Pétain
– ah ca, quelle histoire ! Entre le vainqueur de Verdun et moi, que de
liens, que d'aventures puis que de
déceptions ! Mais – ainsi va la vie, le temps fait son œuvre – je ne puis après
ma propre mort, à défaut de réhabiliter son action sous Vichy, que rendre un
hommage appuyé a cet homme d'une haute stature qui
aura veillé sur moi depuis mes années d'études
jusqu’au décollage de ma vie politique.
A
chaque étape il fut là, à mes cotés, il m'avait
distingué, intervint, je ne l'ai pas oublié, pour rehausser
mes notes, que les professeurs, jugeant mal mon indépendance de caractère,
avaient mis à un niveau plus bas que mon niveau réel, qui n'était pas mince. Je lui dois bien sur d'avoir intégré le secrétariat général de
la Défense Nationale, ou j'ai pu plancher sur le
projet de loi militaire. Je lui dois aussi à la fois conférences et ouvrages
que grâce à lui j'ai été conduit à écrire,
parfois de sa main préfacés, et dont l'un
d'eux fut, du fait des
options que j'y défendis comme du
refus de tenir compte de ses remarques, la cause première de notre discorde.
Le
maréchal fut héros de la Première Guerre Mondiale, il était entre les deux
guerres un mythe national. Hélas, porté par cette aura, l'homme Pétain mais surtout le militaire
ne parvinrent point comme je le fis à porter un nouveau souffle. L'armée demeura défensive et uniquement défensive,
des investissements majeurs furent négligés, bref, ca sentait le manque d'imagination et la stagnation dans les
hautes sphères et cela nous fut fatal.
Son
discours lorsque le pouvoir lui fit remis d'une
manière que je désavouai entièrement, je m'élevai
énergiquement en opposition. Non cet armistice n'avait rien d'honorable, c'était un déshonneur absolu, une honte
et une démission. Pendant toutes ces années aux postes de décision et de
commandement, le Maréchal s'était arque-bouté
rageusement sur une vision suicidaire et dépassée de nos armements et de nos
troupes, et ce fut cette vision ou plutôt son absence, c'est-à-dire l'erreur maintenue sur la durée, qui
causa cette défaite. Laquelle eut pu être non pas évitée – tant le déséquilibre
des forces était patent – mais retournée lors d'un nouvel assaut. Or nos hauts grades déposèrent
genou à terre, ils étaient dépassés par les évènements, trop vieux, trop usés,
et n'aspiraient qu’à une
confortable retraite. Je considère en mon ame et conscience qu’en tant que gradés
et qu’en tant que français ils firent plus que faillir, ils trahirent la nation
en même temps que leur mission.
Je
fus par eux, c'est-à-dire par Pétain,
condamné à mort et déchu, moi De Gaulle, de la nationalité française. Suprême
injure qui leur revint en boomerang du fait de cette Histoire qu’ils ne
comprenaient plus guère, la nationalité française dont ils prétendaient détenir
le trousseau n'étant plus sur le sol
français de leur fait, mais exilée à Londres.
Ce
furent donc quatre longues années d'inversion
des valeurs, ou le vocable de travail famille patrie masqua la honte, la
compromission avec la Gestapo, la police milice enlevant des filles et fils de
France pour les livrer à leur bourreau, tant d'autres vilenies. Il m'est difficile, pour tout dire pénible à
mon cœur, d'imaginer cet homme
que j'avais si bien connu à
la manœuvre. Sa vieillesse fut o combien un naufrage, la vie de cet homme, des
sommets de la gloire à ceux de la honte, résume presque à elle seule la mort d'une génération.
Je
refusai la peine de mort, j'oeuvrais pour la réconciliation
nationale, moi qui un temps m'alliai aux
communistes pour reconstruire. Il fallait tourner la page de ces années de
haine et de peine, il fallait pardonner, oublier, rebâtir, retrouver courage et
joie de vivre. Je me refusai à donner une tête, à lui faire payer à lui, si
age, si éteint en lui-même, pensez donc, la note.
Je
fis bien. Cela me permet, tandis qu’à mon tour j'ai passé de vie à trépas, de ne pas
regretter une décision qui m'aurait pesé sur le
cœur. De ce paradis où je suis, la clef vers Hadès n'existant pas, je n'ai pas eu depuis 1970 l'occasion de le croiser. J'eusse gouté, je ne vous le cache pas ma
chère Yvonne, des retrouvailles, à converser autour d'une tasse de thé.
Comme
au bon vieux temps …
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