Delphine est l’auteur d’un roman intime et consacré à sa mère devenu
best-seller. Déjà éreintée par les sollicitations multiples et fragilisée par
le souvenir, Delphine est bientôt tourmentée par des lettres anonymes
l’accusant d’avoir livré sa famille en pâture au public. La romancière est en
panne, tétanisée à l’idée de devoir se remettre à écrire. Son chemin croise
alors celui de Elle. La jeune femme est séduisante, intelligente, intuitive.
Elle comprend Delphine mieux que personne. Delphine s’attache à Elle, se
confie, s’abandonne. Jusqu’où ira Elle, installée à demeure chez la romancière
? Est-elle venue combler un vide ou faire le vide ? Lui redonner du souffle ou
lui voler sa vie ?
Ereinté à sa présentation au festival de Cannes, le dernier Polanski
constitue pourtant un polar angoissant au possible du meilleur niveau, tout
droit dans l'inspiration de Fritz Lang – pour les 30 dernières minutes
-, d'Hitchcock et du Stephen King de
Misery. Incroyablement resserré dans son intrigue – pas une minute de gras ou de longueur -, il est également en
termes de mise en scène d'une rigueur folle.
L intrigue met en scène une écrivain du système à succès, laquelle est allée puiser dans son histoire familiale pour son dernier ouvrage. Lequel
créée une crise.
Ses enfants l'abandonnent et sa mère devient l'objet de cauchemars. Epuisée et à bout
de nerfs, cette signataire quelque peu naive et conformiste du pacte de Faust
vit fort mal ce succès qui assèche son inspiration, et rêve de dériver vers la
fiction, sans en avoir pour le moment les moyens. Bourgeoise jusqu'au bout des
ongles, elle ne sait et ne peut parler et donc écrire que sur
elle même et sur des proches qu'elle vampyrise – tel est du moins leur point de
vue.
De fait cette fiction va faire irruption dans sa vie terne sous la
forme d une femme prédatrice au rouge à levres écarlate, dont l'apparition immédiate
suscite, c'est criant, le danger. Criant certes pour nous spectateurs mais non
pour cette Delphine aveugle et quelque peu dépressive par
instants. Loin de la fuir elle va au contraire s'en rapprocher comme d une
sauveuse.
Cette femme dit exercer un métier de nègre – elle écrirait les
autobiographies de gens célèbres -, et se raconte peu. Quand elle le fait elle manie l'invention
et la mythomanie avec tout le brio d'un être qui contrairement à l'autre héroine sait monter
de toutes pièces une ou des fictions. L'authentique écrivain n'est
donc pas celle qu'on croit. Elle va donc progressivement investir l'intimité de la
romancière à succès avec son
consentement, faire le vide autour d'elle, prendre la main sur ses mails, son
emploi du temps, aller jusqu à l'incarner ou feindre de le faire pour des
happenings. Elle y parvient d'autant plus facilement que l'exposition de son
intimité sur la page
a quelque peu asséché l'intimité de cette Delphine.
Des lettres anonymes accusant la romancière de s'être
fait un nom sur le déballage des siens vont surgir et créer un climat
suffisamment inquiétant pour que la fragile fasse pénétrer la louve
dans la bergerie. Laquelle louve – elle s'appelle ELLE ou se fait appeler telle
– oscillera entre amical soutien et crises inquiétantes de colère subite.
L agneau se laisse envahir, et la louve ELLE la presse d'écrire ce qu'elle
nomme son Livre caché, c est-à-dire de poursuivre son sillon autobiographique. Se voyant
exposer des refus obstinés elle va dès lors refermer plus insidieusement le piège.
Alertée par un témoignage démasquant l'imposture, la romancière n a pas
oublié son projet
de fiction et tentera à son tour en cachette de faire de la vie romanesque de
cette nègre une
oeuvre littéraire. Elle demeure aussi une voleuse de vie, une imposture. Il y a
donc comme un double effet de manipulation entre ces deux femmes qui l'une et l'autre
tentent de se vampyriser. Une est fragile, l'autre pas mais toutes deux ont des
intentions cachées.
Basculant vers l'intrigue de Misery
lorsque ELLE conduit une Delphine handicapée par des béquilles dans
une grande maison de campagne et l'enferme, l'empoisonne lentement …
Jusqu'à ce que le final révèle un époustoufflant rebondissement d ou il ressort que les intentions et
donc le résultat n'étaient sans doute pas si néfastes que cela. Et met à nu l'auteure.
Ce polar angoissant au possible apparait comme une parabole sur un
monde, celui des écrivains du système, ou la notoriété nait de compromissions avec la morale et l'éthique, ou
rodent des dangers et des fausses réputations – les nègres ont bien
davantage de talents que les auteurs mis en avant par les grandes maisons, suggère le film.
Ou tout un chacun, embarqué dans une comédie sociale bourgeoise, assied son succès sur du
vide, l'imagination étant en ce petit milieu de fats lettre morte. Et ou manipulation,
tentatives diverses de vampyrisation de l'autre à des fins littéraires
abondent. Tout est fake dans la littérature du système.
Au-dela, comme un miroir réfléchissant une époque mettant en avant des médiocres sucant pour quelques mots le sang d'êtres
qui ne leur ont rien demandé et deviennent la matière de faux chefs d oeuvre. Le Paris
Germano pratin de BHL se trouve en filigrane plus qu'égratigné dans cette
adaptation d'un roman réussi de Delphine Le Vigan, qui elle-même avec ce livre quittait enfin
les sentiers de l'auto-fiction.
Admirablement adapté par un Polanski à son meilleur, celui de Répulsion et Rosemary
s baby. Et suprêment joué par Emmanuelle Seigner, toute en frémissements et
par Eva Green, aussi fascinante que terrifiante.
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