mercredi 31 mai 2017

La mémoire des gueux


L’Histoire nous apprend, d’après l’amie Wikipédia, qu’autrefois, le Paraguay (pays actuellement démocratique dont le renversement de l’avant dernier président Fernando Lugo au profit de son vice-président fut qualifiée par la présidente argentine Christina Kirchner de « coup d’état ») fut entre 1954 et 1989 sous la férule d’un dictateur, le général Alfredo Stroessner. « Fasciste », insiste la notice écrite par on ne sait qui.

Fort bien. Etant sur place, et logé chez un couple de personnes âgées de plus de soixante-dix ans, donc contemporains de la geste fascisante (…), je ne pus faire autrement que m’enquérir auprès d’eux, et de quelques-uns de leurs amis, de cette époque funeste.

Quelle ne fut pas ma surprise (sic) que de recueillir de leurs récits une réalité tout autre que celle défendue par notre occidental rédacteur (du moins puis-je le présupposer, à moins qu’il ne s’agisse d’un dissident, comme on dit…)

Dans leur souvenir très net, parti unique il y avait en effet, et pression sur les opposants et muselage de la presse. Ce qui, de leur point de vue de petites gens simples, ne posait pas foncièrement problème en soi, n’étant pas eux destinés à faire une carrière politique ou journalistique mais simplement faits pour vivre en paix et travailler convenablement sans s’user.

Ce qu’à les écouter tous l’affreux dictateur fasciste parvint à leur apporter comme aucun de ses prédécesseurs et successeurs. Education quasi donnée, système de soins parfait et très peu onéreux, travaux leur apportant téléphone, eau, électricité. Du travail pour tout le monde. Des prix très bas. Et une sécurité si parfaite que partir un jour portes ouvertes était alors possible.

Quand je leur parle de dictature mes témoins de l’époque s’insurgent : «  On était libres, heureux, on avait du travail, les prix étaient bas, et on construisait énormément. Il n’y avait envers nous autres aucune répression, bien au contraire. Ce n’était pas une dictature mais un régime fort qui nous convenait parfaitement, à nous et a tous nos amis. C’est quand ils ont mis ca par terre, qu’ils ont créé les partis avec leurs corruptions et leurs magouilles et qu’ils ont fait rentrer des multinationales étrangères que ça a commencé à être plus durs pour la plupart des gens comme nous ».

Etrange comme les témoignages comme les intérêts des petits peuples et des bourgeois divergent. Ce sont ces derniers qui, écrivant pour tous et tenant les leviers, semblent imposer ici et là leur vérité bien comprise a tous les autres. C’est valable ici et dans bien d’autres endroits du monde. C’est crucial, l’histoire dite officielle, ça permet à certains de prendre et de conserver le pouvoir, comme Dostoievski nous l’avait conté dans Les Possédés.

Le bien, le mal, ces étranges notions si pratiques à conjuguer, avec lesquels, pour peu qu’on soit quelque peu éduqué, on peut jouer comme a la marelle. Comme on peut jouer avec les mots et les concepts.

Sauf que voilà : le petit peuple, celui qui ne publie pas, qui n’écrit pas, a qui on ne donne pas ou si peu la parole, ou alors pour la lui confisquer au bout de deux minutes, celui-ci dit tout autre chose. Lui n’a pas la prétention de dire pour autrui, mais simplement s’exprimer, dire son fait, ce qu’il vit, ce qu’il a vu, ce qu’il sait, ce dont il se souvient.

Mais si ce vécu-là ne « cadre pas » avec ce qu’au-dessus on veut, alors on lui oppose du mal pensant, du mal pensé, du « mais non, voyons » du fasciste xénophobe ». Avant de lui couper le micro et le renvoyer a son anonymat.

C’est métier que savoir à la place des autres sans tendre une oreille, c’est métier que de dire un réel qu’on n’a observé que de la chambre d’un Ibis ou dans une série de notes autorisées. C’est un métier, et ça se rémunère fort bien parfois.

C’est une disposition d’esprit, gratuite celle-là, que de savoir à un moment se taire, descendre de son piédestal pour aller dans l’arène voir les soit disant gueux, ces petits vieux, ces petites vieilles, ces ouvriers et paysans aux mains calleuses, ces caissières courbaturées dont tant prétendent savoir mieux qu’eux tous ce qu’il leur faut.


Pour les regarder, les écouter, prendre le temps de connaitre et de comprendre. Pour s’intéresser à ces mille histoires si peu officielles, qui sont des histoires de femmes et d’hommes aussi humains que nous. Et au creux desquelles nous avons tant à apprendre.


SUNDANCE / GENESE (5)


Incroyable paradoxe ! Ce fut à Georges Pompidou, le meilleur représentant de la caste de dirigeants conservateurs qu’il appartint de contenir puis de solder par d’habiles négociations cet appel à la liberté des tréfonds du pays. Une fois la révolte étouffée, et aussitôt sortie la figure tutélaire du Général pour un dernier tour de piste, il put reprendre le flambeau du grand homme, sans rien changer des structures d’une société qui l’avait fait roi.

Pompidou ne concéda à ce peuple effrayé par sa propre audace qu’une meilleure répartition des bénéfices ainsi que quelques timides avancées sociales. Une fois les hochets distribués, la grande marche industrielle put reprendre à un rythme décuplé, au profit des mêmes qu’auparavant. Ces années-là furent également belles pour Suzanne, à compter de l’instant où Claude, l’épouse du Président en exercice, la repéra lors d’une de ces soirées d’agrément données au Palais de l’Elysée. D’un tempérament tout aussi discret, détestant la lumière comme les honneurs, Madame Pompidou comprit en quelques regards, que cette femme effacée couvait de délicates passions. Elle la convia donc à des promenades en solitaire, où elle put découvrir sa nature profonde. Elles devinrent amies. Et l’on s’habitua à les observer de concert, l’une souriante et l’autre sur la réserve, aux banquets de la République.

