La soixantaine triomphante, le personnage
joué par Isabelle Huppert dirige d’une main de fer dans un gant de velours une société
d’édition de jeux vidéo ultra violents participant de manière délibérée à l’abrutissement
des masses. Voir la dirigeante au regard de scalpel encourager ses équipes créatives
à rendre plus gores certaines séquences d’un des jeux en question pose immédiatement
le personnage : celle-ci incarne le Pouvoir, le pouvoir suprême, celui des
tout-en haut à l’ego surpuissant. Qui, violées, font davantage que consentir :
vont jusqu’à renverser la situation et de leur violeur faire une souris.
Ses cris lors de l’acte résonnent
dans les murs de sa maison bourgeoise comme des hurlements de jouissance. Ainsi
traquée la revoici traqueuse, sa seule et unique carte, celle-là qu’elle joue
avec tout son entourage, son fils, décérébré, son ex-mari, falot quémandant une
pige, son grotesque amant, qu’elle humilie en deux scènes, sa mère, toquée d’un
gigolo grotesque. Jusqu’à sa meilleure amie, qu’elle cocufie. Il n’y a guère
que son père, cet ancien tueur en série, sur le terrain duquel elle ne s’aventure
guère qu’à sa mort – en prison – et qu’elle méprise comme elle se méprise au
fond, tant il porte en lui sa racine à Elle.
Femme de mort, femme froide, femme
surpuissante, cette Elle somptueusement interprétée par Isabelle Huppert est le
miroir de « ou nous en sommes en France », et au-delà, en Occident.
Le film devait initialement se faire aux Etats Unis, mais essuya tous les refus
possibles et imaginables des stars américaines pressenties.
Le pouvoir c’est Elle et c’est CA.
Une famille disloquée composée de marionnettes ridicules, un gout pour la perversité
et la violence assumé, un esprit clinique qui intellectualise, anticipe et prévoit
tous les coups aussi froidement qu’on commande des sushis au téléphone, un déni
des origines ou l’on planque sous le tapis ses secrets inavoués d’essence
criminelle. Et une véritable attirance pour la douleur et le vide, avec la
manipulation des êtres et leur humiliation comme armes.
Entomologiste ricaneur des décadences
occidentales depuis le début de sa carrière, le génial hollandais Paul
Verhoeven se fond dans l’horizon France bien mieux que la totalité de nos cinéastes
faisant ce qu’on nomme du cinéma bourgeois pour les bourgeois. Et tend à
ceux-ci avec un humour entre Bunuel et Chabrol un miroir a peine déformant de
qui ils sont. Bêtes pour la plupart, effrayants pour une petite minorité
agissante. Et il le fait avec une subtilité rare et un sens consommé du suspens,
réussissant mille scènes tout en tensions.
Elle c’est toi : viens,
regarde, allez, semble-t-il nous murmurer en intertexte, tout en réussissant
(comme dans la splendide séquence du diner de Noel) à nous faire hurler de
rire. Sa manière de se gausser l’air de rien de la fatuité des êtres qui « se
la jouent » et d’incarner sa vision par le biais d’une productrice de jeux
animés en 3D gore est un régal.
Oui je te rends con, semble susurrer
Elle, oui cela fait de moi quelqu’un de riche et de puissant. Oui je peux me
donner à toi quelques instants, si je veux : tiens, dit-elle presque à son
pathétique amant qu’elle vient de faire jouir, regarde ce qu’il en reste, dans
ce kleenex que je jette.
Je suis Elle, Maitresse, du plaisir
et des horloges. Je maitrise la carte du temps et compose la symphonie des
sens. Si tu n’obéis pas, compte sur moi pour te faire entrer en mon triangle… C’est
là que tout commence et c’est là que tout finit …
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire