rattrape toutes les cruautés précédentes, elle est le
symbole même de l’humanisme de ces personnages interdits de par leurs cultures
et par les circonstances de se comprendre et de s’aimer.
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