Auguste se satisfit de cet engouement pour son épouse, qui après avoir démontré ses aptitudes à bien tenir une maison, s’essayait à prendre place dans le petit théâtre des vanités. Sans rien lui dire, il parla d’elle avec respect comme d’une partenaire loyale. L’accès aux enfants devint mieux partagé, et il congédia Marie Louise.

A son Ministère, Auguste fut un cerbère. Il était de notoriété publique qu’une forte inimitié régnait entre celui qui avait été élu et celui qu’il avait nommé Premier Ministre. Ancien résistant, Jacques Chaban Delmas n’avait pas le cuir propre à courber l’échine, et menait une guerre des tranchées pour grappiller quelques miettes d’un pouvoir qu’on lui comptabilisait. Au Château, les deux qu’on surnommait Les Maléfiques soufflèrent sur les braises de la détestation : Marie France Garaud coupait les têtes d’une lame affutée, tandis que Pierre Juillet construisait l’armée des fantassins. Il ne lui fallut guère qu’un coup d’œil pour cerner l’âme d’Auguste, et comprendre ce qu’il pouvait en tirer.

Plutôt qu’assiéger la citadelle, les Maléfiques transformèrent l’Hôtel Matignon en brasier, et le pauvre Chaban en pompier. Cela dura quatre ans, et le lassa exsangue, telle une baignoire qu’on aurait percé de mille trous tout en continuant malicieusement à la remplir.

Auguste fut remercié par l’entrée au capital à d’autres fleurons de l’industrie française. Entrées bien dissimulées, et à vil prix cédées. Tout fut mis là où il faut comme il faut pour être préservé des regards, dans des coffres bien fermés.

La scolarité des filles Lewit suivit son cours dans les meilleurs établissements de la capitale. Toutes deux, fort brillantes, différaient. Réservée comme sa mère, la blonde Laure s’enfermait dans les livres, et faisait les délices et les joies de ses professeurs d’histoire, de philosophie et de lettres. Tandis que Suzanna, aussi brune que sa sœur était blonde, brillait de mille éclats dans les préaux tout en se révélant dans les disciplines où les chiffres étaient rois. Malgré leurs différences, elles étaient inséparables, et s’aimaient sans se jalouser.

L’une appelait le silence que l’autre lui offrait, et l’autre visait le centre des regards que l’une lui abandonnait volontiers. Laure était l’aimée de ses professeurs, Suzanna l’élue des élèves. A quatorze ans, elles irradiaient. Diaphane, élégante et discrète, Laure faisait se pâmer les parents, séduits par cette aura qui rayonnait sans jamais faire quoi que ce fût d’osé. Bien en chair, aguicheuse et rieuse, Suzanna attirait à elle les convoitises des garçons et les jalousies des filles, mettant du trouble là où sa sœur jumelle tissait du lien.

Auguste eut toute la peine du monde à les traiter équitablement, tant le comportement de l’une à son endroit différait de celui de l’autre. Ce qui était venu dès les premiers mois s’était enraciné. Aussi vrai que Suzanna recherchait son regard, Laure l’évitait. Loin de s’en satisfaire, il en souffrait, et tâchait de compenser par mille attentions ce qui ne s’offrait pas, délaissant du coup celle qui ne lui donnait que trop. Mise dans la confidence, la mère tâcha de faire entendre raison à la jeune fille, mais ne parvint guère qu’à la rapprocher d’elle.

Leur pedigree leur offrit de nombreux passe-droits, aussi récusés par l’une que recherchés par l’autre. Le portefeuille du père ouvrait la porte à de nombreux secrets, à une époque où le cordon entre chancellerie et magistrats était capable de tirer cent vaisseaux. Les parents des amies devinrent à la fois des ambassadeurs et des pourvoyeurs. Faisant ce qu’il fallait pour que les deux jeunes femmes y perdent raison.

La mère s’en aperçut, mais le père laissa faire.


Et Suzanna, à peine âgée de quinze ans, devint une petite princesse à qui l’on ne pouvait rien refuser.


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Damasio et La Horde du Contrevent


Deux romans seulement en 20 ans, un troisième, Les furtifs, à paraitre. Quelques nouvelles, d’autres écrits, pour la plupart inclassables, au contenu aux frontières de la politique, de l’anticipation, de la poésie, de la philosophie et de l’ésotérisme. De fréquentes incursions dans les univers de la création sonore (ses deux romans sont présentés avec un CD d’œuvres musicales proposant de compléter et d’enrichir la lecture par une dimension purement émotionnelle) et 3D (il est cofondateur d’une société de jeux vidéo).

Nul doute au regard de cette œuvre à nulle autre pareille qui s’en va puiser ses sources dans les travaux de Deleuze et de Michel Foucault (AD se définit comme un philosophe raté), et apparait comme un pendant aux œuvres gigantesques d’un Kubrick, d’un Franck Herbert, d’un David Lynch ou d’un Orwell.

L’ermite lyonnais Alain Damasio, isolé dans un coin reculé et montagneux de la Corse après des années de réclusion dans le Vercors, est un des plus grands auteurs français contemporains. Dont l’œuvre, rare mais incroyablement dense, ne donne à ses lecteurs guère davantage que des clefs de compréhension de ce qui se passe à notre époque. Le suggérant, sans l’imposer, un peu comme Kubrick dans Eyes Wide Shut, avec des codes.

Ce qu’il a vu, compris, pensé, entendu « dans son cerveau » (dans une des rares interviews qu’il a donnée, en 2016, aux Inrocks, il dit que son cerveau fonctionne comme une radio stridente et que la moindre information le conduit à fouiller comme un diable, à triturer le réel, à le remettre en cause et l’interroger de manière folle jusqu’à ce que celui-ci impose son sens), il le traduit en énigmes et paraboles sans chercher à se faire trop comprendre de la multitude.

Au contraire, la difficulté à pénétrer le sens de l’œuvre est signe de maturité et de maturation du lecteur, lequel, invité par la porte de l’imaginaire à pénétrer le sens profond, se doit de lâcher sa raison, d’écouter les soubresauts de son intuition, d’à son tour s’il le souhaite quitter la norme pour fouiller en dessous de la surface des choses. Et telle la Horde du Contrevent, choisir en son temps le difficile voyage.
L’auteur-démiurge n’impose en rien la dissidence, il la donne à vivre, dans ses deux romans, d’une manière aussi équivalente que distincte.

