Plus
de dix ans après Le Guépard,
Visconti retrouve Burt Lancaster et transpose, d’une certaine façon, son
personnage d’aristocrate en fin de règne dans la Rome contemporaine. Si le seul
titre que daigne ici porter le personnage est celui de professeur, il incarne,
comme le prince Salina, le dernier souffle d’une société proche de
l’anéantissement. Violence et
Passion est aussi l’avant-dernier film d’un Visconti déjà affaibli
par la maladie, ce qui change radicalement la donne : cette rencontre entre le
professeur vieillissant et les avatars d’une société corrompue par le
capitalisme est autre chose qu’une métonymie romanesque. Elle a la rage et le
tragique des questions de vie ou de mort.
On
peut considérer ce Violence et passion
comme le testament du grand cinéaste de Ludwig
et de Mort à Venise. Davantage
que dans son adaptation quelque peu académique du chef d'œuvre de Thomas Mann, il peint ici le
lent déclin d'un monde aristocrate,
le sien, au profit du vulgaire.
Le
film a pour unique décor l'intérieur de l'immense maison de ce professeur littéralement
envahi par des hordes de sauvages. Le monde du Guépard est sur sa fin au profit
d'une cohorte de saltimbanques
vulgaires et sans gène qui vivent aux crochets de l'ancien monde, se piquent de politique,
font l'apologie du
communisme tout en se vautrant sans débourser le sou dans le luxe.
Ces
pantins dont Visconti fait le portrait en se bouchant presque le nez sont tels
des automates bruyants, ils parlent sans cesse, bougent, rentrent à pas d
heure, font hurler des musiques tout en réveillant tout un quartier, méconnaissent
le silence et la méditation. Pire, ils se piquent d'être cultivés alors qu’ils ne font qu’effeuiller
des livres qu’ils lisent en diagonale. Pour eux la culture est un vernis, le
luxe un apparat, la conversation un pensum des lors qu’ils ne tiennent point le
crachoir. Leur boussole est l'intérêt, ils ont
toujours quelque chose à quémander ou à obtenir, ils ne donnent rien et ne font
que se servir.
La
relative passivité du professeur correspond à cet état d'ame du vieux Lion qui souhaitant se
reposer sans y parvenir du fait de trop de mouches s'agglutinant sur son museau finit par ne
plus bouger un cil. A quoi bon se dit-il en songeant à cet autrefois qui reste
gravé dans les bibelots et les meubles et les livres de sa maison à présent livrée
aux sauvages. Ce monde, celui de l'Italie
des années 70 ou se déroule l'intrigue, celle des années
de plomb et celle des mouvances révolutionnaires d'extrême gauche, ne l'intéresse guère, il ne le comprend ni
ne souhaite le comprendre, pour lui qui a l'expérience
en lui ce ne sont que des jérémiades et des gesticulations, ces mots, ces
phrases, ces questions, ces palabres, pour cet homme noble d'un Age avancé qui attend de passer à trépas
cela ne veut rien, absolument rien dire.
Il
vivra donc un champ du cygne confronté à cette violence du monde extérieur qui
s'est incrustée en sa
demeure comme la gale, et la souffrira en silence, se contentant de fermer les
portes et les fenêtres.
L'émotion éprise de nostalgie qui émane
du film est comme une confidence soufflée du bout des lèvres par le Prince
Visconti, d'essence noble faut-il
le rappeler ici. J'ai fait mon temps,
semble t-il nous suggérer dans ces longs travelings mélancoliques ou l'on voit Burt Lancaster enfin laissé
seul. J'ai donné mon écot, je
tire ma révérence et je m'en vais bientôt.
Fermez la porte s'il vous plait, ayez a
minima cette décence …
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire