Par un matin banal du mois d’août de l’an 2009, je
décidai de mettre fin à ce que j’étais devenu. Après être
descendu avaler quelques cinq expressos, attablé à une
petite table ronde exposée à la lumière aveuglante du
soleil, et être ainsi resté plus d’une heure, désespérément
hagard et seul, je suis alors remonté chez moi et, me
traînant vers la salle de bain, ai saisi quelques fioles
d’anxiolytiques et de somnifères, en ai étalé le contenu
sur le rebord du lavabo, ai saisi un grand verre d’eau et,
lentement, très lentement, sans quitter mon reflet dans le
miroir embué, me suis contemplé avaler un à un les
comprimés.
Ce n’était pas la première fois mais la troisième, qu’en
près de quarante-cinq ans d’existence j’avais ainsi posé
un arrêt abrupt au cours des choses. Cette fois ci comme
les deux précédentes il ne s’agissait point de mettre un
point final en passant à trépas, non plus comme il se dit si
souvent d’alerter les proches d’un profond mal être, mais
de fixer, par un acte concret, brutal et sans équivoque le
désir de clore une phase de noirceur, comme rompre un
cauchemar en provoquant une petite mort, pour marquer
en soi et au travers du corps l’extrême nécessité de
détruire ce qui à l’intérieur me rongeait.
La première fois, à mes dix-neuf ans, sonna la fin de neuf
mois d’attente désespérée d’un premier amour mort-né,
et me précipita aussitôt dans l’âge adulte. La seconde, à
trente-cinq, me permit d’échapper aux assauts
destructeurs d’un fou qui, m’ayant trop aimé, avait
entrepris, après des mois de harcèlement, de me tuer. La
troisième ne s’expliqua que par la prise de conscience la
plus douloureuse, la plus difficile et sans doute la plus
structurante que j’aie jamais eu à faire jusqu’alors : ma vie,
dans ce que j’en avais jusque-là fait, pire que la mort,
n’était qu’une ombre.
Evelyne, que je payais pour ça, m’avait mis sur la voie.
Quand allez vous enfin vous affronter à l’essentiel, m’avait
elle interrogé, avant que de répondre, devant mon
silence, ces mots qui aujourd’hui encore me transpercent.
La merde. La merde qui est en vous.
J’y étais, j’avais plongé dedans, les mains, le nez, la
gueule dedans. Ca durait depuis des mois, du matin au
soir j’y plongeais, y suffoquais, me réveillant parfois en
larmes, dormant l’après midi, buvant des litres de vin le soir
jusque tard, marchant comme un zombi dans les rues
bruyantes d’un Paris soudain hostile, ne remarquant plus
guère que les vieilles femmes roumaines jetées sur les
trottoirs sous des monceaux de couvertures crasseuses, à
présent bousculé par les foules pressées qu’autrefois je
bousculais moi même de mouvements dédaigneux. Des
mois passés dans un état de terreur, à cracher tout ce
qu’un être peut cracher hors de soi, sang, sueur, vomis,
merde, rejeté des draps souillés par des torrents de pleurs
enfouis, hoquetant d’horreur de s’être enfin découvert
abandonné, livré à des pensées morbides roulant sur elles
mêmes comme des flots déchainés. Trois saisons entières,
traversées de mal en pis, à glisser de plus en plus
profondément dans le coeur d’un cyclone, essayant vaille
que vaille de se raccrocher aux autres, perdant pied en
résistant chaque jour de plus en plus douloureusement à la
chute. Trois saisons, neuf mois complets, combien de jours
et combien de nuits, à lutter contre le sentiment d’être
enseveli sous sa propre folie, comment ai je pu traverser
cette épreuve, aujourd’hui encore je ne sais où j’ai alors
puisé cette patience de ne pas en avoir fini plus tôt et une
bonne fois pour toutes, mais ce fameux matin là, ce matin
du mois d’août, je le sus, il était temps, il était plus que
temps d’y mettre un terme, cela avait assez duré.