Dans La Zone du Dehors (1999), anticipation politique à peine voilée, Captp entre en lutte avec la Norme et son Président A. Sa « Volte » nous invite à son tour à nous poser individuellement la question du camp où l’on veut se situer dans notre existence : dedans ou dehors ? Dans l’interconnecté aliénant ou dans l’en dedans ? Veut-on le confort, lui préfère-t-on la liberté – et qui, de Cerclon ou de la Volte, manipule quoi ? De ce choix – crucial – tout le reste dépend, et l’auteur se garde bien de nous mettre dans une case. Il se contente (je ne dévoilerai pas la fin) de suggérer ce qui à la fin des temps …

Dans La Horde du Contrevent (2004), les 23 narrateurs, liés chacun à la Volte, ont jeté les amarres et sont partis en quête à rebours de l’origine du Vent. Leurs récits entremêlés résonnent comme 23 voix aussi dissonantes qu’accordées de la nécessité du voyage vers l’en-dedans. De sa difficulté aussi, extrême, laborieuse. Cette quête des origines est un long poème d’espoir charriant mille douleurs, ou l’auteur, davantage encore que dans son œuvre précédente, procède par la suggestion et demande au lecteur un investissement énorme pour pénétrer le sens profond de ce qui est donne à lire et à comprendre.

Combien il doit être ardu de pénétrer la signification de ce texte magistral à un très jeune âge ou bien après des décennies d’abandon au matérialisme tout puissant : il convient, à mon sens, d’avoir atteint un certain niveau d’expérience et de maturité et de s’être soi-même engage concrètement dans une dissidence pour être en mesure de déceler, plus que l’intention, plus que le chemin : le LIEU d’origine même du Vent.

Damasio – l’homme, refusant les honneurs et la société du spectacle, donne quelques conférences, brillantes, jouissives, ou tel un furet il se glisse sourires aux lèvres sur une estrade et, sans notes, déroule un fil d’Ariane a son public. Lui montrant le chemin. L’invitant à une Nuit Debout en sa joyeuse compagnie. L’interpelant malicieusement, interrogeant l’époque, la disséquant avec malice sans appeler bêtement à la mettre par terre – même s’il ne cache pas combien il aimerait qu’il en soit ainsi. Libre, il ne se prend en rien pour un leader ou un gourou, mais aide à réfléchir et donc à combattre du dedans ce qui nous est imposé en nous proposant un « dehors » qui redevienne notre « dedans ».

Ainsi ce mystérieux Livre à rebours, El Levir, dont les caractères s’effacent à mesure qu’il s’écrit : ce que je vois, ce que je sais, ce que je puis transmettre si …-  je ne puis littéralement l’écrire ou le dire, murmure l’auteur : à toi de faire le travail, mon rôle est de te mettre sur la voie.

C’est cela, un demiurge : un être libre avant tout, un grand artiste ensuite, qui a fait le chemin et qui, loin d’haranguer, murmure à ton inconscient et laisse sur le sable dans la nuit noire quelques traces. Pour permettre à qui le souhaite de le suivre et de faire à son tour le voyage en Contrevent.




mardi 30 mai 2017

SUNDANCE / GENESE (3/4)


                                                             (3)

Ce furent davantage de présence, quelques attentions, parfois des confidences, témoignant d’une certaine forme de confiance. Et cela la réchauffa. De frêle et glacée, elle devint peu à peu plus en chair. Et à défaut de s’embraser, elle sentit en elle une douce flamme, qui la réveilla.

Aucune main ne l’ayant touché depuis tant d’années, ce fut donc comme une nouvelle première fois. Elle crut défaillir quand un soir, la rejoignant dans la chambre redevenue commune, il s’assit à ses côtés, et posa sur son bras sa main.

Lorsqu’il s’abandonna, elle retint un cri. Il l’écrasait de tout son poids, elle suffoquait, mais trouva assez de force pour poser sur sa nuque brûlante une main caressante en lui murmurant:

« C’est bien. Repose – toi, maintenant. »

Quand, quelques mois plus tard, au terme d’une grossesse douloureuse elle le fit prévenir qu’elle était partie à la maternité, il était à Guéret, auprès de ses électeurs.
Lorsqu’il arriva, Suzanne reposait, gémissante, sous d’épaisses couvertures. Il entra, précédé d’une infirmière, le souffle coupé.

« Ma chère, dit-il en s’épongeant le front, ma chère… »

Elle eut à peine la force de tourner vers lui son visage défait par la douleur, et parvint à articuler.

« Soyez sans crainte, mon ami. Tout s’est bien passé. Elles sont en vie.
- Elles ? répondit-il en écarquillant les yeux.
- Oui mon ami »

L’infirmière avança d’un pas, et se posta entre eux.
« Vous êtes père de deux adorables filles, Monsieur. Je vais vous y conduire. »




                                                             (4)

Lorsqu’elle s’éveilla de sa torpeur, elle se redécouvrit plus seule encore qu’elle l’avait jamais été. Auguste était reparti, avec à chacun de ses deux bras chacune des petites. L’infirmière, d’une voix neutre, lui apprit qu’il les avait enregistrées à l’état civil.

« Ce qui veut dire qu’il a choisi les prénoms ? », lui demanda Suzanne.
« Ah ça… », Répondit-elle le regard fuyant. « Tenez, prenez plutôt votre cachet ! »

Laure et Suzanne… Lorsqu’il lui apprit quels prénoms il leur avait donné, elle ne put retenir ses larmes, et il en fut fortement agacé.

« S’il vous plait, ma chère… », maugréa-t-il en soufflant tel un taureau dans l’enclos.
« Oh, mon ami ! », répéta t-elle en ne pouvant contrôler le flot.

