dimanche 30 avril 2017

L'improbable possible


« La France court au désastre.
Ce qui paraissait impossible il y a peu de temps encore n’est plus aujourd’hui improbable : Mme Le Pen peut devenir la Présidente de la République française ; à tout le moins le score du Front National au deuxième tour  peut dépasser la barre des 40%, voire des 45%, ce qui serait déjà un coup de tonnerre politique.
La trahison de N. Dupont-Aignant, l’attitude ambigüe de J.L. Mélenchon, l’effondrement du PS, les finasseries de certains de mes propres « amis » politiques ajoutent à la confusion générale sur laquelle prospère le FN. »

Ces quelques lignes qui ouvrent le dernier billet publié par Alain Juppé sur son blog m’apparaissent symptomatiques de la totale déconnexion de la très grande majorité de notre personnel politique (et de leurs relais chapeaux à plumes dans les medias) par rapport à ce qui se passe actuellement en France.

Juppé fut celui qui, quatre années durant, nous fut présenté et vendu comme le « plus que probable futur président de la République »(comme DSK avant lui). Balayé a la surprise générale du seul fait de ce « Sens Commun » qui n’a de commun que le nom aux primaires de la Droite et du Centre, il fut au pire des scandales Fillon ressorti du chapeau par la quasi-totalité des caciques LR désireux d’éviter une mort annoncée. Avant d’être rangé au fond du chapeau du fait du seul Sarkozy, voulant à tout prix éviter le réveil du « meilleur d’entre nous » et accessoirement seul rempart contre sa propre suprématie de petit tireur de ficelles.

Le programme dudit Juppé aux primaires était à peu de choses près celui de Macron. Une avalanche de bons sentiments bleu blanc rouge et une cascade de mesures anti sociales propres à étouffer un malade déjà exsangue par deux décennies d’heureuse mondialisation.

Face à l’inéluctabilité d’un dégagisme dont il n’aura été qu’une victime parmi d’autres, le connétable de Bordeaux (cette grande ville au brassage socio ethnique réputé) s’en va, tels Hollande, Valls et consorts, exhorter le populo à résister a la déferlante extrême droitière… en convoquant à lui les recettes du logiciel de son mentor Chirac il y a 15 ans de cela.

Sauf qu’entre temps … Notre Amstrad (comme on l’appelait autrefois) semble avoir oublié quelques vérités : le FN de 2002 était parvenu au 2e tour à la surprise générale, ses élus n’avaient pas investi les collectivités territoriales, ses thèmes n’avaient pas fait mouche sur une part non négligeable de la population et de ses élus (chez les Républicains surtout), les victoires électorales successives n’avaient pas eu lieu, et puis c’était Jean-Marie et non Marine, sur une ligne extrêmement différente à l’époque, tant dans le programme que dans les discours.

Un chambardement depuis l’accession de la benjamine en 2011 à la tête de ce parti eut lieu dont notre grand homme, et bien d’autres avec lui, semble n’avoir aucunement pris la mesure. Et le voilà qui, tel son clone En Marche, agite désespérément le même chiffon rouge.

Je crains, cher Monsieur Juppé, avec tout le respect que je vous dois, que vos injonctions ne soient bien trop tardives. Il eut fallu sans doute que vous ne campiez pas depuis si longtemps sur un matelas de certitudes et de bien-pensance pour aujourd’hui, à quelques encablures d’un possible point de bascule, subitement sortir affolé de votre torpeur. Ce bon peuple qui n’est guère présent dans les murs ripolinés de votre belle cité girondine a comme qui dirait réécrit une part significative de cette histoire à laquelle vous vous rattachez avec 15 ans de retard. 

Et celle-ci semble vous signifier de dégager, je le crains, vous et toute la classe politique à qui fut confiée de nombreux mandats et de nombreux avantages dorénavant arrivés à échéance. Ce fut un prêt voyez-vous, et non un du, que ce pouvoir qui vous fut confié. Vous disposez encore d’un joli bastion : eh bien restez-y, et pensez un peu à la Libye que vous avez balancée dans le chaos le plus atroce…

C’est cruel sans doute que de voir toutes ces belles âmes échouer sur le mur du réel et se faire renvoyer dans leurs buts : mais quoi, la politique n’est en rien une bluette, et échouer personnellement quand on a échoué aux manettes est la règle. C’est le peuple qui est le dépositaire au bout du bout, et là, un bon paquet d’entre vous vont émarger à la retraite…Je ne vous plains pas Messieurs Dames, celle-ci que vous vous êtes votée est plus que confortable, et ce sont nos impôts qui vous la versent.

J’observe cette semaine le camp Macron multiplier erreurs et bévues, sorties de terrains, erreurs de timing… Je les vois refuser de faire campagne, tenter des coups, faire dans la gadgetisation à Sarcelles et à Oradour et les rater les uns après les autres. Ces images pour TF1 ne suffisent pas à convaincre au-delà des convaincus, il faut faire campagne, Manu ! Et quand tu te pointes sur un terrain populaire non balisé par ton équipe, eh bien je vois moi que ça se passe TOUJOURS mal.