Ce n’est que depuis que je puis comprendre un peu du
sens de ce geste, là, tandis que je m’abrite sous les
feuilles d’un cocotier, assagi sur mon île. Je peux
dorénavant saisir que sans cela, sans cette nécessaire et
salutaire déflagration, sans cet acte volontaire de
sombrer quarante huit heures dans un coma profond,
sans le long, très long mois d’hébètement qui suivit puis le
lâcher prise progressif où accepter sa condition fut
d’entre toutes l’expérience la plus dure que j’aie jamais
eue à accomplir, cette renaissance qui ici a lieu n’aurait
point été possible.
Il avait fallu cela, ce réveil à l’Hôtel Dieu le corps couvert
de ventouses, ces déjeuners avec mon père où les
larmes coulaient à flot sans raison, ces centaines de
kilomètres en voiture en direction du Lot où j’étais
incapable de prononcer un mot, cette semaine auprès
des miens où je ne pouvais faire autre chose que
manger et dormir, cette incapacité pendant des mois à
lire plus de trois lignes sans perdre le fil, ces heures le
corps plongé dans la piscine de la maison corse de ma
mère à ne penser à rien – cette convalescence où je
donnais à voir de moi l’image d’un homme absolument
défait et désarticulé. Lentement, à l’intérieur, la cire du
masque fondait.
Quatre jours après cette troisième tentative, j’eus, pour la
première fois de ma vie, une crise d’épilepsie, en plein
milieu d’un film, au cinéma des Halles. En un instant, sans
me rendre compte de quoi que ce soit, j’étais tombé de
mon fauteuil, à terre, m’étais mordu la langue avec une
force telle qu’il fallut deux mois de cicatrisation.
Lorsque j’ouvris les yeux, j’étais allongé sur un brancard,
sur la place de l’Eglise Saint Eustache, en pleine lumière.
Ce fut à cet instant que le choc tant attendu eut lieu.
Lorsque je vis les deux infirmiers, j’avais dix sept ans. Je
me suis mis à crier, à pleurer, à hurler que je voulais que
papa revienne vivre à la maison, que je ne voulais pas
que maman soit seule, qu’il fallait qu’ils viennent me
chercher. Pendant une heure, une heure, je suis resté
ainsi dans cet état, tandis que l’ambulance partait des
Halles, se lançait sur la route de l’Hôpital, entrait dans la
cour, me tirait en direction des urgences. Je n’arrêtais
pas d’hurler, j’étais abandonné, je voulais mes parents,
je ne voulais pas qu’ils se séparent… L’enfant blessé que
je n’avais pas laissé s’exprimer, celui que trente ans
auparavant j’avais réprimé, voilà qu’il se rappelait à moi,
et qu’il me cueillait en pleine quarantaine, sous les mines
sidérées des infirmiers, qui regardant ce grand gaillard
liquéfié appeler à l’aide son papa et sa maman,
détournaient les yeux, un rien gênés.
J’avais atteint le coeur, c’est ainsi qu’Evelyne accueillit
ce récit. J’avais plongé avec une telle rage dans ma
propre merde que le traumatisme d’une adolescence
secouée par huit années d’un naufrage conjugal s’était
retourné comme un gant. Tout ce qui n’avait pas été
donné, tout ce qui n’avait pas été exprimé, tout ce qui
était demeuré enfoui surgissait.
Trop occupés au lent jeu de massacre de leur foyer, mes
parents avaient négligé cette part sensible d’un jeune
homme à peine formé, qui cherchait ses repères en
lisant chaque nuit un livre entier, avait le premier posé les
pieds dans le plat en incitant le père à partir, sauvé un
soir sa mère d’une tentative de suicide, essuyé les insultes
de celle ci lorsqu’elle avait découvert le penchant de
son fils pour les hommes. J’étais parti le second de la
maison familiale, aussi vite que possible, fuyant ce foyer
infectieux où l’hystérie et la violence étaient devenus tels
que chacun des quatre s’était réfugié à un étage, et où
les seuls échanges, volcaniques, avaient lieu lors des
repas, entre les cris, les assiettes qui tombaient au sol, les
insultes, les pleurs, et puis ma mère qui les derniers temps
tombait dans les vapes presque chaque soir, tombait de
tout son poids à terre, les bras chargés des plats qu’elle
avait préparés, qu’on retrouvait évanouie en plein
centre de la cuisine, ayant perdu la mémoire, ne se
souvenant plus de rien, ayant oublié ses propres cris, ses
propres rages, jusqu’aux injures dont elle m’avait mortifié
quelques instants auparavant, tout ça parce que je ne
lui donnerais pas de petit fils, était ce ma faute à moi si
elle n’était pas capable de donner de l’affection à autre
chose qu’à un gosse, si elle ne comprenait rien aux
hommes, rien aux adultes, si elle avait eu cette enfance
emplie de haine et de mépris, si elle n’avait dû son salut
qu’à sa seule beauté, étonnante, stupéfiante même,
comment était ce seulement possible, cette femme si
belle devenue une harpie, elle à qui on n’avait certes
rien donné mais à laquelle la vie avait pourtant tant
accordé par la suite ?