Il dut se résigner, le lendemain, à un second appel au registre des naissances, et user de tout son pouvoir pour qu’un « e » se transforme en un « a ». C’était le prix de la tranquillité.

La petite Suzanne devint, d’un trait de plume, Suzanna. Ce fut la seule compromission qu’il accepta jamais. Désormais père, il n’avait plus besoin d’elle. Une nourrice vint s’immiscer dans l’alcôve, et ôta à Suzanne l’accès à sa progéniture. Cette Marie Louise venue des îles fut un redoutable cerbère, grassement payée par l’époux absent pour la tenir à distance des fillettes. C’était à peine si elle pouvait passer plus d’une heure devant le berceau. Seule Laure la dévisageait lorsque, Marie Louise sortie, sa mère se penchait vers elle. Suzanna semblait, quant à elle, ignorer sa présence, tétant désespérément son pouce, recroquevillée.

Tout en consacrant un temps infini à ses diverses affaires, Auguste fut dès le premier jour un père comblé. Il aima tant et tant cette chair de sa chair qu’il n’avait de plus grande joie que de rentrer, le vendredi soir, aussi tôt que possible. Donnant son congé à la nourrice jusqu’au dimanche, il passait tous ses vendredis soirs et ses samedis au chevet des petites.

Une ombre, cependant, s’installa, qui prit de plus en plus de place au fur et à mesure des années. S’il était devenu l’astre de la petite Suzanna, qui dès qu’elle l’apercevait s’illuminait d’un radieux sourire, il n’en était point de même pour la seconde, dont les traits s’assombrissaient à son contact.

Je les aime pourtant pareillement, se lamentait-il en tachant de la serrer contre son cœur. Mais il ne réussissait guère qu’à déclencher les cris et les pleurs de la petite, et se désolait jour après jour de ce refus répété, si incompréhensible à ses yeux.

Le retour au pouvoir du Général ne manqua point d’apporter sa pierre à l’édifice Lewit. Inconnu du grand homme, Auguste s’était rapproché de celui qui devint, dès 1962, le second Premier Ministre de la Vème République. Appelé aux commandes de l’Etat, Georges Pompidou, à peine sorti de la Banque Rothschild, y avait fréquenté l’édile de Guéret, et apprécié à sa juste valeur son entregent. Il lui fut tout naturel d’appeler ce dernier à la table de son gouvernement, et de lui confier le secrétariat d’état de la Fonction Publique.

A compter de là, Auguste devint un personnage d’état, logé comme il se doit dans un très bel hôtel particulier de la rue de Grenelle. Sitôt installé, il y fit venir Suzanna, Laure et Marie Louise – non sans oublier Suzanne. Ce déménagement hâtif ne constitua point de déchirement pour les petites, seulement âgées de cinq ans. Pour Suzanna la brune, le rapprochement d’avec son père, qu’elle pouvait désormais voir chaque soir, fut une aubaine. Elles grandirent dans d’immenses salons aux parquets recouverts de tapis, sans jamais avoir à ouvrir la moindre porte par elles-mêmes. Et furent à peine en âge de comprendre, lorsqu’en 1969 Georges Pompidou fut élu, qu’elles avaient intégré un monde de privilèges. 

Leur mère parvint non sans mal à se faire une petite place dans la prestigieuse scénographie où brillait son époux. Elle se transforma patiemment en une parfaite maîtresse de maison. Devenant ainsi comme un emblème dont les femmes de la génération suivante voulaient absolument se détourner.

Les évènements de Mai furent vécus par les fillettes un peu comme Marie Antoinette avait traversé les premiers mois de la révolution : à l’abri des échauffourées, derrière de lourdes portes d’où l’on ne surprend pas les échos des coups de feu. De ce qui bouillonnait au dehors, leur monde était entièrement préservé. Leurs précepteurs avaient été suffisamment sermonnés pour ne pas leur en dire un mot. Seule Suzanna, à présent adolescente, parvenait parfois à s’échapper. Elle quittait le ministère fort tard, passant parfois devant son père, qui lui demandait :

« Mais où vas-tu donc ?
- Nulle part, papa. Juste envie de me promener.
- Fais attention à toi ! »

Il voyait bien qu’elle lui cachait quelque chose. Mais comment lui refuser quoi que ce soit ? Imperceptiblement, tous sentirent, au fil des mois, l’air de liberté qu’elle ramenait du dehors. Son comportement changea, et sa parole se libéra. Elle fit entrer dans ce mausolée compassé un peu d’air frais, qui devint un tourbillon.


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Rêvasser printemps


La chanson de geste de l’Elu, telle qu’elle nous est quotidiennement contée par nos encenseurs habituels, ce simulacre d’une grandeur autrefois perdue en ce jour retrouvée, avec ces mises en scène de Soi en Jupiter, ces poses et ces postures, ces accaparations de lieux chargés d’histoire, ces symboles, ces références aux Grands d’hier, ces discours enflammés au lyrisme aussi creux que pompeux, cette comédie de la main ferme avec le yankee, de « on s’est dit les choses franchement » avec le lion russe, cette cérémonie versaillaise ou tous les nantis purent s’admirer dans la Galerie des Glaces … 

Tout ceci me rappelle étrangement la séquence suivant l’élection de Sarkozy le 6 mai 2007. Ou six à huit mois durant le « pays des droits de l’homme », celui qui derrière Chirac avait applaudi le veto à l’invasion de l’Irak, celui qui avait dit NON à la constitution européenne, celui-là donc était en situation de gober jour après jour un spectacle consternant fait de bric et de broc, de vulgarité, d’immaturité, de mensonges en tous genres, de falsifications historiques et de mises en scène d’un ego sur-envahissant.

Comme une séquence d’atonie, ou le petit peuple complètement oublié par ses élites et ses zélateurs même passifs s’en va accueillir les beaux jours sans un sou pour partir en vacances, et devra une fois encore compter ses euros dès le 15 du mois. Tandis que tous les autres, après un hiver et un début de printemps guerriers, se reposant enfin un peu, laisse faire voire se montre séduit par les premiers pas de leur futur égorgeur.

