De
mémoire de parisien, l’ouverture du Palace le 1er mars 1978 demeure
sans nul doute le plus incroyable événement festif jamais organisé à l’époque
moderne dans la capitale. Comme si, à force d’avoir écumé pendant quelques mois
les excentricités du Studio 54 depuis l’an passé, Fabrice Emaer avait creusé un
tunnel traversant l’Atlantique, d’où il avait importé tout ce qu’en Amérique on
savait faire comme personne pour faire des rêves les plus fous une réalité
tangible.
Ils
vinrent tous, et se bousculèrent à l’entrée. Wharhol, Dali, Amanda Lear, Harvey
Keitel et De Niro, Mick Jaeger, Paul Mc Cartney, Bowie et Iggy Popp, Hallyday
et Vartan, Alice Saprich, Delon et Belmondo, Romain Gary, Liz Taylor, Gloria
Lasso, Lauren Baccal, Bette Davis, Brialy et Romy, Catherine Deneuve, Kenzo,
Lagerfeld, Dalida et Orlando, Sheila et les B.Devotion…
Et,
clou de la soirée, Grace Jones, pour un récital haut en couleur. Vêtus par
Thierry Mugler de flamboyants costumes rouge, les serveurs, passant de table et
table, lancèrent dans les travées le show. Désignée égéries du lieu, Suzanna et
Pierre les avait recrutés un à un les jours précédents en écumant les
discothèques et les bars branchés de la rue Saint Anne.
« Encore
merci pour le coup de fil à Chirac. Ces cons de la sécurité ont bien failli
m’interdire d’ouvrir, fit Emaer en accueillant sa star.
-
Tu m’as
bien castée, petit malin, sourit-elle en attrapant la coupe qu’il lui tendait.
-
Il
viendra, finalement ? Il m’a dit qu’il ferait un saut.
-
Oh,
t’attends pas à un miracle, ici c’est pas son truc, je le connais. Grace passe
dans combien de temps ?
-
D’ici une
heure si tout va bien.
-
J’ai fait
un saut dans sa loge. Ca sniffe, ça baise et ça picole sec.
-
Avec elle
faut s’attendre à tout. Mais c’est une pro, elle assurera. Je l’ai vue se
mettre dans des états apocalyptiques, vomir en beuglant deux minutes avant
d’entrer sur scène puis faire le show comme si de rien était.
-
Il y a des
natures comme ça.
-
Grace est
insubmersible »
Elle
aperçut les deux silhouettes se détacher de l’ombre. La chevelure blonde de
l’actrice apparut la première, suivie d’un nuage de fumée.
« Catherine,
l’accueillit Fabrice. Catherine et Serge !
-
Bonsoir
Fabrice, fit-elle en levant sa main. On est à l’heure j’espère.
-
A cette
heure là il n’y a plus d’heure, fit Gainsbourg en ricanant nerveusement.
-
Ah mais,
arrête avec ça !, fit-elle en riant aux éclats. Il peut pas s’empêcher,
ces mains baladeuses, j’ai horreur de ça, moi.
-
Tu dis pas
toujours ça !
-
Ca t’apprendra
à vouloir sortir une bourgeoise, répliqua t-elle en allumant une cigarette.
-
Dieu fume
des havanes et sa belle se pavane, fit-il en l’agripant à la nuque.
-
Dieu fait
tomber sa cendre dans mon décolleté, fit-elle en s’écartant de lui pour
s’asseoir à la table d’Emaer. Bonsoir, fit-elle en remarquant Suzanna. Dieu,
ces cheveux, quel noir, c’est splendide !
-
C’est 100%
naturel, fit Suzanna
-
Oh
naturel, moi vous savez… La seule chose qui me reste de naturel c’est mon sens
de la répartie. Serge, lâche-moi un peu, tu veux ! Vas donc te chercher un
double scotch. Mais quel pot de colle !
-
Je la
caste, elle me castre, fit-il en se penchant vers Suzanna. Je l’aime, moi non
plus, once again. And again… »
Il
fit un pas en arrière, et s’évanouit dans un nuage de fumée.
« Je
vais pas tenir longtemps à ce rythme, fit-elle à Suzanna dès qu’il fut parti.
-
Vous
l’aimez ?
-
Je l’aime
bien. Je l’admire. Mais il est proprement invivable. Cette angoisse permanente
qu’il vous balance à coup de mains aux fesses… Heureusement qu’il y a le reste.
-
Le
reste ?
-
L’homme.
L’homme bien sûr. Et puis la musique. Et puis les textes.
-
Dark
Genius.
-
En
location je veux bien. Mais pas plus.
-
Vous allez
arrêter ?
-
Il fait tout
pour. Avec Bardot il a fait pareil. Elle l’a plaqué, vous avez comme moi
entendu le résultat.
