Suzanne
ne sait que faire de ses 15 ans. Elle les laisse s'écouler le long de ses
vacances, qu'elle passe à répéter des scènes d'«On ne badine pas avec l'amour»,
de Musset, et à faire du voilier avec son frère, Robert. Quand elle s'offre à
des garçons, c'est en les choisissant soigneusement parmi des inconnus, sans
surtout vouloir se brûler au souffle des sentiments. Ses parents sont
fourreurs, à Paris. Le père n'en peut plus. Il le fait violemment savoir à sa
femme, accable sa fille de reproches puis prend la porte pour ne plus revenir.
Et tandis que la mère, tout à son rêve d'harmonie familiale, continue le
processus de destruction de sa famille, Suzanne, désemparée, ne sait plus qui
aimer, qui ne pas aimer...
Film
sur la dureté d'une adolescence sans horizon, A nos amours, authentique reportage sur la naissance d'une
authentique comédienne par un Pialat pygmalion, plonge dans le bourbier d'une
famille en décomposition ou l'absence d'amour semble contagieuse. La séparation
du père et de la mère, puis les coups du frère sur sa sœur, les scènes d'hystérie
de la mère, tout en cet appartement semble pour la si jeune fille irrespirable.
Parfois un amant, mais sans amour. Et puis une si belle scène en tete à tete
avec son père, la fameuse scène de la fossette.
Le
pessimisme naturaliste de ce grand portraitiste de la douleur que fut Maurice
Pialat se colore des splendides sourires et œillades de la si jeune et si
talentueuse Sandrine Bonnaire ici révélée. Et offre entre deux crises de nerfs à
ce diamant ses plus beaux éclats. Egalement ces plans si désespérés, Suzanne abritée
sous un abribus d'une pluie crachante, sur les accords du Cold Song de Klaus
Nomi d'après Purcell.
La
correspondance entre la fiction et les relations réelles sur le plateau entre
les acteurs et le metteur en scène créee des séquences qu’on croirait prises
sur le vif. La plus surprenante étant celle du retour du père, à table, pour le
mariage de Suzanne. En quelques répliques il va catapulter la fausse atmosphère
de fête, déshabiller Pierre Paul Jacques et parvenir à faire sortir son ex épouse
littéralement du cadre. Celle-ci dans la vie ne supportant qu’il soit lui
acteur et metteur en scène rentré en scène sans les avoir prévenus pour régler avec eux ses acteurs au moins
autant que ses personnages ses comptes. Il va donc littéralement et sous nos
yeux la dégager du plateau et lui administrer une gifle mémorable.
Cinéma
vérité et fiction s'entremêlent jusqu’au vertige. On est aux antipodes du cinéma
romanesque d’un Truffaut que Pialat détestait. Avoir été interdit ou presque de
tourner par cette nouvelle vague qu’il qualifiait de petite bourgeoise, le
misanthrope Pialat – ainsi le qualifiait-on à tort je pense – en effet réglait
par films interposés ses comptes à cette nouvelle qualité France. Par des
œuvres bolides avec des blocs narratifs compacts dénués de joliesse, des personnages
parfois sombres et violents, pour beaucoup peu aimables et peu aimants.
A nos amours fut le sommet de la
première partie de la carrière de cet immense réalisateur, mille fois copié et
jamais égalé. Une ode à l'amour de son actrice, et donc finalement le film d'un
père de substitution à sa splendide découverte. Le film sera à sa sortie un
triomphe public et critique, et un véritable tremplin pour un Pialat qui dès le
film suivant pourra enfin rassembler sur son nom des budgets conséquents.
Il
est aux yeux de ma génération – j'avais tout juste 18 ans à sa sortie – un
marqueur indélébile de la sortie de l adolescence, de la nécessité de prendre
son envol loin du nid et de tracer sa route vaille que vaille.
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