Les tout petits ayant déjà été tondus, il s’agira cet été de s’attaquer au gros du troupeau, c’est-à-dire les petits bourgeois des villes, par salves d’ordonnances. Lesquelles en deux ou trois années, l’été chaque fois, finiront par avoir raison de ce code du travail o combien protecteur, qui fut le fruit des combats des Compagnons de la Libération et donc notre bien commun.

Ce bien commun ne sera plus d’ici quelques petites années qu’un lointain souvenir, il n’est point nécessaire de vous défendre en prétextant de « donner sa chance à l’Elu », ce dernier fut sous ses discours de serpent enchanteur très clair dans ses actes, comme dans certaines interviews données non loin de la City.

Je l’entendis, hier, aux côtés d’un Poutine atterré mais soucieux de préserver les apparences, non seulement lui faire, lui le roitelet au passé de dépeceur d’entreprises, la leçon - à propos d’affaires internes à la Russie et à certains de ses satellites. Aux ingérences militaires s’ajoutent une fois encore les ingérences morales, cette façon si creuse et si inefficace que de se poser comme point cardinal du BIEN, de se mêler de ce qui ne nous regarde en rien (et à propos duquel nous pouvons bien sur avoir un avis, même tranché), de faire le silence sur tout ce que soi-même on a détruit, de maquiller l’histoire et la géostratégie contemporaine à propos de « dossiers relatifs à la sécurité » ou le « partenaire russe », posé en agresseur, fut tout bonnement envahi par son allié et ses filiales par en dessous. Et d’aller jusqu’à (le ridicule ne tue pas) affirmer qu’en cas de récidive (mais de quoi pardi ?) Petit Poulbot Ier était prêt à y aller tout seul, en Syrie, montrer ses petits muscles.

Cette dernière assertion, plus que grotesque, éminemment dangereuse, qui a relevé qu’elle signifierait purement et simplement, si elle était mise à exécution, risques de guerres civiles et Bataclan 2 sur le sol français ? L’atonie qui a succédé à cette rodomontade digne d’un adolescent attardé, que dis-je, cette espèce de fatuité grandiloquente de nos plumitifs, y voyant là le signe manifeste du retour du Coq sur le devant de la scène, celui-là qui se dit prêt à se faire jeter dans le brasier : faut-il rêvasser printemps pour oser laisser passer pareille énormité 14 ans après le discours de Villepin a l’ONU !

Ce néo-colonialisme enrobé de papier bleu et rose et défendu bec et ongles par une armée de paons sonne le glas, une fois encore, comme un retour du balancier de Sarkozy puis Hollande, d’une ancienne grande puissance. Dont les mots de ses puissants traduisent l’inverse de leurs actes réels. Nous avons laissé faire. Détruire la Libye en silence. Ouvrir la route des vagues migratoires nous envahissant. Accueillir des milliers de réfugiés dans des conditions indignes. Attaquer un régime laïc apprécié par son peuple sous des prétextes bidons.

Nous avons depuis 10 ans avalé toutes les couleuvres que nous ont concocté notre presse et nos journaux, ceux-là qui sont dans la main des propriétaires des multinationales de l’armement, grands palpeurs des guerres et du chaos. Nous avons cru et croyons encore que cette presse est libre et plurielle, et ne passons pas une minute à aller vérifier par nous-même la véracité de ce qu’elle nous dicte, en des temps où tout est pourtant sur la table – ou plutôt sur la toile. Nous nous sommes avant tout préoccupés de nous-même, de notre communauté, de notre tribu, de notre carrière, de notre nombril. Nous avons applaudi Pixar et Marvel et délaissé le cinéma d’auteur, avons avalé série sur série et délaissé les livres, avons laissé Loft Story gagner nos vies via les réseaux sociaux, avons consacré et continuons à consacrer un temps infini à 40 ans passés à nous exciter sur la dernière ânerie de ce pauvre Hanouna tout en nous désintéressant de l’essentiel, la planète, la dérégulation climatique, les OGM, les mendiants sur nos trottoirs, les gens dans les banlieues périurbaines ou nous ne voulons pour rien au monde mettre un pied.

Assoiffés de libertaire nous avons jeté la liberté, la vraie, celle de tous, à la rivière. Nous affirmons sans savoir, imposons avec fracas nos avis sans l’once d’une connaissance pointue, et faisons la morale à autrui en permanence. Nous énonçons de beaux et grands principes pour ne surtout pas nous les appliquer, nous, ce grand peuple, abruti par la société de la distraction, par le rouleau compresseur médiatique, par la violence des relations professionnelles, par cette crise économique qui n’en finit pas – et qui fut pensée pour ne jamais s’achever , pour le meilleur profit du haut de la pyramide, lequel ne s’est jamais aussi bien porté.

Continuons à nous exciter sur une petite réunion de femmes blacks a Paris, et a rêvasser printemps avec l’Elu. Les vacances sont proches, le temps de la réflexion n’est pas bienvenu. Pas plus qu’il ne le sera sur les plages, et pas davantage à la rentrée ou au cœur de l’hiver. Le nouvel Alien est sorti, le prochain Star Wars est dans les cartons : vivement !




lundi 29 mai 2017

SUNDANCE / GENESE (2)


On la diagnostiqua stérile, et ce fut un déchirement. Pour elle, qui vivait confinée dans un grand manoir de la région bordelaise, seule l’arrivée d’un nourrisson aurait pu donner un peu de contenu à cette existence sans reliefs dans laquelle elle avait glissé.

Elle regarda ce ventre désespérément plat, et fut aussitôt prise de dégoût. Que s’était-il passé ? Comment, sitôt ses parents mis en bière, s’était-elle retrouvée là ? Ca s’était passé si vite, cet exode … Cette zone qu’on l’appelait la zone libre fut sa prison. Et la demeure bordelaise achetée par Auguste une geôle. Elle avait vu son jeune époux, imperceptiblement, se transformer. Il s’éloignait d’elle, de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. De l’étourdissant compagnon des premières années, il ne subsistait que cette trépidante silhouette juchée sur ressorts, et cette longue mèche qui venait se plaquer en travers du front.

