Un an et quelques après The ghost
writer, son meilleur film de ces vingt dernières années, Polanski rebondit en
adaptant en studio la pièce de Yasmina Reza, Le dieu du carnage. Une pièce
aussi courte et ramassée que possible, un authentique huis-clos dont la
dimension théâtrale saute aux yeux. Et qui en tant que véritable jeu de
massacre claustrophobique, constituait pour le cinéaste de Répulsion et de Rosemary’s
baby une sorte d’évidence. Lui
permettant au passage de régler ses comptes à la bien-pensance libérale américaine,
celle-là qui depuis les années soixante dix non seulement lui interdit de poser
un pied sur le sol des Etats Unis, mais le pourchasse – ils ne sont pas les
seuls – de leurs leçons, bonnes ou mauvaises, tel n’est pas le sujet.
Donc deux couples, et un
appartement. Un plan au début, un second à la fin, seulement, en guise d’aération,
et ça sera tout. Le lieu du carnage se divise en quatre plateaux distincts. L’entrée
couloir, à côté de l’ascenseur, pour les vraies ou fausses – plus souvent
fausses que vraies – entrées et sorties des visiteurs. Le salon en tant que
ring, là ou le combat aura lieu. La cuisine comme lieu ou l’on peut se défouler
sans être au cœur même du conflit. Enfin la salle de bain, comme un lieu ou
faire une pause est le seul possible.
Au commencement, une histoire de
gosses, l’enfant des visiteurs, lors d’une rixe, ayant cassé deux incisives à
celui des hôtes de l’appartement. Fort courtoisement – nous sommes dans la
haute société new yorkaise, tout du moins le haut de la classe moyenne, il n’y
a qu’à voir les métiers de certains et l’appartement des autres pour s’en
convaincre -, les parents du fautif viennent enterrer les conflits et faire
patte blanche, ce dont l’autre couple les remerciera cent fois.
En cette bonne société tout accord
se doit de donner lieu à un écrit, nous sommes au pays du droit et du contrat
par excellence. Donc les quatre relisent au tout début le texte d’un gentlemen’s
agreement. Lequel donne lieu à des demandes ponctuelles de remplacer tel mot
par un autre. Parce que tel mot pourrait laisser entendre que …, et que dans ce
beau monde WASP qui vote sans doute démocrate chaque mot compte.
A peine l’accord signé et les
visiteurs raccompagnés à l’ascenseur que la nécessité de poursuivre la négociation
s’impose, du fait de l’un d’entre eux, d’une dernière exigence, d’une
invitation à prendre le thé ou un cake, ou n’importe quoi d’autre qui permet à
nos quatre protagonistes de ne pouvoir se laisser se séparer aussi facilement.
L’enjeu dramatique joue sur cette fatalité, on devrait vu l’enjeu en rester là
mais non, il manque toujours un appendice. Et, ce faisant, dans cet étirement
du temps à devoir se supporter tout en feignant un accord de façade, on créée
les conditions pour faire craquer le vernis de la bienséance.
Laquelle se fissure peu à peu, à
cause d’un mot malheureux, d’une réaction trop à cœur, d’une conversation au téléphone
qui s’attarde trop, d’un échange surpris de celui qui s’entretient avec son
client et dont le fond même apparaît irrelevant. Le salon en soi, véritable
univers concentrationnaire ou tout est tellement à sa place que l’on ne peut qu’être
soit coincé debout soit vissé au fond du canapé, va au fur et à mesure devenir
le lieu ou toutes les coutures vont péter. Jusqu’au carnage du titre.
Cette réunion de deux couples qui se
donne pour objectif celui de la conciliation entre adultes suite à des
querelles d’enfants va plonger les quatre protagonistes dans une succession surréaliste
et drolatique de combats de chiffonniers infantiles, puis virer à une sorte de
boucherie sur le plan des rapports humains. En essayant toutes les combinaisons
possibles. Couple A contre couple B, femmes contre hommes et inversement, trois
contre un. Et ce, crescendo à compter d’un accident digestif du personnage joué
par Kate Wislet, qui, la malheureuse, vomit sans prévenir ses tripes sur la
table basse en verre et surtout sur le livre d’art préféré de la maitresse de
maison. Laquelle part dans les étages, hurle, puis s’excuse de s’être emportée,
mais intérieurement est déjà à bout.
A compter de, le décor bourgeois
accueillant devient claustrophobique et, on le devine, quelque peu puant. Chaque
personnage va donc vomir des mots à n’en plus finir et à tour de rôle, puis
deux par deux filer taper une crise à la cuisine, reprendre son souffle à la
salle de bain, puis repartir à l’assaut.
Le portrait fait par Yasmina Reza de
ces gens si bien éduqués qui à cause de leur hyper conformisme et de leur envie
d’imposer leur vision du monde à autrui se déchainent et en viennent à des
sommets de vulgarité – ce portrait finalement si juste, Polanski se délecte,
lui, sa direction d’acteurs et sa caméra hyper intrusive à le signer des deux
mains. Même face à ce qui apparaît comme un pur exercice de style – ou il
parvient sans problèmes à faire du cinéma et à le faire pleinement -, le
sulfureux polonais se pourlèche les babines à montrer le dessous de l’humanité,
celle qui se croit au dessus des autres, celles des nantis et des bien lotis.
Et c’est un carnage !
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