J’observe ces Richard Ferrand ou Christophe Castaner, cette pauvre Laurence Haim, véritables bleus en politique, pédaler dans la choucroute. Ces gars-là s’imaginaient que le front républicain allait suffire à justifier une dernière ligne droite paisible, Euro RSCG leur avait assuré, 2002 oblige, que c’était plié de fait dès lors que le 1er tour était franchi. La 1e place de Manu (due à la brillante campagne des Insoumis qui auront réussi a piquer 3 à 4 points a Marine) les conforta : au meeting de la Porte de Versailles dimanche dernier un journaliste du Canard tomba nez à nez avec deux associés de Rothschild, anonymes bien sûr, qui bichant s’y croyaient déjà.

La semaine qui s’achève vit la péronnelle de Montretout marquer des points décisifs. Echec au Front Républicain, lézardé par des électeurs et des élus dissidents. Appels multiples a l’abstention, refus de Mélenchon de céder a l’injonction facteur de continuité pour les mêmes. Prises de taille à l’ennemi, dépassement enfin franchi des murs FN en vue d’une plus que probable recomposition de la droite ou les Républicains, comme avant le PS, risquent de finir en slip. Sens Commun qui sur les réseaux lance un appel à voter Marine … Whirlpool et les selfies… Revirement sur l’euro a 7 jours du 2e tour… Et 6 points de gagnés sur l’adversaire.

Je ne sais quel sera le résultat, mais la dynamique est bel et bien en marche, et pas pour celui qu’on croyait. Les logiciels sont périmés Messieurs Dames, va falloir vous réveiller dans la dernière ligne droite si vous ne voulez pas que l’impensable et impensé devienne possible. Jetez un petit coup d’œil sur les travaux du physicien chercheur au CNRS Serge Galam, lequel contre tous les sondages de dernière minute avait bien à l’avance prédit (comme moi mais sans ses méthodes scientifiques) le Brexit et Trump. On n’est pas dans le sûr de chez sûr mais dans l’observation in situ d’un phénomène incontrôlable qui avance à toute vitesse, et peut dimanche prochain ébranler tout un matelas de conviction et créer un effet de sidération stupéfiant.


Alors prenez, c’est mon conseil, juste le temps de le penser avant, au cas où … Car la logique que nous observons depuis la rentrée 2016 est simple à comprendre, il s’agit de renverser la table et de le faire vraiment jusqu’au bout. Ne serait-ce que pour ne pas avoir à le faire encore plus violemment le coup d’après.


samedi 29 avril 2017

On le bouffe quand ce sanglier ?


A lire ce qui vient de France depuis quelques semaines et dimanche dernier surtout, à le faire d’ici, à plusieurs milliers de kilomètres, à lire ici et là sur tout ce que la toile et les réseaux donnent à voir, ces leçons, ces pugilats, ces disputes et ces blocages au sujet d’un seul et même sujet actuellement posé comme le seul sujet qui soit, j’en viens à me dire combien j’ai bien fait de prendre la poudre d’escampette.

C’est peu dire que je ne suis en rien surpris du tour des choses. Ces quatre années passées à Paris après 3 sur l’ile de la Réunion m’avaient mis au parfum : ceux qui font du bruit (quel que soit leur bord) sont tellement nombreux que les autres, majoritaires je l’espère, sont du coup aux limites de l’inaudible.

Que de violences dans ce que je lis, que de rejets, de sentences, de coups à l’estomac. Que d’émotions peu contrôlées et lancées publiquement qui séparent et font se heurter des gens qui s’aiment. Quelle tristesse, vraiment !

Comme si quel que soit le résultat des urnes vous (je me mets à l’écart, n’étant plus ici) n’alliez pas continuer à vivre ensemble dans le même bain ! Car quoi ? Si Marine perd avec 47 ou 45 pour cent, comment allez-vous faire pendant cinq ans ? Exclure 47 pour cent des votants plus tous les abstentionnistes ? Franchement vous pensez que c’est faisable de vivre ainsi en demandant aux gens qui marchent sur vos trottoirs leur étiquette puis d’appuyer sur un bouton « bloquer » ? C’est ça la démocratie : l’exclusion érigée en système de vivre ensemble ?

Que signifie avoir raison ou tort ? Chacun a ses raisons, et celles-ci n’ont pas quand on est civilisé a être raillées ou méprisées par autrui en tant que telles parce qu’on a acquis cette certitude bas de plafond d’être dans le vrai. Chacun a une voix et chaque voix en tant que voix doit être respectée. Une fois les polémiques vidées de leurs crachats tous sur la piste de danse, on éteint la lumière et on se retrouve à écouter le même son, à danser ensemble, oui, ensemble ! On s’est foutus sur la gueule tout le stock de poissons de Bonnemine mais à la page 44 on a accroché Marine et Manu dans l’arbre et on BOUFFE CE PUTAIN DE SANGLIER ! Hein les gaulois ?

Il n’y a aucun bon ou mauvais choix en soi, il y a le choix, et notamment celui de refuser en tant qu’être civilisé de rentrer dans ce jeu stupide de l’extrême division. Celle-ci rapetisse et ne glorifie personne, de quelque bord. Seul l’amour et la tolérance et tout ce qui s’y rapporte vaut et élève, tout le reste n’est qu’écume. Penser un instant que la guerre des mots et que la guerre civile fut-elle nichée dans de menues conversations écrites ou orales va vous conduire sur la route du bonheur est un leurre.

