lundi 16 avril 2018

Chefs d’oeuvre du 7ème art - Fenêtre sur cour



A New York, Greenwich Village, par un été torride, le reporter photographe LB Jefferies se retrouve immobilisé dans son appartement après un accident. Seul avec le plâtre qui enserre sa jambe et le cloue dans son fauteuil, il s'ennuie. Pour tuer le temps, il épie ses voisins et pénètre chaque jour davantage dans leur intimité. C'est ainsi qu'il s'intéresse de plus en plus à Lars Thorwald, une sombre brute qu'il a surpris en train de se disputer avec sa femme. Il en vient à le soupçonner d'avoir assassiné la malheureuse. Lisa Fremont, qui visite souvent Jefferies, auquel elle porte une tendre attention, partage bientôt son obsession...

Auteur de premier plan de policiers à suspens, Alfred Hitchcock, il n’y a qu’à relire Hitchcock Truffaut pour s’en convaincre, fut aussi un théoricien du cinéma, de son pouvoir, de sa capacité à manipuler et jouer avec son spectateur tout en le faisant par le brio de la mise en scène réfléchir tant sur ce qu’il voit que ce qui fait qu’il voit ce qu’il voit.

Fenêtre sur cour, un des sommets de la carrière du maitre, propose une réflexion sur le voyeurisme et l’envie pour le voyeur, ici un photographe placé chez lui en position d’infirme, de pénétrer l’intimité de ce qu’il observe en cachette jusqu’à devenir acteur. En d’autres termes la proposition théorique consiste à inviter le spectateur à prendre la caméra, à s’impliquer, à imaginer à partir de l’observable un scénario, à tacher de diriger certains protagonistes. Bref à s’engager.

Ceci est le rêve de tout cinéphile, et le maitre du suspens titille en chacun de nous, assis dans la salle noire – équivalent de l’appartement de James Stewart plongé dans la nuit tandis qu’il observe sa fiancée, la superbe Grace Kelly, risquer sa vie sur l­’écran-appartement du supposé assassin – l’envie, via la peur de voir l ’être aimé se faire prendre la main dans le sac, de passer à l’acte, c est-à-dire quitter l’infirmité de celui qui se contente de regarder passivement.

Ainsi Stewart pour s’engager à compter d’un cadre fixe crée par la fenêtre sur la cour réorchestre t-il le cadre au moyen de plusieurs appareils, télescope, objectifs, il découpe l espace, zoome ici et là, et le suivant pas à pas par le montage, Hitchcock nous entraine en nous laissant regarder un homme qui regarde et attendre un homme qui attend. Malicieusement il joue sur le parallèle entre son héros et son spectateur, tous deux immobiles physiquement et tous deux mus de part la pensée par la capacité à voir au-delà-des apparences, à combler les trous, à broder jusqu'à voir enfin clair.

Ainsi passe-t-on de l’état de voyeuriste passif à celui d’acteur engagé, d’ou le suspens et les frémissements qui nous gagnent tandis que tels les personnages nous nous introduisons de nuit dans l’intimité d’un autre, ici soupçonné de meurtre. S’engager dit Hitchcock est synonyme de danger, et le malicieux cinéaste joue avec nos nerfs comme avec ceux de ses protagonistes. Fenêtre sur cour c’est, plus qu’un suspens, une expérience assez unique ou tout spectateur est conduit a traverser l’écran, à imaginer l’intrigue au fil des scènes, à co-construire le scénario, le cadrage et le montage.

On ne saurait plus intelligemment nous faire par la preuve comprendre ce en quoi l’art cinématographique, basé sur le montage, le visible et l invisible autant que sur le trucage, offre du réel une représentation subjective, discutable et donc manipulatrice. Qui mieux qu’Hitchcock a jamais aussi bien su jouer avec nous au jeu du chat et de la souris. Poussant l’ironie jusqu’à nous associer à un infirme impuissant …


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