Une représentante en produits de
beauté, la souriante Peg, découvre dans un vieux manoir un garçon laissé
inachevé par l’inventeur qui lui a donné la vie. A la place des mains, Edward
n’a que des ciseaux. Derrière cette apparence monstrueuse, Peg reconnaît un
être qui a besoin de l’affection d’une famille. Elle lui offre la sienne. Mais
dans le monde rose bonbon des gens normaux, Edward trouvera-t-il sa place ?
C’est entre 1990 et 1995 que Tim
Burton, pas encore sacralisé à Hollywood, mettra en scène ses plus beaux films.
Batman Le Défi, L’étrange noël de Monsieur
Jack, Ed Wood, et ce splendide Edward, sa première collaboration avec son
acteur fétiche et double Johnny Depp et le dernier rôle de son idole Vincent
Price. Film dans lequel toute la thématique centrale de l’œuvre de ce freaks de
Tim Burton irradie.
Au travers de la dernière apparition
au cinéma de Vincent Price, cette fois dans le rôle d’un savant apaisé et non
fou comme dans à peu près tous ses rôles les plus connus, Burton fait le lien
entre son univers cinéphilique – les films de la Hammer, Frankenstein, Edgar
Alan Poe … - et sa propre œuvre en construction. Price ou le personnage central
du premier court métrage de Burton,
Vincent, refusé par Disney, est donc le créateur d’Edward, auquel il n’a pu
mettre la touche finale, mort avant que de l’avoir achevé. Le film aussi
indique clairement la transmission de témoin, que saisit le cinéaste à la mort
du héros de son enfance.
Ainsi donc Edward, le freaks, l’a-normal
et aussi l’artiste, sorte de double de Burton lui-même, sera transporté et donc
intégré – tout du moins sa bienfaitrice le tentera – dans l’Amérique moyenne de
la middle class, sorte d’univers concentrationnaire hyper normé avec ses
maisons pastel uniformes, ses jardins entretenus méticuleusement chaque jour,
ses voitures colorées et brillantes de propreté, et ce ballet des allers et
venues à heure fixe des salariés dignes du cinéma de Jacques Tati. Ce monde-là,
celui de la norme, Burton s’en va sans l’accuser le révéler pour ce qu’il est –
une société humaine absolument inhumaine dans son rapport à l’altérité et à la différence.
A la méfiance succèdera la curiosité
puis l’envie d’utiliser Edward à profit de ses propres intérêts – métaphore des
relations entre producteurs et artistes ? -, puis, à compter du moment ou
ce dernier, jusqu’ici peu loquace, s’exprimera – tandis que l’artiste à compter
de son œuvre naissante tachera de prendre à son tour la parole, une parole forcément
différente de la novlangue collective, une parole forcément sensible, unique,
distincte et en cela dérangeant la norme – alors la collectivité se retournera
contre lui en une chasse aux sorcières.
Dès lors chassé par à peu près tous,
Edward s’isolera dans une tour d’ivoire, de glace plutôt, et créera. Magnifique
portrait de ce qu’est un artiste, un être à part, qui ne se mêle guère par précaution
à ses contemporains, lesquels l’admirent puis le haïssent parce que différent
et plus talentueux qu’eux.
Le fait qu’Edward en tant que création
soit non fini, que ses mains soient des ciseaux et des lames, qui lui rendent
impossible le contact physique avec autrui, qu’il lui faille veiller à ne
blesser personne simplement en touchant autrui, le rend de facto o combien plus
sensible et plus attentif au moindre de ses mouvements. Cette incapacité à
toucher l’autre, à lui tendre la main, sera sublimée, la nature ayant horreur
du vide, par le fait que ces membres dits monstrueux deviendront son instrument
artistique. La nature d’Edward, contrairement à celle des gens normaux, est de
faire du sublime, de ciseler des arbustes et d’en faire des œuvres d’art, c’est-à-dire
d’embellir la création, et de la pousser vers le merveilleux.
Quelle plus belle métaphore que
celle d’un cinéaste différent des autres s’appuyant sur ce que la norme
qualifie de tares pour façonner des joyaux ?
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