Ne cédez pas à ça, ne vous faites pas au travers de vos comportements les vecteurs consentants d’un système qui vous envoie ses décharges comme on manipule un rat dans une cage. Résistez à ça, réapprenez à converser paisiblement avec celles et ceux qui ne pensent pas comme vous et ont comme vous leurs raisons. Admettez que celles-ci ne soient point malfaisantes ou malveillantes par essence, pas plus que les vôtres.

Dans huit jours c’est plié alors ne les perdez pas, ces huit jours, à vous bagarrer bêtement avec ceux que vous aimez et avec la terre entière, vu que quel que soit le choix yen aura au moins la moitié qui vont tirer une gueule de six pieds de long.

C’est ça à quoi j’ai dit plus qu’au revoir. A cette violence, à cette surdité, a cette incapacité à écouter l’autre, à le comprendre, à l’admettre tel qu’il est. A ces postures ou on dit blanc par devant et noir par derrière, ou on sourit par oral et ou on crache par écrit. J’ai dit bye bye à une impasse collective, et combien je ne le regrette pas.

Seul l’amour, oui. Celui que chantait Brel, celui des poètes, celui d’Edith Piaf et de Barbara. Celui des Parapluies de Cherbourg, des films de Truffaut, celui (LOVE) de Gaspar Noé.


Toute autre voie est une impasse.


vendredi 28 avril 2017

La déraison


15 euros par jour et par tête de pipe, voilà l’équation. 15  euros TTC tout compris. Etre logé, se nourrir, acheter ses clopes, ses bières, un t-shirt ou une fringue de temps à autre. Ne rien accumuler bien sûr, car accumuler signifie poids, et poids crampes quand on bouge avec le sac à dos. Ne garder que le nécessaire donc, attendre qu’un truc s’use pour le remplacer. Pas de gras, peu de possessions, et donc de fait prendre un soin tout particulier à ce peu-là. Bien sûr ne rien louer, ni maison ni appartement sur la durée, tout en s’offrant ce luxe de pouvoir comme actuellement prolonger de semaine en semaine une halte particulièrement agréable.

Cet enfer de la propriété : quelle joie d’en être sorti ! A tout moment se donner la liberté de pouvoir partir du jour au lendemain, simplement sur l’envie, sans être retenu par aucun fil à la patte. Aucun meuble, aucune facture, aucune quittance : que tes jambes et rien que ça.

Gagner beaucoup importe peu, ce qui compte c’est pouvoir pleinement profiter de ce que tu gagnes, du peu que tu gagnes. Ici avec 1000 euros je tiens quatre fois plus longtemps qu’à Paris au moins. La vie offrant chaque jour des merveilles juste en bas de ta porte, aucun besoin de sortir, de se distraire, de compenser. Pas d’horaires imposés, et pourtant me concernant une rigueur que je m’impose chaque jour, une rigueur voulue, donc une liberté. Rien ne m’y contraint. Je n’ai jamais eu aussi peu gagné et aussi peu besoin de gagner et autant profité : joli paradoxe.

Ce sont les cadres et les carcans qui créent restrictions, besoins de compenser et frustrations. Posséder m’apparait compte tenu de ma nature le contraire d’une liberté, une non chance, un asservissement. Etre contraint de planifier le remplacement d’une chaudière ou d’une machine à laver, au lieu d’être là à écrire et à marcher tranquillement dans les rues ensoleillées : quelle barbe !

Les seuls rendez-vous sont ceux que je me donne à moi-même et le reste s’adapte selon les envies du moment. Ce que je ne souhaite faire ce jour est fait le lendemain ou deux jours plus tard. Plus aucun cadre de qui que ce soit ne m’est actuellement imposé, la vie telle qu’elle se présente y compris dans ses dimensions bassement matériels le permet : mieux, y conduit. C’est l’âge idéal pour dire et pour acter : les efforts ont été faits, maintenant passons à autre chose.

L’argent est redevenu ce qu’il n’aurait jamais cessé d’être, enfin : un moyen et non une finalité, un facilitateur et non un carcan. Il suffisait en définitive de refuser radicalement tout un système et de ne faire aucune concession sur rien. Il suffisait de récuser tous les avis raisonnables et de n’écouter que ma propre déraison. Laquelle est arrivée à ses fins a la longue.

Pour combien de temps ? Mais à quoi bon cette question contrôlante – quand chaque jour chaque instant apporte tout ce qui convient depuis des mois et des mois ? A quoi bon revenir à ces raisonnements alambiqués d’antan qui obscurcissaient l’horizon en faisant trop référence à l’hier et à demain ? C’est passé  hier, et demain on verra bien.

Et voilà que me reviennent ces strophes d’une chanson de Barbara. Qui une fois encore illustrent parfaitement ce que présentement je vis.

A te regarder vivre en plein soleil, 
A te regarder vivre, je m'émerveille 
Et j'en oublie l'hiver et son cortège. 
Je ne vois plus tomber la neige. 

J'ai trouvé, ce matin, à mon réveil, 
Ce petit bout de givre sur mon sommeil. 
J'ai trouvé, ce matin, au creux de moi, 
Comme un cristal, ce bout de froid 

Et j'ai posé sur ton épaule, 
On ne croira pas, c'est vraiment drôle 
Mais je l'ai vu se fondre, tout pareil 
Comme du givre à ton sommeil. 

