dimanche 11 février 2018

Les pouvoirs d Expedit - extrait de SUNDANCE/Exode/vol.2


Ils partirent à l aube, Pierre au volant et Suzanna a demi assoupie sur le siège du passager. Derrière, Laure et Charles maintenaient les garcons endormis sur leurs genoux en caressant leurs chevelures. Dégagée au loin, la route se frayant un chemin au dessus-de l océan immobile en direction du sud était comme une échappée belle sur laquelle les pneus glissaient sans un bruit. En cette fin juin à cette heure si matinale, les insulaires s éveillaient à peine, et l atmosphère, irréelle, bercait les passagers en route vers une aventure encore point partagée.
« On y sera dans deux heures tout au plus, murmura Pierre. Tu verras, au prochain virage c est comme si on changeait de planète.
-       Je me laisse bercer, fit Suzanna en se penchant sur sa gauche vers lui en un sourire.
-       Première fois de ta vie que tu quittes le rase-mottes pour prendre de la hauteur, poupée. Ca risque de te changer.
-       Tu veux dire que je vais perdre mes repères ?
-       Va savoir …».
Pierre ralentit à l approche d un virage, et se tournant vers elle, lui adressa un clin d œil.
« Bienvenue en ce beau monde, chérie !
-       Purée ! ».
Il s amusa de la voir soudain se redresser en retenant son souffle lorsqu ils pénétrèrent dans l immense cirque. D une seconde l autre était sortie de terre une immense montagne escarpée, ouvrant devant eux un espace majestueusement imposant, à perte de vue.
« Ca te parle ?
-       Impressionnant !, lacha t-elle en passant la tete par la fenetre et en scrutant les cimes.
-       La tu peux dire que tu commences à découvrir d ou on vient.
-       On ? ».
Elle le scruta avec perplexité.
« Nous, maman !, intervint Expédit, qui, redressé sur les genoux de Charles, posa ses deux mains sur ses yeux.
-       Arrete, chéri, maman ne voit plus rien !
-       Si maman ! Si ! Si tu vois !
-       Pas si tu laisses tes mains sur …
-       Au contraire chérie, reprit Pierre. Ecoute ton fils !
-       Ecoute-le, reprit Charles en écho.
-       Oh oui ma sœur ! », conclut Laure en se penchant vers Suzanna et en pressant les mains d Expédit contre ses yeux avec les siennes.
Tournant légerement son regard en direction de son épouse, Pierre la vit lentement sombrer dans un sommeil profond, et son corps délicatement glisser vers l avant.
« Voila, reprit Expedit en frappant dans ses mains. Maman elle va voir ! Maman elle va voir !
-       Tu veux dire quoi mon bichon ?, demanda Pierre en ralentissant.
-       Ce qu il vient de dire, ni plus ni moins frangin, répondit Charles. Quand nous serons arrivés quelque chose aura eu lieu que nous découvrirons …
-       … avec joie !, poursuivit Laure, murmureuse.
-       Vous seriez pas en train de me changer la bourgeoise ?
-       Simplement l aider à ouvrir les yeux, frangin. Oublie pas, c est notre tour, t étais d accord et elle aussi…
-       J ai pas changé d avis petit frère.
-       Alors conduis et tais-toi, la route est glissante et tu n as pas le plan ».
A cet instant Expédit bascula des genoux de Charles vers ceux de Laure et, se redressant de toute sa taille et se penchant, approcha ses lèvres de l oreille droite de son père.
« A toi Papa, a toi !
-       Quoi biquet ?
-       Viens aussi ! Viens avec nous ! Regarde : maman a fermé les yeux …
-       Chéri je conduis et …
-       Comme tonton et tata. Et Valérian aussi !
-       Mais tu vois bien que …
-       T en fais pas papa, elle est très large la route ! Très très large.
-       Mais qu est-ce que tu racontes ?
-       Si tu fermes les yeux ca va faire comme la mer qui d un coup s ouvre en deux Papa !
-       Et nous précipiter dans le vide ! Expédit, fit Pierre en haussant le ton, rassieds-toi s il te plait et laisse ton père …».
Mais soudain il sentit ses forces lentement l abandonner et ses yeux se fermer.
« Je … Merde, putain mais qu est-ce qui se passe ?, balbutia t-il en voyant soudain l horizon se couvrir de buée et sa respiration ralentir.
-       C est tout doux hein Papa ? Pas vrai ?
-       Merde, j arrive meme plus à freiner et à  …»
Mais les sons resterent bloqués au fond de sa gorge, et il sentit le véhicule devier légèrement de sa trajectoire et se diriger vers le versant droit, tout contre le précipice.
« Jesus Marie Joseph …, murmura t-il effrayé en collant son dos contre le dossier de son fauteuil.
-       Hihi je suis là, ria Expédit en lui attrapant de la main une oreille. Vole, Papa, vole !  », lui murmura t-il tandis que ce dernier sombrait dans une nuit noire et que, soulevée de terre par une force surnaturelle, la voiture s élevait dans les airs, avec à l intérieur ses occupants assoupis.
Levant la tete et humant la lumiere blanche qui les avait embrasés, l enfant par légères ondulations parvint à se frayer un chemin vers l avant du véhicule, jusqu à se poser sur les genoux de son père endormi et a se saisir du volant. Au devant de lui il y avait un écran blanc, immense et tridimensionnel, sur lequel il pouvait reconnaitre passer au ralenti, de haut et de bas ou de droite vers la gauche, des silhouettes familières. Les scutant une à une, il sourit, s amusant de les voir flotter dans les airs les yeux clos, en cet univers ou seul lui pouvait voir ce qui à d aucuns se terrait.