Toute ma vie j’ai dû lutter contre ces femmes hystériques
et intrusives, habiles reproductions de celle que j’avais
décidé de quitter tant son pouvoir de destruction
involontaire m’avait heurté, à me donner des envies de
meurtre. Quand même, huit ans à vivre dans un bain de
violence, de quatorze à vingt deux ans, à intérioriser un
puissant système de défenses, à entendre soir après soir
sa mère hurler, vociférer, harceler un père qui reste là, la
bouche serrée, le regard baissé, à endurer sans rien dire
ces assauts jusqu’à ce qu’à un moment il lui soit
impossible de faire autre chose que de quitter la table et
s’enfermer dans son bureau du premier étage, à résister
contre les intrusions incessantes d’une mère devenue
marâtre qui entre dans ma chambre alors que j’ai dit
non, soulève les draps alors que j’ai seize ans et que je
dors nu, fouille les affaires à la recherche d’on ne sait
quoi, me demande cent fois si je suis d’accord avec elle
quand elle dit qu’en France il y a trop de bicots et de
nègres, hausse le ton quand je lui dis que ce qu’elle dit
me fout la gerbe, hurle puis fond en larmes, injurie
certaines de mes amies venues m’extraire de ce
cloaque en leur disant qu’à leur âge sortir avec un
garçon pas même majeur relève de la perversité, fond
sur moi les yeux embués de larmes en me disant qu’elle
m’aime, que je serai toujours son tout petit, me force à
soutenir ses accolades, se presse contre moi qui ai
horreur de ces assauts malsains, m’assaille de questions
sur mes prétendues conquêtes…
Lorsque je l’ai retrouvée dans son lit un soir d’hiver mille
neuf cent quatre vingt sept, suante, le corps décharné
par des mois de malnutrition, avec toutes ces boites de
médocs vidées, qu’il a fallu appeler les pompiers,
répondre juste après à un couple d’amis affolé venu en
renfort et qu’il a fallu rassurer, forcer la main de mon
père pour qu’il vienne la visiter dans sa chambre
d’hôpital, lorsqu’il a fallu bien trop tôt, bien trop jeune,
accepter cette dangereuse inversion des rôles, devenir
le père de sa propre mère, celle là même qui trois ans
auparavant, alors que la veille j’avais, ivre mort, avoué
dans un sanglot être tombé amoureux pour la première
fois de la vie et avoir été quitté, elle m’avait, devant le
père, devant la soeur, traité de pédé, en disant qu’on
allait tout de même pas plaindre un pédé, écouter les
chagrins débiles d’un pédé… Lorsque tout cela a eu lieu,
à un âge où j’étais pourtant si incomplet, si frêle, si
fragile, si paumé, j’avais pris à bras le corps le rôle
délaissé du père et de l’adulte, j’avais alors, je le compris
bien après, pris une impasse aux retombées fâcheuses,
perdant des décennies, évoluant sans boussole au gré
des circonstances, construisant une carapace, me
construisant moi même en rébellion, en opposition à,
sans jamais, à aucun moment, m’appuyer sur quoi que
ce soit de ferme.
Comme le bras solide d’un père, comme le coeur
apaisant d’une mère.
Avec tout leur amour, réel, parfois vénéneux, toujours
bienveillant en dépit des circonstances, ces deux là, tant
aimés, avaient intériorisé l’inversion, la seule dans leurs
rôles de parents qui aurait dû compter.
