Fin
de l'été 1912. Comme tous les dimanches, le vieux monsieur Ladmiral, artiste
peintre mélancolique, se livre aux escarmouches habituelles avec sa fidèle
servante Mercédès, avant de partir à pied vers la petite gare de campagne pour
accueillir son fils, Gonzague-Edouard, sa belle-fille, Marie-Thérèse, et leurs
trois enfants. Cette traditionnelle visite met un peu de joie dans sa vie et
dans sa grande maison, même si son fils se montre par trop rigide et ennuyeux.
Mais cette visite va être bouleversée par l'arrivée d'Irène Ladmiral, la soeur
de Gonzague-Edouard qui ne s'embarrasse guère de convenances. Son comportement,
mais aussi sa liberté, choquent beaucoup son frère...
Temps
suspendu que ce dimanche à la campagne de l'avant guerre qui évoque
le cinéma de Jean Renoir, mais aussi les tableaux de son père – la scène de la
guinguette …-, les premières photographies des frères Lumière, les œuvres de
Monet, Bonnard ou Vuillard et La
recherche de Marcel Proust. En cette journée ensoleillée ou les minutes s'écoulent
une à une, ou le
personnage de peintre admirablement incarné par le peintre Louis Ducreux s'endort
à l'ombre puis s éveille
à l apparition de sa
fille – Sabine Azéma, absolument splendide, surement son plus beau rôle -, le
plus insigne détail compte. Nous sommes à l'apogée et à la fin d une vie, à l'heure ou l'insouciance
n'est plus, ou le crépuscule peut à chaque instant tomber. Alors tout, en
ces instants d'éternité et ces moments familiaux, compte.
La
problématique du vieux peintre entre en résonnance avec les interrogations de
Bertrand Tavernier, cinéaste o combien plus jeune que lui. N'aurais-je pas fait
preuve de trop de classicisme, mon art pencherait-il vers l'académisme, n'ai-je
finalement pas loupé mon époque, vais-je au-delà-de ma mort disparaître sur le
plan artistique. Cette quête de sens qui est celle de tout artiste, lequel ne
peut qu’avoir une volonté d universalité et d'intemporalité, est profonde et
suscite du chagrin. Car le vieux peintre à la réponse, et celle-ci a tout pour le
rendre nostalgique, non seulement vis-à-vis de ce qui fut vécu mais vis-à-vis
de ce qui ne fut pas entrepris. Je n'ai pas osé, dit-il à sa fille en
substance, j'ai comme loupé le coche et à présent c'est trop tard.
Regret
qui entre en résonnance avec la problématique de cette éternelle amoureuse
romantique qui semble en permanence fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve,
et qui au contraire de son père et de son frère court en tous sens, virevolte,
rit, pleure, remue les objets, aère la maison et ouvre les volets clos. Cette
tornade de vie et d'amour frustré incarne en ce beau dimanche celle qui en pénétrant
l'écran catapulte le calme quelque peu mortifère de ce déjeuner sur l'herbe et
fait entrer la vie. Alors son père, la couvrant d'un regard amoureux, s'émeut
et revient à la vie à son tour. Et tous deux s'en vont vers le milieu d'après-midi
boire au bord du lac une citronnade et échanger quelques vérités gorgées de
sentiments à peine voilés.
Ce
superbe film de Bertrand Tavernier connut à sa sortie en 1984 un
inattendu triomphe populaire. C'était comme si nous spectateurs y avions
retrouvé le temps perdu, celui de notre passé, celui de nos familles éloignées
voire éclatées, ce parfum intemporel de ces instants partagés ou l'on se dit
peu et puis parfois beaucoup, ces mille instants magiques ou rien ne se passe
et ou assis dans le jardin ensoleillé et fleuri on contemple l'abeille butinant
la fleur, le vent dans les herbes folles, l'ombre sous la tonnelle et le
bruissement des pneus sur le gravier.
C'est
là la pure magie de ce
film intemporel puisant son inspiration à l'origine du cinéma des frères
Lumière. Nous faire revenir par bouffées ce Temps, le notre, en définitive pas
si perdu que cela …
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