L'actrice
Eve Harrington reçoit la suprême récompense théâtrale de l'année, le Sarah
Siddons Award. Plusieurs témoins se rappellent son irrésistible ascension. Il y
a quelques mois, elle n'était qu'une admiratrice passionnée de la grande star
Margo Channing. Misant sur la sympathie qu'elle inspire à Karen Richards,
l'épouse de l'auteur dramatique Lloyd Richards, Eve parvient à faire la
connaissance de son idole. Celle-ci, bouleversée par le récit de sa triste mais
fervente existence, l'engage comme intendante. L'influent critique Addison De
Witt perce rapidement son jeu mais n'en souffle mot, attentif au drame qui se
noue. Lloyd Richards, qui écrit une nouvelle pièce pour Margo, se montre plus
naïf. Il ne tarde pas à succomber au charme ensorceleur et vénéneux de
l'irremplaçable Eve...
Manipulation
et ascension, ou comment une fausse colombe passe en quelques mois de la secrétaire
d'une vedette des planches à la titulaire du prix de la meilleure comédienne de
théâtre de l'année.
Avec
sa construction en trois flash back, Joseph Mankiewicz, auteur évidemment du
brillantissime scénario, décortique les manigances de cette arriviste aux mains
d'un critique de théâtre encore plus cynique qu’elle et dont il fera à son
corps défendant sa créature.
Dans
un monde de faux semblants ou les feux de la rampe attirent les papillons, la
tentation de se nourrir de la lumière d'une Etoile créée les vocations, et le
monstre de l'ambition pour soi-même nourrit de toute pièce l'envie de se hisser
sur la tete de ses semblables. Un peu de gloire mérite bien de se glisser dans
les valises d'êtres déjà sur la scène, non pour leur voler la vedette mais pour
s'enrichir à titre égoïste de leurs talents, de tisser à partir d'eux sa toile,
de se pousser des coudes avec le sourire.
Lors
d'une réception où apparaît la toute jeune Marilyn Monroe alors débutante,
Margo Channing tout en nerfs et en furie contrôlée nous prévient. Fasten your
seatbelts, its gonna be a bumpy night ! Ainsi cette dramaturgie du cynique
désir de se rehausser tend à ses spectateurs le spectacle d'êtres tantôt
fragiles tantôt prêts à mordre pour se faire respecter. Et la frêle Eve dont le
regard froid et faussement candide ne trompe guère – dès son apparition dans la
loge de Bette Davis on sent le subterfuge, sa voix ne trompe guère que la star
vieillissante – est comme l'abeille d un guêpier, celle qui s'en va prendre la
couronne de la reine à force de manigances et de ruses.
Le
monde, le notre, nous souffle de scène en scène le réalisateur scénariste, est
un trompe l'œil ou seuls les ambitions et les rapts permettent aux êtres de
briller. Les prix, les applaudissements, les succès, les noms en haut de l'affiche,
tout cela avec le temps a un prix en termes éthiques, on ne sait comment en son
temps Margo devint Channing, on la découvre des décennies après démodée par une
plus jeune et plus carriériste, tout aussi talentueuse sans doute, ca on ne le
sait guère, on ne voit point Eve sur les planches, on ne contemple que l'intrigante
sur les planches de la vie qui en coulisses tire les ficelles.
Le
castelet est une illusion qui a la vie dure. Les êtres de lumière se fanent,
certaines Etoiles s'éteignent et d'autres prennent leur place. Le noir et blanc
superbe de ce pur chef d'œuvre aux dialogues étincelants met bel et bien l'astre
en avant, fait sortir l'inconnue et l'innommée depuis l'anonymat sur le devant
de la scène. Eve se lève, prend son prix, prononce yeux mi clos son discours
fait de formules toutes faites et d'œillades faussement complices.
Et
ému le public applaudit.
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