« Mafate ! », murmura t-il en s emparant de ses petites mains du volant, et en faisant biffurquer la route, allant jusqu à délicatement, par petits mouvements circulaires, faire basculer le véhicule sur lui-même, afin que sa tete soit en bas et ses roues vers le haut – car ce qui un instant avant étaient haut et bas, en cette réalite-là n existait plus.
« Mafate, Père, Mafate ! », souffla t-il.
Et en une fraction de seconde la voiture fut aspirée vers l avant, précipitée en plusieurs bonds et rebonds, fenetres soudain ouvertes et portes brinquebalantes, passagers endormis secoués et se cognant sans se faire mal les uns contre les autres, avant de se soulever telles des plumes, de tourner en tous sens autour d un Expédit les sentant un à un le froler.
« Vole, Maman, vole ! Vole, Tata, vole !, s amusait-il tandis que le véhicule semblait lentement redescendre et ralentissait sa course aérienne.
« Vole, Papa Vole ! Ouiiiiii, murmurait-il sourire aux lèvres en un ravissement de chaque instant. Beau dans ma tete : beau ! ».
Un filin sembla descendre alors de la voute céleste, et  s accrocher au véhicule comme pour amortir sa descente sur la crete de la montagne.
Celle qu Expedit, yeux grands ouverts sur l immensité des deux cirques, visualisait mieux que tout ce qu il avait jamais visualisé depuis son premier souffle.
Lentement les portières s ouvrirent, et un nuage de lait saisit un à un les occupants du véhicule, et les déposa chacun sur un tapis de mousse, tout en haut, à la cime la plus haute des montagnes surplombant les deux cirques, à la frontiere-meme de deux civilisations tout étrangères l une à l autre depuis la nuit des temps.
L enfant quitta le dernier le véhicule, et celui-ci fut aspiré dans les airs comme par magie et disparut, les laissant tous les six seuls sur un petit talus juste assez grand pour les y accueillir allongés les uns contre les autres.
« Maman ? Tu dors ? Tu dors Maman ?, murmura l enfant penché contre sa mère en lui caressant de l index le front.
-       Qu est-ce …, balbutia Suzanna, entrouvrant un œil.
-       Pas bouger maman, c est haut et si tu vas trop vite tu vas tomber et …
-       Tomber ?, cria t-elle en tachant sans succès de se redresser et découvrant à ses pieds le vertigineux précipice.
-       C est beau hein ! Hein que c est beau, maman ! ».
Suzanna, affolée, jeta autour d elle des coups d yeux et apercut les siens endormis.
« Mon chéri mais qu est-ce qui se passe ? Ou sommes-nous ? fit-elle en attrapant son enfant et en le portant contre son cœur.
-       Pas peur Maman, pas peur ! Mafate ! Mafate !, fit-il en désignant du doigt l immense vallée sous leurs pieds entourée de hauts monts verdoyants.
-       Oui c est … Mais mon ange, pourquoi sommes-nous que toi et moi à …
-       Maman, murmura t-il en se serrant contre elle avec ses petits bras. Voulais juste toi et moi, au debut, rien que toi et moi !
-       Mon cœur, fit-elle en l embrassant et en versant une larme. Tu … tu connais ici ?
-       Maman : ici c est chez moi ! Depuis toujours ! Pas vrai que je vois du noir tu sais. Depuis tout bébé je vis ici et je vois ici. Ici !
-       Tu … tu veux dire que tu n es pas …
-       Dans ma tete ma maman d amour, ya plein de choses depuis toujours. Et la je suis content, parce que j ai dix ans et que donc je suis grand et que je peux enfin te raconter à toi qui est ma maman ce que je VOIS.
-       Oh, fit-elle en explosant en sanglots. Oh mon chéri, oh mon cœur ! Oh ma chair, oh mon bébé, oh mon enfant !, ajouta t-elle en tombant soudain en le innondant ses pieds de larmes. Et c est ton père et moi qui avons donné naissance à ce miracle ! ».
Elle surprit une main se poser sur son épaule, un visage s approcher du sien, de lourdes mains la soulever lentement de terre puis l enserrer contre un corps puissant.
« Tu sais donc enfin, lui murmura Pierre en la couvrant de baisers. Douce sorcière, ma si douce, eh bien oui, toi et moi oui. Nous y sommes enfin, avec lui, avec eux. A la frontiere. Nous allons enfin, pour un temps béni, passer DE L AUTRE COTE. Et y vivre des moments inoubliables ».
Suzanna leva vers lui son regard bleu et fut presque aveuglée par un rayon de soleil les embrasant tous deux.
« Oui …, lacha t-elle en se laissant glisser dans ses bras.
-       Je te tiens, je te porte. Je t emmène jusqu en bas dans mes bras. Le veux-tu ?
-       Oui mon homme, oui !
-       Tu es aussi légère qu une plume à present.
-       Notre fils a comme aspiré le venin. Ce qui pesait…
-       N est plus la et n aura pas droit de cité EN BAS.
-       Combien de temps mon amour ?
-       Le temps nécessaire ».
Le père tendit la main au fils qui vint se blottir entre ses deux parents, et poser sur chacun de leurs visages une main chaude et lumineuse.
« Avec toi et grace à toi fils !, reprit Pierre. Nous suivons ta voie. Veux-tu …
-       Tata et tonton se réveillent, regardez !
-       Hereuse ma sœur ?, questionna en un énigmatique sourire Laure en se dirigeant vers sa jumelle à pas lents.
-       C est que … Je …
-       Tu pleurais, belle-sœur, intervint Charles, à son tour tiré de son sommeil.
-       Oui oh oui ! Oui je pleurais oui !, repondit Suzanna en se serrant contre Pierre et en déposant sur ses levres un baiser. De bonheur ! ».


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