-
Un chef
d’œuvre.
-
Oui »
Elle
avala une gorgée de champagne et se cala au fond du canapé.
« Ne
vous laissez pas happer par ça. Vous n’y pouvez rien, c’est comme ça.
-
Un à un je
les retourne. Il n’y a qu’avec Marcello
que ça s’est bien fini. On a fait un enfant. Il existe. Et puis Marcello, que
voulez-vous, lui, il est léger comme une plume. C’est moi qui, à côté, ai l’air
d’une baleine.
-
C’est
l’homme de votre vie ?
-
On a
plusieurs vies en une seule.
-
Il y a
l’avant et l’après Françoise ? »
Soudain
le visage de l’actrice s’obscurcit.
« Pardon,
fit Suzanna en caressant sa main. Je n’aurais pas dû.
-
Pourquoi ?
Vous dites les choses, c’est bien.
-
Mais ne
développons pas. Faisons comme Marcello. Allons danser.
-
Bonne
idée. Avec nos coupes ?
-
Ecoutez !
Sunny de Boney M.
-
J’adore.
C’est si gai.
-
Si
lumineux.
-
Le
soleil !
-
Le soleil
au zénith…
-
Pardon ?
-
Le soleil
au zénith me surexcite. C’est les paroles de la dernière chanson de Serge. Sea,
Sex and Sun, que ça s’appelle. Ca sortira pour l’été. C’est irrésistible.
-
Vous
venez ?, fit Suzanna en se levant.
-
Je vous
suis. Où allons-nous ?
-
Sous le
soleil exactement »
« Ne
vous approchez pas trop près »
Pierre
l’avait saisi par la manche, sans brutalité, tandis qu’il s’avançait vers
elles, un peu comme un insecte vers une ampoule brulante.
« Hey,
ça va, lâche-moi mec »
Pierre
lui fit face, et le regarda. Serge Gainsbourg semblait difficilement tenir sur
ses jambes. Il fit quelques gestes brusques avec ses bras, mais ceux-ci
manquèrent leur cible.
Pierre
se saisit de ses deux mains, et s’approcha de son oreille.
« Serge,
elle est là, t’inquiètes. Tu es venu avec, tu peux repartir avec.
-
De quoi tu
me causes man ?
-
De ton
soleil »
Il
surprit un voile dans le regard de l’artiste.
« Je
t’offre un verre, viens. On sera à quelques mètres, tu la verras, t’inquiètes.
La femme avec elle, c’est la mienne.
-
Putain mon
salaud.
-
Elle est
belle hein.
-
De la
bombe. Elle brûle non ?
-
Avant oui.
-
Tu l’as
dégoupillée ?
-
C’est pas
possible de dégoupiller une femme. Faut qu’elle le fasse d’elle même.
-
Comment
t’as fait ça ?
-
Je peux
pas te dire.
-
Mec, aide
–moi.
-
Je peux
pas Serge, sérieux. Je peux juste te dire de venir avec moi, et de les laisser
un moment ensemble, sans flipper.
-
Putain, le
stress.
-
Je sais
man. Je sens »
Il
lui toucha le cœur.
« Ca
bat fort.
-
A le faire
craquer
-
Il tient
bon.
-
Ca fait un
bail que je fais tout pour qu’il lâche
-
Mais t’y
arrives pas
-
Il est plus
fort que moi on dirait.
-
Ton cœur
c’est toi »
Serge
se figea un instant, et plongea son regard dans le sien.
« Putain,
mec, c’est beau ce que tu viens de dire
-
C’est
surtout juste.
-
T’es
sérieux pour le verre ?
-
Ouais mon
gars », fit-il en l’agripant et en le poussant presque de force en
direction du bar.
Pierre
l’entraîna vers un canapé, les deux verres à la main.
« On
trinque à quoi ?, fit Serge.
-
Au soleil.
Au soleil qui réchauffe.
-
Il me
crâme.
-
J’ai connu
ça
-
Tu t’en es
sorti ?
-
Pour
l’instant.
-
Ca dure
jamais éternellement
-
Je sais.
Trinquons à l’instant plutôt.
-
Ouais. Ca
c’est une idée qui me plait. Ton nom c’est quoi ?
-
Pierre.
-
Comme un
roc ?
-
Qui roule.
-
Tu
roules ?
-
Pas dans
la farine. Je danse, mec. Je reste pas immobile. Je glisse.
-
T’as l’air
heureux.
-
Je le
suis.
-
Ca fait
longtemps ?
-
Pas tant
que ça.
-
Et
avant ?
-
L’enfer
-
Vraiment ?
-
Pire que
toi.
-
Qu’est-ce
que t’en sais ?
