vendredi 29 mars 2019

Chefs d’œuvre du 7ème art - Frenzy



On a pour habitude de considérer la fin de carrière de l’immense Alfred Hitchcock comme une sorte de sortie de route au regard de l’ensemble de son œuvre. Il est vrai qu’après avoir ouvert les années soixante avec deux purs chefs d’œuvre, Psychose en 1960 puis Les oiseaux trois ans plus tard, le maitre du suspens, reprenant Tippi Hedren, signa avec le troublant Pas de printemps pour Marnie que François Truffaut qualifia justement de grand film malade. Puis il baissa la garde avec Le rideau déchiré, dont une et une seule scène, absolument renversante, est à sauver – la fameuse scène du four. Enfin il se perdit avec un sous James Bond, sorte de coproduction internationale d’espionnage bancale, L’étau. Ces deux derniers titres étant en effet très en deçà des grandes œuvres du Maitre, lequel, en Angleterre dans les années trente mais surtout à compter de Rebecca et de son arrivée à Hollywood, aligna pendant plusieurs décennies une succession ininterrompue de de films majeurs. Son dernier opus, Complot de famille, sorti en 1975 dans une relative indifférence, clôtura une des filmographies les plus impressionnantes qui soient, filmographie qui aujourd’hui encore suscite de part le monde une admiration sans borne.

C’est sans compter Frenzy, sorti en 1972 et qui connut un véritable succès, que l’on peut considérer à la fois comme le dernier excellent Hitchcock – sans bien sur égaler La mort aux trousses, Vertigo et tous les plus grandes réalisations du cinéaste britannique – et un retour aux sources. Plus de trente ans après Les trente neuf marches, Hitch revient en Grande Bretagne, et pose sa caméra à Londres, c’est-à-dire chez lui. Pour une de ces comédies à suspens grinçantes dont il a le secret, inspirée des légendes urbaines autour du mythe de Jack l’éventreur – en clair les contes d’horreur de sa propre enfance.
Avec Frenzy, et ce dès le premier plan séquence plongeant sur la Tamise, où une caméra plongeante rejoint un groupe puis découvre le cadavre d’une femme étranglée, Hitch, avec une esthétique très séries policières télévisées des années soixante dix o combien éloignée de la magnificence de ses réalisations hollywoodiennes, plante le décor. Il s’agira, une fois encore, de reprendre un de ses thèmes favoris, celui du faux coupable, dix fois traité auparavant, que ce soit dans le film éponyme avec Montgomery Cliff, dans La mort aux trousses ou dans L’inconnu du Nord express. Face à un serial killer, la bonne société anglaise désignera une fois encore à tort un homme qui a le démérite d’être à la fois alcoolique et sans emploi, et qui devra fuir et prouver sa propre innocence.
Avec une crudité sadique à laquelle il ne nous avait guère habitué - on est loin du puritanisme d’Hollywood -, Hitchcock, au travers de la figure de ce meurtrier quelque peu ridicule auquel il ne pardonne rien – il en fait un authentique obsédé compulsif et une caricature de petit maraicher londonien – reprend ses thèmes de prédilection. Les perversions sexuelles du meurtrier lui fournissent l’occasion d’une scène d’étranglement au sadisme consommé, qu’il fait durer au delà du supportable au moyen d’une succession de plans serrés de la poitrine dénudée de la victime, de ses vêtements arrachés, de sa gorge qu’on étrangle et de ses yeux exorbités. Ne masquant aucun détail sordide, il va jusqu’à figer la morte dans une grimace quelque peu grotesque. Le rire n’est jamais loin avec ce réalisateur qui se délecte de filmer la souffrance en action tout en la reliant directement au plaisir sexuel du tueur.
A compter d’une demi-heure de film, la résolution de l’énigme est expédiée. L’identité du meurtrier étant résolue et donc évacuée, le maitre du suspens peut se concentrer sur ce qui l’intéresse le plus. Conduire par la main le spectateur dans une comédie policière avec un personnage d’inspecteur anglais jusqu’à la caricature, associé à une femme cordon bleu lui concoctant des mets on ne peut plus étranges. Et lancer l’intrigue dans une course poursuite où un innocent se débat avec la vérité et poursuit l’authentique meurtrier.
Film de divertissement haut de gamme et exercice de style brillant, tantôt effrayant, tantôt hilarant, Frenzy surprend encore de nos jours par sa modernité et l’aptitude de son metteur en scène à opérer de brusques changements de ton jusqu’à un dénouement quelque peu attendu.
Frenzy est resté dans les mémoires par la grâce d’une séquence anthologique que les spectateurs ne sont pas prêts d’oublier, et qu’Hitchcock place vers le milieu du film. Un concentré de vingt minutes de suspens vrillant les nerfs, fait avec trois fois rien sinon une absolue maitrise de la mise en scène. Le meurtrier, à la poursuite de la femme qu’il a étranglée, la rejoint dans une camionnette contenant des sacs de pommes de terre, dont un dans lequel est caché le cadavre. Lequel cadavre tient dans sa main la dague du meurtrier et donc sa signature, et que ce dernier doit absolument récupérer. La camionnette fonce dans la nuit, poursuivie par la voiture du faux coupable, feux avant allumés et aveuglants, le meurtrier, dans l’obscurité, cherche à tâtons le cadavre froid dans les sacs de pommes de terre, se saisit de la main, et casse les doigts de la morte un à un pour récupérer son bien. Là, dans cette scène muette glaçante, celui que l’on considère comme le plus grand spécialiste du suspens signe ce qui demeurera comme sa dernière très grande séquence de pur cinéma.

1 commentaire:

  1. Difficile de ne pas sourire car depuis Light maman ... aucun commentaire ...pourtant Hitchcock, ce n'est pas mal, mais si la petite minette le bat en popularité, c'est plutôt bon signe car l'Homme ne serait pas définitivement perdu ?!
    Kiss à toi douce petite Light... ainsi qu'à tes lascars.

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