Nina –Natalie Portman, dans son meilleur rôle – danseuse
pour une compagnie new yorkaise, vit, à 25 ans bien passés, chez sa mère, elle-même
ancienne danseuse ayant arrêté – sacrifié, dit-elle – sa carrière pour l’élever
… seule.
Car le grand absent de ce duo fort étrange de mère et fille,
c’est à la fois l’homme et le père. Nina aussi est chez elle ou plutôt chez sa
mère confinée en une chambre d’enfant, de petite fille, de petite princesse,
une chambre rose remplie de peluches. Une petite princesse qui se soumet quand
même aux desiderata maternels, debout très tôt, régime permanent, et figures,
pointes, écartements. Sans compter ce corps qu’elle surveille, ces ongles qu’elle
taille de manière obsessionnelle, ces tenues, tutus et chaussons de danse,
totalement sacralisées, impeccables, devant être pile poile au plus près du
corps de la danseuse pour la servir.
Nina, cygne blanc, princesse aux petits pois, vierge il va
sans dire, qui n’arrête pas de travailler … et de saigner ! Et de
cauchemarder, y compris éveillée, des visions, des visions de sang, d’horreur,
d’épouvante.
Ce qui a été exclu et de sa chambre et de sa vie, le sang,
le sexe, la déflagration, le masculin, tout ceci apparaît en rêves, le
cygne noir gagne l’inconscient de la danseuse schizophrène dont l’image de la
petite princesse frêle et fragile ne couvre qu’une part, la moitié, pas
davantage, d’une personnalité reconstruite-déconstruite par une mère aussi
sadique et tarée que celle de Norman Bates et de Carrie.
Le contact de Nina avec le réel se fait par le biais de
l’école, des collègues danseuses, et du chorégraphe. Pour y aller, de la
chambre cage dorée à cet autre univers carcéral ou l’on est mis très jeune à la
retraite, un métro, sorte de tuyau inquiétant ou la jeune vierge est parfois harcelée
par un vieil obsédé qui lui tire la langue et lui fait des gestes obscènes.
Darius Afonosky, le réalisateur de Requiem for a dream et The
westler, est un cinéaste de l’inconscient hyper crasseux de l’Amérique, un
qui va fouiller les poubelles et exposer la crasse en plein jour. Ici, le sujet
observé c’est l’ensemble des désirs et des délires d’une poupée maintenue sous
cloche, sa face noire de cygne noir, celle qu’elle a tant de mal à donner à
voir dans ses chorégraphies, et que son metteur en scène, hypersexué, sorte de
Méphisto maléfique, va littéralement la contraindre à laisser sortir pour l’exhiber
sur scène.
Les démons rodent en coulisses, Le lac des cygnes de Tchaïkovski en est gorgé, la jeune Nina
obtient le rôle de danseuse Etoile et va devoir enfin extraire d’elle-même
l’indicible, le désespoir, le mal, le désir frustré, l’envie de tuer, le sang,
bref, le dépucelage. Sur scène. Un dépucelage obscène, forcément obscène, en
public, face au public.
Nina est livrée aux regards, aux appétits, aux jalousies, à
cette consoeur saphique et diabolique qui va lui faire gober une pilule
magique, la conduire dans un bar, la mettre en situation de se faire prendre violemment
dans les toilettes par un inconnu Enfin lui faire l’amour, la faire jouir et
donc enfin saigner.
Ce n’est donc plus le sang de ses ongles qu’elle lime avec
rage mais celui de son propre sexe. Ca y est, Nina, comme Carrie, la Carrie de
Stephen King dont elle est comme une cousine de folie furieuse, comme Carrie
élevée par une mère plus que dérangée, obsédée par la pureté du corps de sa
fille, mère qui n’arrête pas de revenir sans cesse sur la question, ne te fais
pas toucher, approcher, les hommes sont tous des obsédés, une authentique
témoin de Jéhovah que cette mère génialement interprétée par Barbara Hershey –,
Nina, donc, a fait exploser les coutures, la chambre rose devient rouge, la mère
qui voulait tant que sa fille prenne SA place à ELLE, la première, sur scène,
propre, rage de la voir en scène souillée. Ce diable noir, ce diable qui fond
sur le cygne, les deux faces d’un même personnage, le blanc, le noir, le pur,
l’impur, le vierge, le souillé.
Le spectacle commence, Nina est en larmes, la tragédie a eu
lieu, la voici devenue femme.
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