-
Je le
sais »
Gainsbourg
plongea son regard embrumé dans le sien, et resta interdit.
« La
braise, man. Putain, t’en as chié.
-
L’instant,
mec
-
L’instant
c’est qu’elle est là à se dandiner et que je picole
-
Sirote et
admire-la. T’as la star que tout le monde veut, et tu te lamentes.
-
Je suis un
pauvre connard.
-
T’es un
sacré artiste aussi
-
Ca va
ensemble
-
Pas
forcément. Mais faut que vous dégustiez, vous les artistes. Je veux dire les
grands
-
Je fais de
l’art mineur
-
En do
majeur
-
Bien, man.
Tu me plais »
Il
avala cul sec son whisky, et rota.
« Cul
sec et bite molle. Un vrai nullard de juif, que je suis
-
T’es au
zénith, les pieds dans ta merde
-
Avec la
plus belle femme du monde
-
Avec
Bardot
-
Après
Bardot
-
Tu te les
es toutes faites mon cochon
-
Je me les
fais pas. Je les honore, nuance.
-
Avec des
poèmes ?
-
Et des
caresses.
-
Tu es pas
bon au lit ?
-
Je suis un
gros naze au lit, je bande mou. Mais elles s’en fichent. Elles baisent
ailleurs. Ce que je leur offre, moi, personne d’autre ne peut
-
Tu vois
quand tu veux
-
Je suis
lucide, tu sais. La bibine m’aide à voir clair.
-
Tu sais
que tu vas la perdre.
-
Bien sûr
que je sais. C’est quand elles s’en vont que j’écris le meilleur. Je t’aime moi
non plus ça s’est passé comme ça. Sauf Jane. Elle je sais pas pourquoi, elle
reste
-
Elle
t’accompagne.
-
Elle
partira aussi
-
Elle
t’aura apporté ce qu’aucune autre ne t’aura apporté.
-
Charlotte.
-
Ta
fille ?
-
Mon
diadème »
La
scène s’éclaira, et la musique s’éteignit
« C’est
Grace Jones, fit Pierre.
-
Et allez,
encore une chaudasse !
-
Tu la
connais ?
-
Elle m’a
foutu la main dans le fut, un soir. Je bandais mou, cette conne s’est acharnée.
-
Et alors ?
-
Elle est
arrivée à ses fins. J’ai giclé dans sa main. On était à table. Elle a tout
léché.
-
Elle a pas
froid aux yeux.
-
Dans le
genre chaudasse, c’est la tête de gondole. Elle est démente, et drôle en plus.
-
Tiens,
voilà nos femmes »
Suzanna
et Catherine s’assirent à leur côté.
« Ca
va ?, demanda Catherine à Serge en passant son bras autour de son cou.
-
C’est le
mec de ta nouvelle copine. Il s’appelle Pierre.
-
Ah
bonsoir ! Je vous l’ai empruntée, ça vous dérange pas ?
-
Suzanna
fait ce qu’elle veut. Vous pouvez même vous bécoter si ça vous tente.
-
C’est déjà
fait.
-
Elle
embrasse super bien
-
Moi aussi
vous savez
-
C’est une
proposition ?
-
Appelez ça
comme vous voulez »
Pierre
se pencha vers Serge.
« Ca
te dérange ?
-
Fais comme
chez toi.
-
Dans ce
cas »
Il se
pencha légèrement, et posa sa main calleuse dans la sienne.
«
Ca sent la terre, ça
-
Ca en
vient
-
Hum, Dieu
Marie Joseph
-
Vous allez
pas me réciter le Notre Père ?
-
Pas si
vous m’en empêchez »
Il
posa ses lèvres sur les siennes, et plongea son regard dans le sien.
« Intéressant,
fit-elle
-
Chut
-
Je …
-
Tais-toi »,
murmura t-il.
Il
sortit sa langue et délicatement passa le bout sur ses lèvres.
Puis
l’embrassa à pleine bouche.
« Elle
va grimper aux rideaux, murmura Suzanna à l’oreille de Serge.
-
Il me
prépare le terrain ?
-
Pas
question que je le laisse partir avec elle.
-
Merci
poulette.
-
Je t’en
prie, poinçonneur.
-
T’aimes
les blagues de cul ?
-
Je préfère
le faire.
-
Avec
qui ?
-
Mon mec,
rien que lui
-
Putain, ça
existe donc ?
-
Pour
certains
-
Je suis
pas sur la liste
-
T’es sur une
autre.
-
Je préfère
la tienne
-
La tienne
est plus condensée.
-
Ca me fait
une belle jambe.
-
File-moi
un peu de ton whisky. Et embrasse-moi s’il te plait »
Extrait
de SUNDANCE – Livre 1 : GENESE (vol.2)
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