Je vis sous un ciel aux couleurs d'ombre 
Qui n'a ni juillet, ni décembre 
A te regarder vivre, à l'abandon. 
J'ai choisi pour saison, la déraison 




Bêlantes injonctions


Voilà que ressurgissent, tels les bouquets de muguet du joli mois de mai, les bêlantes injonctions, les impératives admonestations, les bienpensantes tribunes, les enflammées déclarations, les subtiles comparaisons, les expressément bienveillantes conjurations. Et avec elles cette dégoulinante gelée de bons sentiments collant aux lèvres et aux chaussures, un peu comme cette glu dans laquelle les mouches s’emprisonnent. Et que ne peuvent, dans un dérisoire sursaut patriotique, s’empêcher ici et là d’administrer depuis tout un camp prétendument du bien à tous les autres, pensant mieux pour autrui qu’autrui, forcement davantage au fait, forcément plus à même de définir le remède à prendre à son corps défendant, forcement éclaireur de consciences égarées. Et s’arrogeant entre bruit et fureur le droit de ruer dans les brancards et de mettre ses pieds sur la table de l’autre, cet autre, irresponsable forcément, cet abstentionniste, forcément complice du vice qui s’en va par sa désertion nous ramener Hitler en perruque blonde à l’Elysée.

Ces nouveaux clercs urbains sont de grands démocrates. Ils savent mieux que toi ce qui est bon pour toi et leur voix qui porte et tonne et résonne compte double voire triple. Peu leur sied que tu puisses avoir développé une pensée autonome et ne pas avoir chaussé la même paire de lunettes qu’eux : tels les illuminés de Sens Commun, ces prêtres arbitres du bon gout ont défini la ligne à suivre, et toute dérogation sera passible de sanctions. Vote avec une pince à linge s’il le faut, mais vote Micron.

Ces bruyants contempteurs de la bienséance près de chez vous me font parfois penser aux pensionnaires de la Veuve Vauquer dans Le Père Goriot. Jamais aussi doués pour jouer de la voix entre soi et imposer à autrui leurs avis, ils n’ont de cesse en coulisses de médire sur ce avec qui et quoi ils n’ont aucune empathie et d’attendre patiemment tel Rastignac de lui piquer ses bijoux de famille.

Le sort de ces centaines de milliers d’exclus à ce système qui ne les dessert point ou point trop les indiffère. Ces pouilleux d’ouvriers de Whirpool qui se font faire des selfies avec Marine n’ont qu’à se contenter des allocs qu’on leur versera et à s’adapter, notre Manu s’en va leur trouver un recyclage tout prochainement. De quoi se plaignent-ils ces gueux qui autrefois votaient à gauche ? Ces ploucs racistes et xénophobes pensent mal, votent mal et s’habillent mal, on ne va quand même pas les plaindre, nous qui avons piqué les places à Solferino entre autres pour mieux leur apprendre à faire comme on dit et surtout pas ce qu’on fait ?

Il y a eu trahison, à gauche et à droite, par ses partis et par ses votants acharnés, haute trahison du contrat de base passé avec le peuple, celui-là que la mondialisation écrase et détruit, ces familles décimées par le chômage, la misère, les allocs, le mauvais brassage ethnique et le mépris de classe. Et celui-ci se venge par bulletin de vote parce qu’il n’a plus que ça pour se faire entendre.

Et vous, vous lui déniez ce droit encore et toujours. Si votre champion passe ils vont en reprendre double dose pour cinq ans, ceux-là des banlieues ou vous ne mettez pas un pied, ceux-là de ces campagnes fort éloignées de vos jolis centres villes bourgeois, ceux-là du Nord, de Picardie, ceux-là des régions désertifiées et abandonnées par votre beau modèle inégalitaire qui vous sert d’aquarium. Et la prochaine fois ils se vengeront encore plus fort et vous perdrez. Saloperie d'illettrés alcooliques, va !

Si par contre c’est ce coup-ci, nul doute que stupéfaits par trente ans d’aveuglement et de surdité à la cause sociale, vous sortirez aussitôt le couteau entre les dents insulter ces traitres parmi vous à portée de voix qui auront manqué. Vous ne vous remettrez pas en cause, bien sûr que non, surtout pas, vous n’en êtes tout bonnement pas capables, vous qui depuis 1983 usez et abusez de ce réflexe pavlovien du chantage au fascisme pour mieux vous complaire dans votre camp du bien. Vous vociférerez, vous pétitionnerez, et puis en bon petit bourgeois vous continuerez à prendre votre ligne de métro et à payer vos impôts. En pestant comme des teignes. En plastronnant que vous allez quitter ce pays qui ne vous mérite plus, ce pays de gueux, de pouilleux, de racistes, de lepénistes. Et en bons va-de-la gueule vous n’en ferez probablement rien.


Alors en attendant, faites comme bon vous semble, balancez nous comme d’hab’ vos injonctions et vos impératifs, continuez à nous prendre nous, insoumis de gauche ou de droite, abstentionnistes et fiers de l’être, pour des sous-développés du bulbe et des irresponsables. Tempêtez, tonnez, rouspétez, et petez un coup surtout. Ne vous en déplaise, nous sommes libres et en démocratie. Et nous ferons, ne vous en déplaise, ce que nous voulons, sans faire la leçon à personne. 

