Faiseuse d’anges sous l’occupation,
autrement dit avorteuse. Hors-la-loi sous Pétain et son Travail Famille Patrie
encourageant la femme française a se multiplier. La France du Maréchal, c’est une France
qui à l’extérieur a capitulé devant l’envahisseur mais
à l’intérieur impose un joug moralisateur et réactionnaire.
Marie, l’héroïne éprise d’une liberté
simple, superbement interprétée par une Isabelle Huppert retrouvant dix ans après
Violette Noziere Claude Chabrol, est en cet enclos autant un contre-symbole
absolu qu’une victime expiatoire parfaite.
L’héroïne telle qu’elle nous est dépeinte par Chabrol
de manière naturaliste est tout sauf sympathique, elle a des aspects Madame
Bovary indéniables, elle n’aime point son mari, le délaisse
pour elle meme, et cherche à faire dans son coin un petit commerce grâce auquel
elle peut s’acheter un peu de cette liberté qui sous l’occupation
manquait tant.
S’épanouissant au fur et à mesure dans une société
irrespirable d’hypocrisie dont elle rejette toutes les valeurs,
Marie est une entrepreneuse avant l’heure, amie et
logeuse de prostituées, comme une incarnation de la femme moderne, celle qui s’affranchit de
la tutelle de son mari comme des repères moraux d’un pays occupé.
L’occupation est
pour elle une libération, elle nage à contre courant, tel un poisson dans l’eau. Marie est
comme une alcôve secrète au sein de Vichy, pour l’état elle est un
authentique poison, pour ses consoeurs les femmes un exemple de libération,
pour elle-même une actrice de sa propre vie.
Faisant son commerce avec force aiguilles à tricoter et savons, elle
devient comme un nom qu’on se passe discrètement sous la table, et plus sa
fortune augmente plus sa vie est en danger. Car ôter à l’état un enfant
c’est le trahir,
selon la doxa du moment.
Capturée, jugée, emprisonnée et condamnée à mort en 1943, Marie, la
veille de son exécution, aura dans sa cellule
ces mots, Je vous
salue Marie pleine de merde, le fruit de vos entrailles est pourri, qui à la
sortie du film en 1988 firent scandale, en même temps que La dernière tentation du Christ de Martin
Scorcese – au point que deux salles projetant les deux films furent à l’époque
plastiqués.
Treize ans après la loi sur l’IVG, l’avortement
faisait encore et toujours scandale. Ce n’est pas le
moindre talent de Claude Chabrol que d’avoir su, par
ce film aux accents aussi flaubertiens que balzaciens, inscrire sur l’écran un parcours de
vie qui se confond avec la quête de liberté.
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