Jean-Baptiste Emmerich, né à Limoges, artiste peintre scandaleux et tyrannique mort à Paris, veut qu’on l’enterre à Limoges au cimetière de Louyat. C’est par cette phrase qu’il règle ses dernières volontés, lui qui voyait arriver la mort et ne voulait pas partir en laissant les autres en paix. Sous couvert d’enterrement, ce film dissèque une journée d’une quinzaine de personnages en crise, rassemblés autour d’un mort, dont la présence et le regard les faisait exister, qui ont perdu tout repère et se retrouvent obligés de se confronter les uns aux autres. Cet homme, en quittant ces vivants qu’il avait si fort influencés, les laisse face à des questions que sa présence faisait oublier.
Quatre ans après sa sublime Reine Margot, retour de Patrice Chéreau à
un sujet plus contemporain autour d’un enterrement d’artiste – qui pourrait être
lui compte tenu que les présents sont tous ou presque membres de sa troupe d’acteurs
– et de la comédie humaine qui virevolte à sa suite. Deux heures construites
autour de deux blocs narratifs et formels, un premier long d’une heure, le
temps du voyage dans un train Corail de Paris à Limoges, caméra à l’épaule. Et
un second, plus classique, plus huis clos théâtral aussi, l’enterrement et la veillée
dans la maison du frère du défunt.
Ceux qui l’aimaient dépendaient tant
de lui que sa disparition révèle à la fois les failles individuelles et les
conflits latents entre eux. Comme dans un portrait de famille au vitriol, les
survivants, loin de vivre un deuil, règlent avant, pendant et après leurs
comptes. Dans cet étalage d’immaturités, de blessures non cicatrisées et de rancœurs,
de trahisons et de mensonges, on retrouve quelque peu l’univers cancérigène de
la famille des Médicis telle que Chéreau la peignit dans son opus précédent, également
sa vision pessimiste voire tragique, ici semée de touches d’humour, de l’humaine
condition. Rares sont les purs, légion sont les médiocres, ceux qui prennent le
train car se mettant à la remorque de, et se retrouvant telle la cigale de la
fable démunis quand la brise fut venue.
Une fois encore le metteur en scène
de théâtre excelle ici à diriger une troupe de comédiens qui pour la plupart
ont du mal à exceller chez un autre que lui, tout du moins dont le talent ne
suffit pas à sauver ailleurs que chez les grands metteurs en scène des rôles
passablement écrits. Chéreau fut plus que leur metteur en scène, à la fois leur
découvreur et leur pygmalion, Vincent Perez, Pascal Gregory, Valeria Bruni sont
nés chez lui. Et la manière cinglante avec laquelle il les expose ailes brisées
après la mort du maitre, ne tenant guère en place, ne parvenant pas à faire
leur deuil, tourner la page et cesser leurs vaines querelles a quelque chose de
croustillant, à la limite de la misanthropie sur le tard. Vaillant jusqu’au
bout, Chéreau les magnifie tous néanmoins et leur sert à chacun un nouvel écrin
ou chacun joue l’anti héros qui est presque une projection réaliste d’eux mêmes.
La caméra, tantôt virevoltante tantôt apaisée, les fixe sur pellicule comme des
insectes tantôt affolés tantôt immobiles et perdus. Papa n’est plus, il va peut
être falloir commencer à vivre en adultes …
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