Et quel que soit le résultat, la Loana brune ou le Jean-Edouard rose bonbon, ce choix piteux qui n’était certainement pas le nôtre, nous entrerons en résistance.


jeudi 27 avril 2017

Vie et Mort en direct de Romy S.


« Non ne faites pas de photos, je suis une comédienne, vous savez, je sais faire mieux que ça ».

Cette réplique bafouillée par une Romy en larmes, à califourchon sur un homme en sang et qui ouvre le bouleversant L’important c’est d’aimer, j’imagine qu’elle aurait pu la prononcer telle quelle quand quelques années plus tard (c’était en 1981), la vie venant de lui ôter dans de tragiques circonstances son fils David, elle découvrit horrifiée qu’un photographe s’étant glissé à la morgue ou reposait le corps de son enfant  avait pu ainsi permettre à « une certaine presse » de publier l’odieux cliché en une.

Un an plus tôt sortait dans les salles françaises La mort en direct, tourné à Glasgow en Ecosse, et dont le sujet entrait en résonnance avec quelque avance sur la biographie de l’actrice. Dans un monde ou la science avait réussi à éradiquer la maladie, une chaine de télévision inventait une émission de télé réalité (bien avant l’avènement de celle-ci) dont le pitch était de suivre à la trace une femme à laquelle on avait à son insu injecté un virus pour la faire à petits feux mourir. Suivie par un homme étrange à qui on avait greffé dans les yeux une caméra, Katherine Mortenhoe vivait alors devant nos yeux ses derniers instants de vie. Et le spectacle de sa mort nous maintenait cloués au fauteuil, témoins passifs et donc consentants de sa lente agonie.


La véritable Romy s’éteignit en 1982, deux ans plus tard, laissant son pays d’adoption sans voix.

La vie de cette actrice mythique se confond avec l’histoire de la seconde moitié du siècle dernier, avec ses pages les plus noires comme avec ses moments les plus beaux. Celle qui grâce à la camera de Claude Sautet devint, elle l’autrichienne, l’incarnation sublimée de la femme française, naquit sous les cieux du nid d’Aigle, et grandit dans un petit village de Bavière en jouant sans le savoir avec les enfants des plus hauts dignitaires du régime nazi.

Sa mère, national socialiste fervente et amie du Führer, possédait un chalet non loin de celui du Maitre du IIIème Reich. Et connut, à la chute du régime, une période d’indignité dont elle parvint à s’extraire en utilisant sa fille unique pour repeindre en rose bonbon l’image dégradée d’un pays ainsi que la sienne.

Cette mère maquerelle tenait la jeune femme de près comme un investissement, négociant ses cachets et les conservant jusqu’à sa majorité. Mais cette dernière, éprise de liberté, eut tôt fait de profiter d’un tournage en France ou elle tomba amoureuse du bel Alain Delon pour s’échapper du nid et vivre comme elle l’entendait sa vie.

L’abandon de l’Allemagne au profit de l’ancien ennemi français fut vécu outre-Rhin comme une trahison, et de très nombreuses plumes teutonnes la poursuivirent jusqu’à sa mort de leur vindicte.

Quand celle-ci découvrit l’horreur de ses origines, qu’elle sut la face cachée de cet Hitler sur les genoux duquel petite fille elle sautait, quand elle apprit l’horreur des camps, elle fut à ce point bouleversée qu’elle porta toute sa vie dans sa chair cette monstruosité, offrant à ses deux enfants des prénoms juifs, et signant des deux mains tout projet (jusqu’à son dernier, celui auquel elle tenait le plus, La Passante du sans souci) traitant de cette guerre-là. Le Train et Le vieux Fusil  sont sans doute les plus beaux.



A peine trente ans après la fin des bombardements, elle devint elle, « l’autre chienne » comme l’appelait son ami Michel Piccoli, elle la schleu, l’actrice préférée des français, la femme idéale dont les hommes tombaient amoureux, et celle que les femmes prenaient pour modèle. Elle devint l’actrice de Claude Sautet, la Rosalie de la France des années Pompidou et Giscard, celle qui vivait à l’écran « Une histoire simple » et la partageait avec ses somptueux regards camera.

Laquelle histoire loin des projecteurs, allait dans un sens radicalement inverse. Comme si ce don à incarner un pays autrefois ennemi et donc la réconciliation dans une mémoire enfin acceptée devait se payer pour celle qui avait revêtu l’habit de mille souffrances. Son appel au bonheur, si éclatant dans certains plans de La piscine, par exemple, cette faculté à prendre la lumière et a irradier furent année après année rongés par des séparations, des dépressions, des deuils et des drames. Depuis le suicide de son ex-mari jusqu’à la mort dans des circonstances tragiques de son fils.

Si la presse et les paparazzis la pourchassèrent, l’immense public qu’elle drainait depuis longtemps jamais ne voulut regarder cette « mort en direct », et la respecta infiniment jusqu’à son dernier souffle.

Elle demeure, trente-cinq ans après sa mort prématurée, plus qu’une icône : une incarnation et un modèle, et l’actrice sans doute de tous temps la plus aimée en France. Son chemin de croix préfigurait le temps des barbares, celui de la téléréalité, des portables qui te filment à ton insu jusqu’à ce que comme au cirque tu t’écroules la gueule ouverte. Ce temps  des émissions vulgaires, des célébrités jetables et des ricanements.

