mardi 3 avril 2018

Chefs d’oeuvre du 7ème art - Et vogue le navire



Juin 1914, dans un port italien. D'élégantes personnalités montent à bord du «Gloria», un paquebot en partance pour une croisière un peu spéciale. Orlando, un journaliste, annonce que le navire transporte les cendres de la grande cantatrice Edmée Tetua vers son île natale, où elles seront dispersées. Parmi les admirateurs de la diva qui seront du voyage se trouvent un archiduc autrichien et sa soeur aveugle, un couple d'aristocrates anglais, un ministre...

Dernier indiscutable chef d'œuvre de l'immense Federico Fellini, E la nave va recrée à partir d'un prologue et d'un épilogue muets un monde, un vieux monde dédié à l'art et complètement renfermé et sur lui-même et sur cet Art en passe de mourir.

Ce monde-navire est en soi comme une parabole ou le faux – regardez ce soleil comme il est beau, on dirait qu’il est faux, prononce un personnage – s'habille comme sur les scènes d'opéra et de théâtre des couleurs et des décors et des matériaux dont l'artifice dépasse parfois en beauté le monde dit réel. Il est aussi un cirque ou des pantomimes clownesques pour certains font leur numéro, avec ces répliques, mimiques, expressions qui sonnent délicieusement faux. Cirque si cher au cinéaste de Rimini, cirque des Clowns, de la Dolce Vita d'une certaine façon ou d'Amarcord.

Ce Monde, cet Art, cette Cantatrice dont tous vont déverser les cendres en une cérémonie grandiloquente sont tel le grand et le beau cinéma sur le point de basculer, nous sommes à l'avènement en Italie de la télévision Berlusconi. Et avec ses caractères et silhouettes décalées, Fellini comme toujours recrée un monde 100% artificiel et hénaurme, cocasse, drolatique, nostalgique aussi. Moult scènes on ne peut plus délicates émeuvent et émerveillent, cette cérémonie des verres que l'on fait tinter en une sonate magnifique par exemple.

Dans les entrailles du navire triment en nage les gueux et trône un hippopotame tout droit sorti de l'imaginaire débordant de l'homme de cirque Federico. Le ventre du bateau ainsi représenté avec tout autour ce feu des machines crachant des fumées et du vacarme, ce monde-là que celui d'en haut ignore jusqu’à ce qu’ils se décident en un caprice de nantis à venir y faire un petit numéro. On se croirait presque dans Titanic avec cette coexistence de deux mondes sourds l'un envers l'autre. Qu’ont à faire ces esclaves en sueur de ces vocalises quelque peu grotesques en ces lieux.

Le ton crépusculaire du film avec ces faux couchers de soleil résonne la fin des magiciens, ceux qui tels Fellini, artiste suprême et cinéaste suprême disposant de toutes les manettes pour recréer un monde imaginaire fait de rêves et de fantasmes, tel un Houdini. Avec lui nous redevenons enfants rieurs et émus et émerveilles par autant de beautés.


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