Sorti en 1995, La cérémonie
constitue avec Merci pour le chocolat
le sommet de la seconde partie de la carrière de Claude Chabrol, ce Balzac du XXème
siècle, entomologiste unique de la société bourgeoise française. Adapté du bestseller
L analphabète de l’anglaise Ruth
Rendell, le film plonge dans une France à deux vitesses ou nantis et petit
peuple se côtoient voire cohabitent sans jamais se comprendre, et ou les
efforts manifestes des uns vers les autres sont un à un voués a un irrémédiable
échec.
Le portrait de cette France, en l’occurrence provinciale,
fracturée à l’extrême serait vingt ans plus tard o combien accentué. Ajoutons
que le film, comme toute l’œuvre du génial cinéaste, évacue systématiquement
les populations d’origine étrangère de son portrait d’époque, ce qui en limite
sans doute un peu la portée sociologique.
Ici une jeune femme, Sandrine Bonnaire, pénètre l’univers
bourgeois de nantis interprétés par Jean Pierre Cassel et Jacqueline Bisset.
Parfaits représentants de cette caste aux mœurs et discours ouverts, tolérants
en apparence et animés voire pétris de bons sentiments, les patrons lui offrent
moyennant une chambre de bonne sinistre équipée d’un vieux téléviseur et de
fort modestes appointements l’insigne privilège de pénétrer leur demeure pour y
œuvrer sept jours sur sept. A côté, l’un et l’autre, elle surtout, font montre d’une
condescendante générosité à son égard, cherchant à se faire bien voir d eux-mêmes
en lui apportant telle ou telle chose lui manquant à leur sens, comme une nouvelle
paire de lunettes. Histoire dans doute de mieux voir le monde, enfin, tel qu’ils
le voient eux.
Leur attitude trahit le mépris de classe qui s’ignore, et
semble tandis qu’elle se lie d’amitié avec une postière qu’ils exècrent, se développer
avec les abus de pouvoir. Seule leur fille – Virginie Ledoyen – tache de
contenir les excès de ses libertaires et autoritaires parents et rivalise de
petites attentions … jusqu’ à un certain point.
Le duo formé avec la postière va, sur le mode des Bonnes de Genet, précipiter la jeune aide-ménagère
du mauvais versant, et la conduire jusqu’ au crime. Couple ou la pire tire la
moins pire vers le bas, couple infantile refusant la loi des adultes, couple
transgressif ou l’on macule éthique et savoir vivre, l’union des deux va
produire une succession de dérapages et déboucher sur un bain de sang. L’engrenage
est tragique en ce sens que sans cette fortuite rencontre la jeune aide-ménagère
avait quelque matière à prendre et à apprendre chez ses patrons, lesquels – les
femmes surtout – se montraient bien intentionnées et à défaut de généreuses, pédagogues.
Mais l’introversion pousse à choisir la facilite, et celle-ci conduit à l’échec.
Les exclues ne le sont point identiquement. L une –
Bonnaire – est introvertie à l’extrême et analphabète, et ne peut tomber le
masque sous peine de déchoir à ses propres yeux. Sa coéquipière, loin de la
soutenir, va l’entrainer du mauvais versant en la conduisant peu à peu vers la
haine de ses patrons. La postière, authentique irresponsable ayant donné la
mort par un incendie à son enfant par le passe, est, elle, une incluse car
fonctionnaire de La Poste mais n’a de cesse de faire reculer les limites. Ame vile
et mesquine, elle ouvre les courriers personnels, induit son amie vers le refus
des codes, attise sa bêtise et sa vulgarité et l’entraine vers la facilité. Profondément
médiocre elle tient le guidon –c’est elle qui conduit la 2CV - et s’en sert fort bien pour faire par
procuration ce pourquoi elle est sur Terre, à savoir détruire et salir autrui.
La scène de crime, cette fameuse cérémonie, se tiendra
dans la maison bourgeoise des Patrons, ces capitalistes matérialistes
snobinards tant hais, tandis qu’en famille ils visionnent habillés comme s’ils étaient
à l’opéra Don Giovanni de Mozart à la télévision, sur un immense écran plat.
Les deux intruses pénètreront par effraction, se faufileront tels des cafards jusqu’à
la chambre des parents. La, en bon électron du duo, la postière transgressera
la première en renversant le chocolat sur le lit blanc immaculé, déchirera les vêtements
de Madame dans la penderie. Et ainsi excitée, son amie la boniche, soudain muée
en soldate haineuse, armera les carabines et tirera la première.
Lutte des classes, nous avait dit Chabrol pour résumer
son propos. Certes, mais pas seulement. Film sur la folie entrainante de
couples mortifères et mal assortis ou plutôt assortis vers le mal et pour lui
par le seul élément des deux vraiment médiocre. Car la seule victime dans cette
affaire est cette petite bonne au début attachante, pas si méchante et si prisonnière
d elle-même, seule survivante du drame s’étant déroulé sous nos yeux. Et a présent
promise à un avenir aussi exaltant qui un mur de prison.
Même s ils meurent tous, les nantis s’en sortent bien, et
les pauvres dégustent. Constat implacable et désespérant, mais profondément
juste. Les Lelievre – ca ne s’invente pas - auront leurs articles à leur gloire
et la seule survivante sera filmée comme une pouilleuse par des cameramen
avides d’images sales pour JT. La morale est donc sauve et le monde bien
pourri.
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