dimanche 2 avril 2017

Cultiver son jardin

Un jardinier ne saurait décemment passer un jour sans s’occuper de son jardin. De même un écrivain, à compter d’un certain âge, ne saurait passer une journée sans sortir sa plume de l’étui. Il doit j’imagine en être de même pour un chanteur (ou une chanteuse), un danseur, un musicien, un sculpteur ou un peintre. Exercer un art (j’inclus tous les artisans dans ce mot) est comme une ascèse : à un moment la mission prend le pas sur le reste, c’est-à-dire le premier plan.

Le mien a pour caractéristique le fait de s’adresser dès la publication à la multitude. C’est-à-dire au plus grand nombre. J’ai ces derniers mois réussi à passer d’un cercle intime de quelques cent ou deux cent lecteurs à quelques milliers – dont je ne connais pas plus des neuf dixièmes. Il y a dans ce changement d’échelle à la fois le résultat de ce que je voulais (il n’y eut aucun hasard mais bien une stratégie pensée) et la nécessité absolue pour moi d’une prise de recul. L’éloignement n’est donc pas fortuit, et toutes les contingences de ma vie d’avant sont passées de fait au second plan.

Je savais avant que de basculer dans cette dimension que la lecture traduit le lecteur bien davantage que son auteur, et donc qu’il était plus que nécessaire de se mettre à distance des avis quels qu’ils soient, de ne pas en dépendre tout en sachant les entendre. Le changement de perspective a renforcé cette nécessité. D’autant que ce que je vis actuellement, ce roman vendu a presque 2000 exemplaires et dont les retours sont assez incroyables, et aussi ces tribunes lues par quelques milliers d’inconnus, ce n’est qu’une étape dans mon projet. 

Quand j’étais au collège, je visais toujours 18 et j’avais 16, j’ai été formaté comme ça, ça a souvent donné lieu à des incompréhensions et quelques jugements de valeur mais le résultat c’était 16 avec au bout la liberté de choisir ma vie comme je l’entendais. J’ai su cultiver très jeune une forme d’indifférence a l’avis d’autrui sur l’essentiel. Cette obstination a provoqué quelques remous, mais c’est derrière. Rien n'a changé sinon que je vise a présent 20 pour obtenir 18.

Ce qui m’importe avant tout est de faire, c’est-à-dire de continuer chaque jour à avancer, à cultiver ce jardin et à construire ma toile. Le nombre compte bien sûr, il compte beaucoup à mes yeux, c’est bien le moins quand on est ambitieux, qu’on souhaite atteindre la multitude et qu’on vit dans un monde matérialiste. Mais il importe moins que la qualité des retours et surtout leur profondeur.

Celle-ci s’exprime de mille façons et toutes me vont. Mes textes étant tous écrits dans le même état de quiétude et ce quel que soit leur sujet (certains sont très apaisants, d’autres sont au contraire dérangeants pour certains, vécus comme violents parfois – ce qui est du ressort du lecteur et non du mien), ils ont un point commun et un seul : sincères et non travaillés, ils coulent vite, les mots tombent comme les idées. Il n’y a pas de construction, pas de travail du texte, pas de plan préétabli mais bel et bien un flux qui coule et que je ne censure pas, ou presque pas. Il est donc en l’état parfaitement légitime que ce robinet qui ne débite guère d’eau tiède conduise à des réactions pouvant aller d’un extrême à l’autre.

Chaque lecture me va, chaque silence me va, même les trolls (j’en ai deux ou trois et je les aime beaucoup ceux-là) me vont. Je m’habitue à résister à l’envie de commenter les commentaires à propos de mes tribunes et à me retirer de ce jeu-là, et à lire avec amusement les commentateurs débattre et parfois s’invectiver entre eux. On ne peut à mon sens être à la fois dans l’eau et sur la berge, il faut choisir sa place et s’y maintenir y compris contre une part de soi qui aurait tellement envie d’embrasser untel et de coller une beigne à l’autre. Sitôt publie ça ne m’appartient plus.

Quelques amis m’ont aidé l’été dernier à lancer SUNDANCE à ma demande. Grace à eux en parallèle de ma propre action, la mayonnaise a pris, ce n’était pas simple de faire ça dans son coin sans éditeur ni distributeur, simplement avec ses petits moyens. Le résultat « rapport d’étape » compte tenu des moyens mis en œuvre est incroyable : dix fois ce qu’un éditeur connu vend pour un roman d’un auteur inconnu en moyenne. 

C’est un super début mais ce n’est qu’un début, pas question de s’arrêter en si bon chemin. Il va me falloir finir le 3e volume cet été puis le sortir à la rentrée, et écrire puis publier les 5 volumes restants à raison d'un par an. Comme je l’ai confié à Néo (qui maintenant commence à me croire après avoir été sceptique au début), la logique (et mon souhait) serait que l’explosion se fasse à la fin, une fois écrit le dernier mot du 8e volume. 

Si jamais ça advenait (j’ai bien dit SI) alors je serais fin prêt. A 57 ans (ce serait mon âge à ce moment précis) on ne cède plus aux miroirs aux alouettes et on est solide. Du mois j’espère.




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