samedi 12 mai 2018

Chefs d’oeuvre du 7ème art - Rashomon



Trois hommes, un bonze, un bûcheron et un domestique, surpris par une pluie diluvienne, se mettent à l'abri sous les ruines d'un vieux portique, Rashômon, dans l'antique Kyoto. Pour se distraire, ils évoquent un procès au cours duquel ils ont été cités comme témoins. Le bûcheron a découvert dans la forêt le cadavre du samouraï Takehiro qui, voyageant avec son épouse Masago, avait été attaqué par le bandit Tajomaru et lié à un arbre. Après avoir violé sa femme, le bandit libéra le samouraï et le tua en duel. La femme de la victime, toutefois, racontait une tout autre version du drame...

Ce fut Rashomon, Lion d'or au Festival de Venise, qui fit découvrir l'immense Akira Kurosawa au public occidental, et permit au-delà d'attirer notre attention sur la prééminence des maitres du cinéma japonais – Les contes de la lune vague après la pluie de Mizogushi, 1953, le cinéma d'Ozu … Ce chef d'oeuvre en forme de récit en kaléisdoscope autour de six versions, toutes aussi incomplètes et mensongeres d'un même fait divers, demeure plus de 75 ans après sa sortie une magnifique énigme qui renferme tous les secrets de l'ame humaine sans les délivrer.

Soient donc un crime et six témoins, fantome de la victime inclus. Mari, femme, amant, témoins, moine … tous les protagonistas directs et indirects content une version, un regard, lesquels entrent en contradiction et avec une impossible vérité et avec les témoignages précédents et suivants.

Cette importance du REGARD – celui du cinéma, le point de vue, l'angle de vision – pose sur le plan philosophique la question de l'impossibilité non seulement à savoir mais à exercer ici-bas un acte et donc une décision de justice. Ce à quoi le final livrant ses participants au désespoir conclut. Il est possible de conter, d'imaginer, d'inventer ou de mentir, il est possible d'inscrire autour d'un fait des cercles concentriques ou chacun va selon son regard, sa vision du monde et ses petits intérêts édicter une version. Mais en rien poser cette version comme authentifiée.

L'on retrouve dans ce scénario gigogne brillantissime toute la subtile pensée socratique, laquelle postule la nécessité de questionner sans fin et de sortir ainsi de la caverne. La quête de lumiere ne connait pas de terme, poser c'est-à-dire ancrer le réel dans une décision de justice c'est à la fois tuer le réel en le simplifiant et faire preuve de naiveté. D ou l'inutilité de toute justice humaine.

L'ame japonaise, sa subtilité ontologique, son relativisme épris de sagesse, sa capacite à oter les masques, à jouer de ceux-ci, à les mettre tous sur un pied d'égalité, à faire du monde apparent un jeu d'ombres, un theatre NO – tout ceci est au coeur-même de la réflexion de cette magistrale démonstration par l'absurde de l'absurdité absolue des choses de ce monde.

Et c est lui, Kurosawa, enfin révélé en Occident par ce 1er d'une très longue suite de chefs d'oeuvre inoubliables, qui, renversant d'un éclat de rire la table de nos petites certitudes, fait avec Rashomon son entrée à la table des plus grands. En imposant cette idée toute simple. Vos certitudes, Messieurs, ne valent rien.


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