Elle a pris tout le monde par
surprise et est arrivée telle une Madone sur le parking des Whirpool, au beau
milieu de sa région natale. Fut accueillie par des hourras et des « Marine
Présidente ». A serré des mains et fait quelques selfies, tout sourires. A
lancé quelques phrases face camera, entourée de gentilles ouvrières et de
gentils ouvriers. Leur a dit exactement ce qu’ils avaient envie d’entendre,
sans bien entendu développer quoi que ce soit. « Avec moi tout ira bien,
je ne vous laisserai pas tomber ». Puis s’en est repartie comme elle était
venue.
Vingt minutes, ça a duré :
vingt minutes.
Quel coup de com ! Et quel piège
totalement inattendu qu’elle a tendu à celui qui pendant ce temps-là buchait à
la CCI avec les représentants des salariés ! Ce qui s’appelle catapulter
un agenda et cour-circuiter le redémarrage poussif d’une campagne mise entre parenthèse
depuis trois jours ! Car depuis sa triomphale non élection de dimanche et
sa traversée victorieuse vers la Rotonde, Manu avait comme disparu des radars.
Au point d’inquiéter son mentor de l’Elysée, lequel, fin connaisseur des campagnes,
aura rappelé au « maitre des horloges » que le temps d’une élection
dure ce que dure l’élection, et qu’il était grand temps de repartir au combat.
Elle lui aura cisaillé les pattes.
Apres une heure de travail « de fond » venant bien tard (ce que ne
manquera pas de lui rappeler un ouvrier sur le parking des Whirpool), Monsieur
le « pas encore président » se voit donc contraint de faire ce qu’il
s’était juré de ne pas faire : aller au cœur du gouffre et se lancer à l’eau
comme un grand.
Il fut attendu et accueilli avec des
sifflets et des injures, et courageusement rentra dans la meute. Les images
furent là, et furent terribles, absolument terribles sur le plan com pour cet
as du marketing. Un candidat tout jeune en costard qui se fait huer par des
dizaines de gens bientôt sur le carreau dans sa ville natale.
Un rejet de fond auquel
aucun argument, fut-il frappé sous le « coin du bon sens », ne peut
rien faire. L’homme, ce qu’il incarne, ce qu’il est, d’où il vient, ce qu’il a
fait et surtout pas fait : les gens de chez lui savent. Et pendant 45
interminables minutes ils vont un à un lui cracher a la figure tout ce qu’ils
pensent sous le regard froid des caméras. Le lynchage d’un brillant représentant
d’un système haï par les futurs exclus de ce système, sous l’œil plutôt bienveillant
de François Ruffin, ancien camarade de classe … d’Emmanuel Macron : quelle
séquence !
« L’état ne peut pas tout »
avait lâché excédé un Jospin en fin de campagne à des ouvriers eux aussi
licenciés en 2002 : cette petite phrase avait sonné l’heure de sa défaite.
On ne peut en France remporter une élection présidentielle sans le soutien
franc de ce socle-là. Giscard en 74 fit plus de voix chez eux que Mitterrand,
Mitterrand plus que Giscard en 81, Chirac y dépassa Jospin en 95 puis 2002,
Sarko Ségolène en 2007, Hollande Sarko en 2012.
Et les jolies plumes voudraient nous
faire croire que cette fois…
L’élection vient sans doute de se
plier hier sur un parking d’Amiens. Le rouleau compresseur vient de s’inverser,
et nos chers instituts de sondage vont commencer à sortir quelques enquêtes
enregistrant doucement la bascule sans pour autant pouvoir consigner la vitesse
du retournement. Un peu comme dans la primaire qui vit Fillon prendre 30 points
en deux semaines.
Depuis dimanche, les erreurs du camp
Macron, celles du candidat, de ses soutiens et de ses ralliements se
multiplient à une rapidité sidérante. Un discours totalement à côté de la
plaque Porte de Versailles, ou le mec oublie de mentionner la présence du FN au
2e tour, et se lance dans un numéro christique totalement creux aux cotés
de sa First Lady. Un mini Fouquets en compagnie de vieilles gloires, avec une
sole à 46 euros (une sole : quelle gaffe !). Une disparition des
radars deux jours. Un entourage proche qui fait savoir qu’on bosse sur les
candidats aux législatives - comme si c’était le moment ... Un Sarkozy et un
Hollande (les deux grands perdants de ces dix dernières années) qui annoncent
leur ralliement. Un Fillon épuisé qui en fait de même. Un micro PS a 6 pour
cent qui se donne à gober comme un macaron de Ladurée. Un comité LR qui avec
des têtes d’enterrement va à l’échafaud. Des remakes poussifs de 2002 « halte
au fassisme » qui ne prennent pas. Des marchés boursiers qui exultent. Une
presse qui annonce « c’est plié » six mois après l’électrochoc Trump.
Bref tout un système qui vient de vivre une séquence non-stop de six mois de dégagisme
et qui se joue « résurrection » juste après l’assomption.
Le rouleau compresseur est en
marche, et la clef est l’abstention. Celle-ci sera forte, depuis la gauche de
la gauche à la droite de sens commun. Ceux-ci refusent les mots d’ordre et ne
se laissent pas intimider. Entre deux remèdes qui ne leur conviennent
absolument pas ils choisiront d’aller pour beaucoup à la pêche.
Mélenchon ayant
reconnu une vérité qui semble choquer nos acharnés de la démocratie, à savoir
que les voix qui se sont portées sur lui ne lui appartiennent pas, ceux qui
auront mis son nom dans l’urne feront, comme tout le monde, ce qu’ils veulent
en leur âme et conscience.
Les 10 points que Marine doit gagner
sur l’actuel 60/40 sont à portée de main. Encore 10 jours et l’impensable, à défaut
d’être souhaitable, devient possible. La logique d’une élection est celle d’une
dynamique, et les erreurs des trois ou quatre premiers jours de la campagne épisode
2 de Manu donnent le ton. Je crains que « l’anecdote Whirlpool »
(pour reprendre l’expression pleine de morgue d’Attali, qui en l’occurrence a
quelque peu agi comme un surmoi du candidat) ne devienne un cas d’école dans
les livres d’histoire.
L’histoire du jour où tout a commencé à basculer.
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