Lorsqu’il revenait au bercail certains samedis, suivi d’une cohorte bruyante, c’était à peine s’il lui adressait un regard. La mâchoire d’Auguste devint un rictus. 

Parlementer sans fin avec les occupants pour accroître ses gains lui coûtait, sa joie de vivre s’était tarie. Quand par miracle il bénéficiait d’un bref instant de repos, il ôtait ses chausses, étendait ses longues jambes en direction de l’âtre, et lisait avec distraction le journal en étouffant des bâillements.

Suzanne apprit à se recueillir en silence, à ses côtés, se positionnant légèrement derrière lui, de sorte que sa seule vue ne le détourne point de sa lecture. Son corps s’était contracté jusqu’à évacuer toute respiration. Elle devint plus pâle encore, plus silencieuse, laissant les domestiques décider à sa place des mets à préparer, ne répondant à leurs sollicitations qu’en inclinant la tête et en expirant d’épuisement. Au lieu des livres dont elle se nourrissait jadis, elle ne tenait plus entre ses mains que de petits canevas qu’elle brodait sans fin.

« A quoi pensez-vous donc encore? », lui demandait parfois Auguste en fixant exaspéré ce visage marquée de cernes.

Ses parents étaient morts, l’un après l’autre, à l’automne 1942. Elle s’était laissé exiler dans cette région de vignobles ensoleillée, comme on déplace une porcelaine en l’enfermant dans du carton. Sans rien comprendre. Sans personne à qui parler. A peine éclose, sitôt éteinte. Quand fut signé l’armistice, elle ne pesait que quarante kilos. Une petite robe grise, un châle sur les épaules, et un chignon mal peigné, piqué en travers. Il lui arrivait de devoir s’appuyer sur les murs blancs pour ne pas tomber, tant au dedans les forces manquaient.

L’usine Desmaret, ce fleuron, se portait dorénavant bien mieux qu’au début du conflit. Tout étant à terre, on ne pouvait faire table rase de ce qui restait encore debout. Là, dans cette province relativement épargnée, avait été amassé de quoi aider à la reconstruction. Aussitôt constitué, le gouvernement de la Libération décida la nationalisation de l’entreprise, tout en laissant à sa tête cet homme dont la rumeur populaire, pourtant expéditive à passer les traitres au peloton d’exécution, louait le talent pour les affaires. Ne doutant pas de sa bonne étoile, Auguste eut tôt fait de comprendre que ses intérêts bien compris passaient par Paris. Il prit l’habitude d’y monter pour y rencontrer tout ce que l’après-guerre comptait comme personnages importants. Il ne lui fallut que quelques mois pour embrasser, mieux encore que feu son beau-père, une carrière politique.



Cette seconde maîtresse lui ôta jusqu’au souvenir de son épouse. Il n’avait tout simplement plus de temps disponible à autre chose qu’à cela : gravir la montagne, plus haut, plus vite encore. 1945, 1946 et les suivantes, concentrèrent à elles seules ce qu’en temps normal on met vingt ans à bâtir. Il devint député, sur les bancs du MRP, par pur opportunisme. A gauche, il n’y en avait que pour les communistes, et, à la place qu’il occupait, le rattachement idéologique allait de soi. Son territoire fut conquis aisément. En bon séducteur à la poigne franche, il le défricha mois après mois, jusqu’à connaître les fermes les plus reculées de l’arrière-pays de la Creuse – puisque c’était là qu’il avait jeté son dévolu.

Avec le temps, il en vint à mépriser tout ce qu’il ne pouvait plus que délaisser, et notamment cette femme à laquelle il devait tout, qui végétait avec 37 son ventre vide. De ce mépris qu’on ressent pour un souvenir qui vous fait vous sentir finalement bien misérable, et qu’on veut à tout prix oublier.

A Paris, dans ses bras, les belles, ça valsait. Au fil des ans, pressés de toutes parts par ses occupations, il y prit moins goût. Il les supportait de plus en plus difficilement, ces sangsues capricieuses, qui, à peine son pantalon relevé, quémandaient une faveur, et lui renvoyaient ce vide qu’il ressentait en se regardant vivre pour lui-même. Il s’abandonnait un peu, et elles voulaient lui ôter un bras. Alors il les chassait, toujours plus abruptement. Et, avec elles, jusqu’au goût de la chair.

Reconstituer le stock des armes de guerre fut jugé aussi nécessaire que remettre en place les immeubles, canalisations et chemins de fer. Les années cinquante et soixante furent des années d’expansion pour à peu près tout le monde, et de fortune pour une poignée. Délaissant les affaires pour le Parlement, Auguste, à présent lesté par un ventre protubérant retenu par deux bretelles, sut habilement tirer les fils. La Maçonnerie à laquelle il souscrivit contre ses propres convictions lui apporta cette manne qui permet de faire couler l’argent à flots sans trop d’efforts. Jusqu’à atteindre une forme de lassitude devant tant de capital accumulé dont il ne savait que faire.

Ce fut là, au milieu de l’été 1955, qu’il se souvint qu’il avait une femme, dans cette sombre demeure bordelaise qu’il possédait. Puisque tout était devenu si ennuyeux, si lassant et si répétitif, pourquoi ne pas revenir à la source, là où tout avait commencé ?

Il la fit appeler au jardin, et, pour la première fois depuis des années, la regarda. Tandis qu’elle demeurait silencieuse, le regard baissé vers le massif de roses, il se surprit à reconnaître dans ce visage éteint un peu de cette lueur d’âme qui l’avait, en des temps reculés, touché. Eteinte, certes, et pâle. Désespérément pâle. Mais encore assez belle, sous sa mise disgracieuse. Il en fut troublé.

« Ma chère amie. Je sais que je me suis fort mal occupé de vous. Je vous prie de ne pas m’en tenir trop rigueur »

Elle leva son regard en direction de cet homme qu’elle reconnaissait avec difficulté, tant il s’était physiquement détérioré.

« Quelque chose ne va pas, Suzanne. Quelque chose ne va pas. Et je ne sais pas quoi »

Elle le vit lentement s’affaisser et retenir son souffle.
« Je peux faire quelque chose ? »

Les mots s’étaient échappés d’elle sans qu’elle eût le temps de les réfléchir. Et son teint s’empourpra.
« Je me sens si seul, soudain…. »

Il n’eut plus de force, et son corps plia sous son propre poids.
« Appuyez-vous donc sur moi »

A écouter en complément dans la foulée de la lecture (recommandé):

Chapitre extrait de : 

(avis de lecteurs, résumé et commande en ligne )



Les Trolls


Les années 70 nous avaient offert les deux petits vieux du Muppet, sortes de couple de gâteux ricaneurs au balcon, planqués de chez planqués et n’aimant rien, mais reconnaissons-le au demeurant fort drôles et affichant leur bouille sans complexe.

Pas loin de 50  ans plus tard, ces deux-là ont enfanté une multitude d’enfants dégénérés, anonymes ceux-là, qui sur les forums, cachés derrière des pseudos « pseudo drôle » pullulent, infectent, invectivent, polluent, chassent en petites meutes, s’auto promeuvent, se font par les modérateurs dégager du fait d’insultes et de diffamations répétées, réapparaissent tel des nouveaux nés sous un nouvel identifiant tout aussi creux que le précédent… Et reprennent leur tambouille, inlassablement.

Ces bruyants rejetons, faire-valoirs sans le savoir de ceux qu’ils maculent de leurs quotidiens crachats, n’écrivent rien, ne publient rien, ne créent rien. Incapables de détruire ils se contentent tels des laquais planqués du système de salir, ce qui a le mérite de créer des emplois de nettoyeurs. Sous leur mordant de petits roquets, ils demeurent néanmoins à leur esprit défendant comme les jumeaux de ces bisounours qu’ils exècrent, dont ils épousent très exactement la logique à front renversé. Par leur constance et leur prévisibilité quelque peu maladive, les trolls, par le buzz qu’ils génèrent, mettent leurs exécrés en lumière et ne peuvent tout bonnement pas s’en empêcher.

Vers solitaires, ces micro-parasites sans réel pouvoir de nuisance sont fats au point de se prétendre aptes à véroler des organismes ayant développé de longue durée d’excellents anticorps. C’est que ceux-ci sont leur raison d’être, sans cibles, sans personne sur le devant de la scène, comment se mettraient-ils en avant, ces septièmes couteaux à la lame usée ? 

Equivalents contemporains des occupants de la Pension Vauquer de Balzac, ces infantiles zélateurs malgré eux n’arrivent pas à la cheville de leur maitre Rastignac. Leurs quenottes acérées ne peuvent guère plus que macérer incisives en avant des bouts de carottes précuites. Se croyant drôles, féroces, cyniques, méchants, teignes et galeux, ces petits lapins-crétins durs-acell et mous d’ailleurs donnent à voir d’eux-mêmes, sous le masque du rebelle, leur propre vacuité. Et parsèment la toile de petites crottes recouvertes de bave. Inaptes à se regarder en effet miroir comme ils prétendent le faire avec tout un chacun, ils ne peuvent tout bonnement pas concevoir ce que leurs fils d’actu donnent à voir clairement de leur être. Le masque avec les ans s’étant trop enfoncé dans leur peau, ces pourfendeurs des arrière-cuisines sont devenus quelque peu borgnes.

Je les aime bien mes trolls, je les asticote, les chasse, les vois revenir, les laisse ensuite faire, et me distrais de voir d’autres, véritables commentateurs non masqués ceux-là, les tacler avec précision. Aucun Baygon fut-il rouge ou vert ne viendra à bout d’eux, ce qui est rassurant, tant nous qui faisons avons notamment besoin d’eux, de leur addiction, de leurs risibles acharnements, de leurs insultes, de leurs crachats.

C’est un honneur d’être une cible, écrivait Rostand au travers de la bouche de Cyrano. Oui mes chéris, restez avec nous, continuez comme vous le faites : vous, parasites sans poison, êtes sans que vous le sachiez aussi sur scène. Et (navré de vous le dire) : loin d’avoir la capacité à décrocher LE rôle, vous, anachroniques, demeurerez les figurants d’une pièce dont le script est écrit à l’avance par d’autres, et dont vous ne saurez rien.


dimanche 28 mai 2017

SUNDANCE / GENESE (1)


Pour comprendre d’où vient la fortune d’Auguste Lewitt, il suffit de tourner le regard vers l’épouse. Suzanne, cette frêle et discrète moitié, dont la silhouette apparaît sur certaines photographies en arrière-plan, est la troisième de la famille Desmaret. La célèbre, la riche, la fascinante famille Desmaret, les plus grands propriétaires de la région de Calais.

Etre née fille, cadette de surcroit, venant après deux garçons aux destinées tracées en lettres d’or dans la saga d’une des familles bourgeoises les plus fortunées de l’hexagone, constitue une position beaucoup moins enviable qu’il n’y parait. On a beau de nos jours considérer les femmes comme les égales des hommes, arriver après deux héritiers mâles n’offre en certaines contrées et dans certains milieux que des inconvénients. Suzanne fut élevée à l’ombre et confinée dans ses recoins, aussi longtemps que ses parents furent en quête d’un bras suffisamment long pour la faire déguerpir d’une place qu’elle occupait aussi discrètement qu’un bibelot. Timide mais opiniâtre, la jeune femme récusa néanmoins un à un les quelques soupirants introduits de force dans le peu d’intimité auquel elle avait droit. Se réfugier dans le silence fut sa seule défense, et les riches prétendants, découragés par cette indifférence polie, remisèrent sans insister leurs rêves de fortune.