Très naturellement, c’est vers l’un puis l’autre que je me
suis tourné lorsqu’eut lieu cette déflagration. Personne
d’autre qu’eux n’avait alors le devoir de faire ou de dire
quelque chose. Ils me virent alors, âgé de quarante
quatre ans, ce gars si volontaire, si entreprenant, si fort
en apparence, si entouré, revenir à eux la mine défaite,
les regardant séparément comme on fixe un ciel sans
étoiles, élever vers eux un regard implorant et leur
demandant de l’aide, au secours papa, au secours
maman, qu’est ce qui m’arrive, pourquoi moi, pourquoi
ça m’arrive, ça, à moi, s’il te plait aide moi, fais quelque
chose…
Ils furent là, vraiment, mais vraiment ne purent rien faire,
car c’était trop tard, trente ans s’étaient écoulés, leurs
jeunesses s’étaient éloignées, à présent ils avaient besoin
de paix, ils aspiraient à ça, et ils avaient bien raison, et
moi je débarquais, leur demandant des comptes en leur
imposant, pire que ma détresse, la leur, celle de parents
qui comme beaucoup avaient fait de leur mieux, c’est à
dire somme toute pas assez.
Alors, une semaine après être sorti de l’Hôtel Dieu, mon
père me proposa de partir ensemble marcher dans les
rues de Paris, ce que nous fîmes pendant deux heures,
suivant un chemin que je connaissais bien, puis nous
nous assîmes en terrasse d’un café, il prit une bière, et là,
nous commençâmes à parler de lui, car sa femme et lui
étaient en grande difficulté dans leur couple, et là je
repris peu à peu mon rôle, nous reprîmes peu à peu nos
rôles, un père et un fils aux rôles intervertis, avec un plaisir
immense il faut dire, car l’émotion était là, à fleur de
peau, tant j’aime mon père, tant il est depuis si
longtemps un compagnon essentiel avec qui je
conjugue d’inoubliables moments, ce qui n’interdit pas
de savoir depuis longtemps qu’il n’a pas en lui la faculté
de me sauver de quoi que ce soit.
Alors ma mère, que je partis voir une semaine, sermonna
son mari avec qui j’avais eu plus que des mots pendant
plus de quinze ans, et d’ailleurs il se montra cette fois
d’une rare humanité.
Alors tous deux, couple cimenté par les abandons et les
blessures, m’accueillirent avec toute la tendresse et
l’amour dont ils étaient capables, et ils étaient, je le
sentis, capables de bien davantage et l’un et l’autre
que ce que j’avais imaginé, même s’il était dans la
nature de ma mère que de forcer les portes fermées,
aujourd’hui comme hier.
Ce fut surtout le visage désolé de ma grand mère qui me
fit prendre conscience de la douleur que j’avais imposée
aux miens. A ma demande on lui avait servi une histoire
de grippe A que j’avais contractée, et qui m’avait
assommé. Mais elle avait beau avoir quatre vingt dix ans
passés, elle sentait les choses comme personne, elle
avait deviné avant tout le monde que mon cousin
Stéphane, mort depuis vingt ans, se piquait, elle savait
qu’il avait contracté le SIDA, elle avait deviné que mon
père et ma mère allaient se séparer, elle avait compris la
même chose pour son autre fils et sa première épouse,
elle qui souffrait d’insomnies depuis toujours et
s’endormait devant le poste devinait les choses. Elle
m’avait quitté deux ans auparavant en pleine force de
l’âge, combattif, jouisseur, en parfaite forme physique et
me retrouvait à présent avachi, vouté sur la table en
formica, l’oeil éteint, ne disant mot. Tu sais j’aimerais que
tu te battes mon poulot m’avait elle dit, les bras le long
du corps. Mais elle je ne voulais pas la mêler à ça, elle
n’y était pour rien.
Car voilà, une fois de plus, mais cette fois hors clous,
reprenant une nouvelle fois cette place imposée par le
destin dans la tragédie familiale, dans la névrose de
deux familles croisées, ce rôle jamais vraiment désiré de
révélateur et de rebelle… Seulement voilà, dans ces
familles, celle de mon père, celle de ma mère, ces deux
familles où les tragédies se sont accumulées, comme s’il
fallait à ces lignées pathologiques livrer à échéance
constante un peu de chair fraiche pour que se perpétue
la race, voilà que moi je leur imposais soudainement ce
dont ils ne voulaient à aucun prétexte, le spectacle
obligé, obligatoire, insupportable d’une désolation.
Moi, le fils aîné, aîné des quatre cousins, dont l’un,
Stéphane, partit si jeune vers d’autres cieux, moi l’aîné
sans descendance, assumant avec arrogance cet état
de non succession, celui des quatre qu’on comprenait le
moins, qu’on redoutait le plus, celui qui osait, qui
verbalisait, qui mettait des ponts entre les différences,
celui qui de tous avait le plus voyagé, le plus baisé, le
plus aimé, le plus souffert, celui-là, donc, s’écroulait sur lui
même.
Il faut que tu te ressaisisses, murmura comme un seul
homme et d’une seule voix la lignée, sous-entendu nous
ne pouvons rien faire d’autre que ça, t’intimer l’ordre de
réagir, tel n’est pas notre rôle de te tenir à bout de bras,
nous autres n’avons pas cette faculté de faire fondre nos
masques, nous sommes empêtrés, alors s’il te plait
ressaisis toi !
Non. Encore et toujours cette indécrottable obstination
de celui qui ne reconnaît plus d’autre autorité que celle
de Dieu. Non, vous ne pouvez rien faire, non vous ne
pouvez rien faire pour moi, sinon cela, faire avec, faire
avec moi, tel que je suis là, défait, car ma défaite est en
quelque sorte vôtre, elle est passagère sans doute, mais
je ne vous éviterai point le déplaisir du spectacle,
faussement fort vous m’avez aimé, désarticulé vous me
supporterez.
Car je porte en ma chair les stigmates de ce que vous
vous êtes à tous caché. Différent je suis, différent je
demeure. Parfois pour votre plus grand bien. Car qui
allez-vous interroger, lorsque votre équilibre se lézarde ?
Qui ? Depuis combien de temps cela dure-t-il ? Eh bien,
calmement, je le dis, je le dis pour moi : c’est assez.
Evelyne m’avait un jour demandé si j’aurais aimé avoir
eu d’autres parents. Bien sûr ai je répondu, ce qui est
j’imagine d’une grande banalité. Pourtant Dieu m’est
témoin, les miens je les aime. Mais que m’ont ils
transmis ? Complice je suis, et depuis fort longtemps,
avec mon père. Mais est ce bien ce qu’on attend
seulement d’un père, la complicité ?
Lorsque je quémande une écoute, une réponse, un
chemin, j’appelle Dieu. Personne, dans ma famille, ne
peut quoi que ce soit. C’est plus fort qu’eux, dès que je
suis en manque, ils me parlent d’eux, et d’eux encore. Tu
devrais faire ci, tu ne devrais pas faire ça… Maintenant
que j’ai quitté la métropole pour l’hémisphère sud, ils me
demandent quand je compte revenir. Ici, ils sont
bienvenus.
Un jour j’ai écrit un texte où je m’imaginais enfanté d’un
serpent et d’une araignée. Simple défense, où
l’imagination passe par le biais de l’écriture pour extraire
hors de soi le poison. Il a fallu en passer par là, trente ans
de fuites et de rebellions, neuf mois de chute libre, un
appel à la mort, enfin un vrai lâcher prise, pour parvenir
à une certaine forme de détachement. Que de temps
perdu ! Et si tout cela avait été mis sur la table ? Et si ces
déjeuners et ces diners de famille, plutôt que d’être
consacrés à ce que chacun joue son rôle à la
perfection, sans sortir de ses petits clous, avaient été
utilisés à formuler les choses ? A dire par exemple, je
préfère x à y, et c’est ainsi, car la vie est ainsi faite ?
Plutôt que de masquer ces hiérarchies lâches derrière de
lénifiants discours ?
Cette déflagration a ouvert une porte qui en moi
demeurait fermée. Il fallait simplement affronter ses
démons, rompre, se détacher, et partir loin, au monde,
avec pour seuls bagages une grande valise et mon chat
Spiro.
Partir, quitter les siens, se défaire de ses peaux mortes,
pour respirer. Une
petite mort, pour renaitre.
Extrait de Une déflagration salutaire
Récit autobiographique
publie en 2011 Commande en ligne ICI – paiement sécurisé, livraison 8 jours
environ,