Elle fut heureusement Reine en un temps pas si ancien ou admirer était une valeur hautement partagée, à une époque de conquête de libertés qui ne vivait pas dans la peur ou on reconstruisait ce qui avait été détruit.

Née dans le nid de l’Aigle, la petite Romy s’en était envolée au loin, et avait déposé sur son passage des pépites gravées sur pellicule.

Qui dans cent ans feront encore pleurer mais aussi rever. Astre noir tragique illuminant nos mémoires d’enfants.




Whirlpool ou le jour où tout a basculé


Elle a pris tout le monde par surprise et est arrivée telle une Madone sur le parking des Whirpool, au beau milieu de sa région natale. Fut accueillie par des hourras et des « Marine Présidente ». A serré des mains et fait quelques selfies, tout sourires. A lancé quelques phrases face camera, entourée de gentilles ouvrières et de gentils ouvriers. Leur a dit exactement ce qu’ils avaient envie d’entendre, sans bien entendu développer quoi que ce soit. « Avec moi tout ira bien, je ne vous laisserai pas tomber ». Puis s’en est repartie comme elle était venue.

Vingt minutes, ça a duré : vingt minutes.


Quel coup de com ! Et quel piège totalement inattendu qu’elle a tendu à celui qui pendant ce temps-là buchait à la CCI avec les représentants des salariés ! Ce qui s’appelle catapulter un agenda et cour-circuiter le redémarrage poussif d’une campagne mise entre parenthèse depuis trois jours ! Car depuis sa triomphale non élection de dimanche et sa traversée victorieuse vers la Rotonde, Manu avait comme disparu des radars. Au point d’inquiéter son mentor de l’Elysée, lequel, fin connaisseur des campagnes, aura rappelé au « maitre des horloges » que le temps d’une élection dure ce que dure l’élection, et qu’il était grand temps de repartir au combat.

Elle lui aura cisaillé les pattes. Apres une heure de travail « de fond » venant bien tard (ce que ne manquera pas de lui rappeler un ouvrier sur le parking des Whirpool), Monsieur le « pas encore président » se voit donc contraint de faire ce qu’il s’était juré de ne pas faire : aller au cœur du gouffre et se lancer à l’eau comme un grand.

Il fut attendu et accueilli avec des sifflets et des injures, et courageusement rentra dans la meute. Les images furent là, et furent terribles, absolument terribles sur le plan com pour cet as du marketing. Un candidat tout jeune en costard qui se fait huer par des dizaines de gens bientôt sur le carreau dans sa ville natale

Un rejet de fond auquel aucun argument, fut-il frappé sous le « coin du bon sens », ne peut rien faire. L’homme, ce qu’il incarne, ce qu’il est, d’où il vient, ce qu’il a fait et surtout pas fait : les gens de chez lui savent. Et pendant 45 interminables minutes ils vont un à un lui cracher a la figure tout ce qu’ils pensent sous le regard froid des caméras. Le lynchage d’un brillant représentant d’un système haï par les futurs exclus de ce système, sous l’œil plutôt bienveillant de François Ruffin, ancien camarade de classe … d’Emmanuel Macron : quelle séquence !

« L’état ne peut pas tout » avait lâché excédé un Jospin en fin de campagne à des ouvriers eux aussi licenciés en 2002 : cette petite phrase avait sonné l’heure de sa défaite. On ne peut en France remporter une élection présidentielle sans le soutien franc de ce socle-là. Giscard en 74 fit plus de voix chez eux que Mitterrand, Mitterrand plus que Giscard en 81, Chirac y dépassa Jospin en 95 puis 2002, Sarko Ségolène en 2007, Hollande Sarko en 2012.

Et les jolies plumes voudraient nous faire croire que cette fois…

L’élection vient sans doute de se plier hier sur un parking d’Amiens. Le rouleau compresseur vient de s’inverser, et nos chers instituts de sondage vont commencer à sortir quelques enquêtes enregistrant doucement la bascule sans pour autant pouvoir consigner la vitesse du retournement. Un peu comme dans la primaire qui vit Fillon prendre 30 points en deux semaines.

Depuis dimanche, les erreurs du camp Macron, celles du candidat, de ses soutiens et de ses ralliements se multiplient à une rapidité sidérante. Un discours totalement à côté de la plaque Porte de Versailles, ou le mec oublie de mentionner la présence du FN au 2e tour, et se lance dans un numéro christique totalement creux aux cotés de sa First Lady. Un mini Fouquets en compagnie de vieilles gloires, avec une sole à 46 euros (une sole : quelle gaffe !). Une disparition des radars deux jours. Un entourage proche qui fait savoir qu’on bosse sur les candidats aux législatives - comme si c’était le moment ... Un Sarkozy et un Hollande (les deux grands perdants de ces dix dernières années) qui annoncent leur ralliement. Un Fillon épuisé qui en fait de même. Un micro PS a 6 pour cent qui se donne à gober comme un macaron de Ladurée. Un comité LR qui avec des têtes d’enterrement va à l’échafaud. Des remakes poussifs de 2002 « halte au fassisme » qui ne prennent pas. Des marchés boursiers qui exultent. Une presse qui annonce « c’est plié » six mois après l’électrochoc Trump. 

