Le
27 février 1933, dans une ville de la Ruhr, la famille Essenbeck célèbre
l'anniversaire du vieux baron Joachim, chef de la dynastie et maître des
aciéries qui ont fait la prospérité de toute la famille et qui ont rendu son
nom célèbre. Sa fille, la baronne Sophie, veuve de guerre et mère de Martin, un
jeune homme pervers, est la maîtresse de Friedrich Bruckmann, le directeur des
usines. Dans la soirée tombe la nouvelle de l'incendie du Reichstag à Berlin.
Les nazis vont désormais concentrer tous les pouvoirs dans leurs mains.
Bruckmann choisit de se rallier aux nouveaux maîtres, contrairement à Herbert
Thalman, un libéral hostile à Hitler...
Mettre
la main sur les aciéries et, au-delà, par incubation de l'intérieur, sur la famille Von
Essenbeck, une des riches familles de la noblesse allemande. En s'appuyant sur les plus pervers d'entre eux. En dérobant une part de leur
fortune. En faisant chanter Martin le dégénéré, celui qui se travestit en
Marlene Dietrich et attouche une petite fille – et au-delà ! En
instrumentalisant certains de leurs managers.
La
gangrenne est dans le fruit de cette famille de type fin-de-race dont on
pressent dès les premières séquences l'extrême
fragilité. Leur monde, s'en rendent-ils
compte, ou l'on compte davantage
de domestiques que de convives à table, est sur sa fin, il est un anachronisme
prêt à se faire dévorer par l'Hydre nazie. L'argent qui corrompt, le gout du
pouvoir, la tentation d'occire celui qui
limite ton pouvoir, l'envie de gravir les échelons
plus vite que la musique et de pactiser avec le diable, la soif de vengeance,
la détestation d'un des membres de sa
famille … Ces damnés, ces damnés de Von Essenbeck s'en vont un à un sombrer, les uns vers
la mort, les autres vers l'amoralité sans pardon
possible. Jusqu’à l'inceste.
Sur
fond de nuit des longs couteaux puis de massacre des SA par les SS – une longue
séquence archi érotisée s'achevant dans un bain
de sang, ou Visconti peint le passage d'un
monde de brutes à un monde de barbares sanguinaires – ou toutes les sexualités
sont débridées, homosexualité, sadomasochisme, pédophilie, inceste, tout y
passe ! – cette descente dans l'enfer
hitlérien contant l'abandon d'un pays au mal tend vers la tragédie.
Le toboggan de l'Histoire s en va de
chute en abandons, de trahisons en crimes, et laisse les quelques survivants, fantômes
sous drogues perdus dans les sombres pièces d'un château quasi vide, à des collisions
ou les bouches ne font que cracher et recracher amertumes et injures, ou les
silhouettes sombrent le long des couloirs, ou il ne reste plus rien qu’un
parfum de mort et de désolation.
La
distribution, prodigieuse, Dirk Bogarde, Charlotte Ramplin, Helmut Berger –
jouant admirablement faux -, Ingrid Thulin – terrifiante Lady Macbeth Médée incestueuse
– donne à l'ensemble un effet de
mythe, comme si ce qui se déroulait sous nos yeux provenait d'une des plus grandes scènes de théâtre
au monde. Et la mise en image avec tous ces travelings hypnotiques voire
intrusifs pour certains flanque le vertige.
L'immense cinéaste metteur en scène
compose un opéra macabre oppressant et intemporel, dont l'intrigue pourrait être transposée de
nos jours dans certaines familles fortunées. Le virus du pouvoir totalitaire
conduit les plus vils à commettre sous couvert d'anonymat les pires méfaits pour se
maintenir en état de morts vivants. L'abandon
à l'abjection équivaut à
une mort lente, à la mort de l'ame, à une fin
funeste – forcément. Il n y a aucune échappatoire. Jadis au commencement du
film peuplé de toute une dynastie, la table familiale est dorénavant presque
vide.
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