De guerre lasse, les Desmaret se résignèrent à l’expédier à sa majorité dans la capitale, un peu comme on se débarrasse d’un mobilier dont la présence à la cave encombre la tranquillité d’esprit. Aussi vrai que les bâtiments austères de Calais avaient eu raison de son teint, pâle jusqu’à la transparence, les façades étourdissantes des immeubles du Boulevard Saint Germain illuminèrent la jeune provinciale, lui révélant soudain un monde gorgé de promesses. Chez elle, en cette terre peu fertile où la renommée familiale l’avait recouverte d’un linceul, elle ne pouvait s’irriguer que secrètement, à l’abri du regard des siens. Et ce fut au cœur du collège catholique pour jeunes filles de bonne famille où on l’avait placée en internat, dans cette excroissance de sa prison d’origine, que le commencement d’un miracle eut lieu. Dont elle ne prit conscience que tardivement, arpentant seule, quelques années plus tard, les grandes artères de la Ville Lumière.

Elève douée, elle fut tôt repérée, puis encouragée, par quelques-uns de ces maîtres qui, dans les années d’avant-guerre, fourmillaient dans les établissements de province. Ses notes étaient excellentes, suffisamment en tout cas pour qu’à de nombreuses reprises ces bonnes fées ne vinssent frapper à la lourde porte fermée à double tour des parents Desmaret, quémandant un traitement adéquat envers les dispositions intellectuelles de la demoiselle.

L’obstination eut, à la longue, raison de ces esprits si conventionnels que seule l’envie d’être débarrassés d’un tracas fit céder. Monsieur et Madame se concertèrent, puis d’une seule voix décrétèrent un soir de mai que la petite partirait en septembre s’inscrire du côté de la rue d’Ulm. Une tante servit de facilitatrice. Elle possédait non loin de la célèbre école quelques immeubles loués à des prix fort élevés à de jeunes étudiants issus de la classe supérieure. Contactée par sa sœur, elle consentit après quelques palabres à mettre gracieusement à la disposition de sa nièce une petite chambre de bonne, au sixième étage du 25 de la rue Bonaparte.

Ainsi Suzanne put s’installer au cœur même de ce que la rumeur populaire nomme « la vie », et à partir de là s’aventurer à découvrir la sienne. Sortant peu et étudiant jusque fort tard à la lueur d’une bougie, elle devint un des meilleurs éléments de sa promotion. Jusqu’à être encouragée à se présenter au concours d’entrée de l’Institut des Sciences Politiques. Où elle rencontra Auguste.

Ce fut elle qui le repéra en premier. Comment échapper à cette force animale qui, déjà, en cette année 1937, irradiait ? Tout était déjà en place à cet âge-là, chez cet homme façonné pour le pouvoir, auquel, pour le meilleur mais surtout pour le pire, elle allait s’unir pendant plus de quarante années.

Lorsqu’elle le remarqua, juché sur une estrade et faisant de grands moulinets avec ses bras, il était par trop occupé à ignorer les quelques dix soupirantes qui à ses pieds s’agglutinaient, avec cette forme de détachement irrésistible à l’esprit de cour dont il était l’épicentre. C’était le jour de la rentrée, première matinée de la première année d’études, et déjà, avant même que les visages ne dévoilent leur identité, il s’était fait un nom. Tous, les garçons comme les filles, semblaient chavirés par ce généreux tourbillon.

Il la remarqua un soir, calfeutrée sous un épais châle, dans un coin peu éclairé de la bibliothèque. Pour ce cancre féru de pragmatisme, cette petite donzelle renfermée dont il ignorait encore le patronyme flairait bon l’investissement. Personnifiant son parfait complément, elle détenait ce qu’il avait absolument besoin d’acquérir pour réussir son ascension, et il perçut aussitôt quels avantages il pourrait tirer de cette union de contraires. Il la prit donc sous sa coupe, et se plaça sous la sienne, se métamorphosant à ses côtés en un élève studieux à quelques mois des examens. Elle lui enseigna aussi sérieusement que possible les matières dans lesquelles il était faible, c’est-à-dire presque toutes. Et ils prirent rapidement l’habitude de poursuivre fort tard dans la nuit leurs travaux chez elle.

Jusqu’à ce qu’un soir, profitant d’un relâchement de sa vigilance, il lui enseignât à son tour quelque chose dont elle ignorait jusqu’à l’existence.

Elle tomba instantanément amoureuse, et ils devinrent amants. Lorsque, après quelques semaines, il apprit ce que signifiait son nom, cela lui plut, beaucoup. Lâchant soudain sa taille, il lui demanda sa main. Les présentations eurent lieu à Calais, par un samedi de septembre.

Les Desmaret firent entrer le prétendant par la porte du salon, et les yeux de la maitresse de maison s’attardèrent sur les chaussures du jeune homme.

Il s’assit aussitôt, et d’un sourire éclatant, déclara identité, pedigree et flamme en quelques minutes. Il marqua des points en abordant la carrière politique du futur beau-père par le bon angle, vantant sans paraître flatter les mesures de rigueur qu’il avait imposées à ses administrés lors de son premier mandat de Maire. Y décryptant les assises idéologiques, il les mit habilement en perspective, et se lança dans un long plaidoyer d’où il ressortit que pour maintenir un monde en équilibre, il convenait de veiller à ce que les intérêts d’en haut soient le mieux préservés.
Le politique s’en trouva conforté, et l’homme séduit. Puis ce fut au tour de Madame, qu’il n’eut à cueillir qu’en quelques minutes. On lui proposa d’autres chaussures, qu’il accepta puis mit à son pied.

L’affaire du mariage ne prit que quelques mois. Suzanne Desmaret devint Madame Lewitt, et Auguste enfin lui-même.

En moins de deux ans, le beau père l’avait placé à la tête d’un des plus beaux fleurons du groupe industriel familial, spécialisé dans l’armement naval.
L’invasion allemande et l’occupation qui lui succéda transformèrent le plomb en or, faisant du royaume Desmaret un Empire, d’Auguste un César, des deux beaux-parents deux macchabées relégués dans un mausolée.

Et de Suzanne, l’ombre d’elle-même.


Il est conseillé d’écouter après la lecture : https://www.youtube.com/watch?v=VouHPeO4Gls