Bref tout un système qui vient de vivre une séquence non-stop de six mois de dégagisme et qui se joue « résurrection » juste après l’assomption.

Le rouleau compresseur est en marche, et la clef est l’abstention. Celle-ci sera forte, depuis la gauche de la gauche à la droite de sens commun. Ceux-ci refusent les mots d’ordre et ne se laissent pas intimider. Entre deux remèdes qui ne leur conviennent absolument pas ils choisiront d’aller pour beaucoup à la pêche. 

Mélenchon ayant reconnu une vérité qui semble choquer nos acharnés de la démocratie, à savoir que les voix qui se sont portées sur lui ne lui appartiennent pas, ceux qui auront mis son nom dans l’urne feront, comme tout le monde, ce qu’ils veulent en leur âme et conscience.


Les 10 points que Marine doit gagner sur l’actuel 60/40 sont à portée de main. Encore 10 jours et l’impensable, à défaut d’être souhaitable, devient possible. La logique d’une élection est celle d’une dynamique, et les erreurs des trois ou quatre premiers jours de la campagne épisode 2 de Manu donnent le ton. Je crains que « l’anecdote Whirlpool » (pour reprendre l’expression pleine de morgue d’Attali, qui en l’occurrence a quelque peu agi comme un surmoi du candidat) ne devienne un cas d’école dans les livres d’histoire. 

L’histoire du jour où tout a commencé à basculer. 


mercredi 26 avril 2017

Lady H. ou la Grande Ourse


Elle a failli à 60 ans réaliser le triplé : Golden Globe, César et Oscar, pour un de ses rôles les plus forts, les plus stupéfiants et les plus complexes, cette ELLE de Paul Verhoven sorte d’équivalent européen de la Sharon Stone de Basic Instinct, o combien plus subtil que le modelé précédent. Une performance absolument sidérante, sorte de sommet pour une actrice parmi les plus respectées et les plus honorées au monde. En l’occurrence une actrice française.

Quels beaux fruits elle aura donnés, cette « Pomme » -  nom de son personnage de La Dentelière, le film de Claude Goretta qui l’aura fait connaitre il y a 40 ans au grand public. Et combien à l’époque il aurait été difficile d’imaginer la carrière de cette virtuose à la curiosité artistique insatiable qui lui aura, souvent à son initiative, donné l’occasion de tourner avec les plus grands sur tous les continents ? Car elle est loin de se limiter aux frontières de l’hexagone, Isabelle H. Pour elle dont la cinéphilie vorace ne fait aucun doute, le cinéma est un art englobant tout et notamment toutes les cultures, des lors qu’il est mu par l’exigence.

Et d’ailleurs, le cinéma n’est qu’une des cordes à son arc, à cette actrice jusqu’au bout des ongles qui cultive autant la simplicité que son contraire, et penche autant vers l’élitisme que vers l’art populaire. Le théâtre, dont elle brule régulièrement les planches, l’accueille ici et là, à Paris, à Londres ou Avignon, sous la férule de grands metteurs en scène, et pas que pour du classique, oh non ! Là aussi elle s’en va cultiver la prise de risques maximale, osant des textes et des auteurs d’avant-garde, portant leurs créations vers un public parfois frileux, se jetant sur scène et dans ses rôles comme on entre en transe, donnant tout et le reprenant aussitôt avec un art consommé de la mise en abime à distance. Totalement EN et a l’extérieur en même temps. Pareil don à se dédoubler, faire et se regarder faire, s’appuyer sur la technique comme elle le fait et se jeter à l’eau… Comme le ferait une bucheuse ou un bon petit soldat capable de concevoir en même temps que le combat la stratégie d’ensemble jusqu’au plus infime détail.

Verhoeven en parle très bien, de la suprême intelligence d’Huppert. Il le dit sans fards et sans pudeur : son apport à un film en situation de se faire est énorme et dépasse de beaucoup son périmètre de jeu. Elle est actrice dans le sens fort, bien au-delà de l’interprétation : elle propose, anticipe, se fond à l’univers de celui qui la dirige jusqu’à souvent le précéder. Chabrol ne disait pas autre chose d’elle qui fut par huit fois sa muse dans des films qui auront marqué en profondeur leurs carrières respectives. Huppert est une partenaire, un coréalisateur, une caméra au-dessus du plateau, un chef opérateur en même temps qu’une interprète.

Même posée dans l’habit d’un rôle tout en discrétions elle conserve cette aptitude qui dénote une exceptionnelle intelligence artistique et intelligence tout court : l’art de créer en permanence par l’attention à toutes choses.

Elle me fait parfois l’effet d’une chatte aux aguets, tranquillement assise à distance au milieu d’une foule bruyante et qui ne se laisse distraire par rien en apparence. Yeux mi-clos et moustache en éveil, gestes lents et posés, comme dans un ralenti. Elle maitrise temps et espace, se vit et se voit et est capable de sentir une mèche tomber sur son front de quelques centimètres et la relever l’air de rien. De l’extérieur ça ressemble à du contrôle, et pourtant cela m’apparait comme son exact opposé : de la maitrise. Une maitrise parfaite. Qui se manifeste dans une présence intense à l’instant.

