Paris,
printemps de l'An II (1794). La France depuis septembre 1793, est plongée dans
la Terreur. Danton, un député montagnard et l'un des leaders de la Révolution,
revient à Paris dans l'espoir de mettre un terme à la Terreur, mais il se
heurte au Comité de Salut Public, gouvernement révolutionnaire collégial qui
dirige la France, avec comme principales figures : Robespierre et Saint-Just.
Danton trouve des appuis parmi les députés : Desmoulins, journaliste qui, dans
son journal Le Vieux Cordelier, lance des attaques contre le gouvernement,
Delacroix et Philippeaux. Dans la nuit du 9 au 10 germinal an II (29-30 mars
1794), le Comité de Salut Public, en accord avec le Comité de Sûreté Général,
chargé de la police et de la justice, décrète d'arrestation les quatre députés.
Robespierre en personne vient défendre à la Convention le décret d'arrestation
qui est finalement voté à l'unanimité. Ils sont jugés, puis guillotinés après
un procès expéditif le 16 germinal an II (5 avril 1794).
Attention
double lecture. Très engagé politiquement, le cinéaste Andrzej Wajda nous parle
au travers du procès Danton et de son opposition à Robespierre de la Pologne de
1982.
Celle-ci,
sous le joug de Moscou depuis la fin de la seconde guerre mondiale, voyait
monter la contestation du peuple, depuis 1980 surtout et une forte hausse des
prix. La création du syndicat ouvrier Solidarnosc, conduit par Lech Walesa et
soutenu par l'Eglise, donna lieu à un durcissement du pouvoir, à l'interdiction
du syndicat le 11 décembre 1981 – six mois après la palme d or remise à L'homme de fer de Wajda ! -, à la
mise sous les barreaux de son leader, à la reprise du Parti Communiste par sa
tendance conservatrice, à la nomination du Général Jaruzelski et à la prise par
le pouvoir de la télévision.
C
est sur ce contexte tendu que Wajda inscrit sa lecture des années de Terreur.
Selon sa grille, Danton, homme du peuple, bon vivant, authentique révolutionnaire,
est comme l'équivalent de Walesa, et Robespierre, tenant du pouvoir, homme
froid, malade et éloigné des réalités, Jaruzelski et la tendance dure voire
sanglante du communisme étouffant dans l'œuf tout mouvement contestataire.
La
réalité historique, il est important de le souligner, fut tout autre. Dans la
vie Danton était riche et Robespierre bien plus apprécié des sans-culottes que
son compère. Tous deux étaient avocats, mais c'était bien Robespierre qui défendait
les sans grades et non Danton, lequel gagnait fort bien sa vie en représentant
les intérêts de puissants. La version officielle tend à nous présenter Danton
en martyr et Robespierre en bourreau, version que le film valide on ne peut
mieux, faisant de ce combat fratricide l'histoire d un chemin de croix ou
Danton s'en va tel un Christ être abandonné des siens avant de monter sur l'échafaud.
Laissons
de coté ce point qui n'a rien d'un point de détail, les historiens trancheront.
Des son ouverture le film de Wajda installe un climat extrêmement lourd qui
traduit admirablement cette époque de folie furieuse. Les rues de Paris sont
sales, le peuple affamé, il pleut à torrents, la musique, sorte d'opéra macabre
est on ne peut plus pesante, les corps sont lourds et les dialogues laissent
peu de place à la respiration. Ce ne sont point en ces années de terreur des
relations entre les individus mais des collisions. L'intérieur de Robespierre
suinte la maladie, son visage traversé de douleurs traduit la plus profonde névrose,
et le visage en sueur de Danton, son torse puissant, sa voix éraillée incarnent
une forme de résistance propre à un lion en cage qui se débat.
Les
scènes du Comité de Salut Public et plus encore celles du procès, aussi
nerveuses que les plus belles séquences de La
Reine Margot, culminent de violences, de cris, de rebellions, ca s'invective,
ca hurle, ca s'insulte à tout va, la pesanteur est partout et la folie gagne la
foule qui se presse en guenilles.
Portrait
admirable d'une révolution qui quatre ans après son déclenchement s'en va se
livrer au sang des guillotines dressées, sous un ciel noir et inquiétant. Oui,
c'est comme si Paris était livré aux démons, et la mise en scène hyper tendue de
Wajda, ici a son meilleur, s'en va puiser aux racines du grand Dostoïevski. Ce Danton c est vraiment Les possédés !
Comment,
pour parler plus de 25 ans après la sortie de cet authentique chef-d œuvre, ne
pas clôturer sur la performance absolument sidérante de l'immense Gérard Depardieu,
qui ici livre à mon sens la plus vertigineuse interprétation d'une carrière
riche en rôles grandioses et forts. Son incarnation du grand révolutionnaire
laisse pantois. Lourd, conquérant, puis las, se reprenant tel un lion enragé,
toujours en nage, le regard tantôt noir tantôt enflammé, et la voix, oui, la
voix tonneuse puis vers la fin totalement brisée. Cet immense acteur ne joue
pas, ne joue Danton à aucun moment, il EST Danton, il EST la révolution, la
vraie, celle qui résiste à l'injustice, à la froideur et au gout du sang. Dans
Depardieu il y a Dieu, jamais il n'en fut si proche.
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