J’ai eu cette joie l’an passé d’assister après la projection d’un de ses films à un débat rencontre avec elle, dans un petit cinéma du 4e arrondissement. Nous devions être cent cinquante, pas plus. Elle était, comme je me l’imaginais, de petite taille, très mince, très élégante, et en même temps simple, abordable. Pendant près de deux heures, patiemment elle a répondu à nos questions. Certaines, je m’en souviens, étaient quelque peu … disons… pas évidentes, tellement, bref… Etant proche d’elle je ne cessai d’observer son regard, de la regarder en action, de la regarder ressentir et penser. Ce fut incroyable, la voir ainsi assimiler des questions quelque peu naïves ou tournées sur elles-mêmes, et de parvenir avec un pareil tact à en faire un bouquet à destination de celui ou celle qui l’avait posée. Ce savoir-vivre, cette délicatesse généreuse, cet art aussi de mettre en lumière quelqu’un de son public, de lui répondre avec subtilité et gentillesse … Quand tu assistes à cela tu ne peux que tomber baba devant cette faculté qu’ont certains de faire de l’or avec trois fois rien. Et tu comprends pourquoi oui, ce parcours, cette exigence, ce respect, cette élégance…


Ce soir-là devant cette incarnation suprême de la femme française je me suis à moi-même avoué : cette Etoile fait bien de se tenir à distance de toutes les autres, car de toutes, la Grande Ourse, c’est Elle.


Liberté Egalite Choucroute


Ce pays – le Paraguay – ou je vis depuis maintenant plus de deux mois, est une société humaine basée sur la liberté, l’égalité et la fraternité jusque dans ses plus petits détails de la vie quotidienne.

Ainsi, dans pareil cadre, quand sans avoir la nécessité d’inscrire ces trois devises sur les frontons des bâtiments publics tout un peuple partage ce socle de valeurs de naissance, ériger des règles est inutile. Ainsi pouvons-nous, avec notre regard occidental, nous montrer les premiers temps stupéfaits de ce que nous observons. 

Les conducteurs et passagers de motos et scooters roulent presque tous sans casques, parfois à trois ou quatre sur un même engin, parfois en portant des planches de trois mètres de long en travers de la voie. Les voitures se garent un peu n’importe comment sans avoir besoin de l’indiquer par un clignotant, et tournent à droite ou à gauche de la même façon. Très peu klaxonnent, vu que le trafic, en apparence soumis à un joyeux bordel, est fluide et que personne ne cherche à doubler qui que ce soit. On double d’ailleurs par la gauche ou par la droite selon ses envies sachant que la plupart des routes sont à sens unique. Il n’y a pas de limitation de vitesse pour la simple raison que personne n’appuie à fond sur le champignon. Avec ça il y très très peu d’accidents.

Le soir, de grosses caisses dont les coffres ont été équipées de sonos dignes de clubs traversent la ville et s’arrêtent ou bon leur semble, notamment à coté de maisons dont les occupants sont endormis, avec la musique poussée à fond, et personne jamais ne se plaint. Les ordures sont jetées a même le trottoir et tôt ramassées par des fonctionnaires qui sont ici en nombre et nettoient ce que chacun laisse trainer.

Les gens débarquent à n’importe quelle heure chez toi et viennent souvent avec de petites victuailles. Il n’y a pas d’heure pour cela, y compris la nuit on peut venir frapper ou sonner, même si dans l’ensemble personne n’exagère c’est permis. Personne ne vient t’emmerder si tu fumes ou si tu bois, les paquets de clopes sont vendus à moins d’un euro, l’Etat ne prélève aucune taxe dessus et il n’y a pas de campagne anti-tabac. Dans ce pays peu fument, ce n’est pas nécessaire. Ca picole pas mal, de la bière surtout, mais jamais de tapage nocturne, même bourré le paraguayen sait se tenir.

On ne parle généralement pas politique même si c’est parfaitement autorisé, seulement les gens ont autre chose à faire que commenter un truc qui leur semble très éloigné de leurs préoccupations quotidiennes, lesquelles préoccupations ne sont vraiment pas graves à leurs yeux. De problèmes on ne parle jamais, on les résoud, en famille et entre amis.

Quand le gouvernement va trop loin, on sort a dix mille toute la nuit, on tient face aux forces de l’ordre et on fout le feu au Parlement (comme ça eut lieu a Asunción le mois dernier) et le gouvernement recule – jusqu’à la combine d’après.

Cette société (j’aimerais presque parler de « civilisation » tant ils sont « civilisés ») est basé sur le contraire de la norme, de la coercition, du flicage et de la compétition de chacun avec chacun.  Ça marche extraordinairement bien, d’autant mieux que le reste du monde les ignore complètement, eux qui sont coincés entre Brésil, Pérou, Chili, Bolivie et Argentine et qui sont fort heureusement préservés de ce fléau qui se nomme tourisme de masse. Pas un hasard si de nombreux dignitaires nazis ayant fui l’Allemagne en 1945 sont venus se réfugier ici. Ici, tout le monde te fout une paix royale.

La multiplication des règles m’apparait au contraire de toute l’éducation que j’ai à mon corps défendant reçu le gage d’une société frileuse et repliée sur elle-même, ou l’on veut étouffer la liberté de la plupart au profit d’un petit nombre. Ces normes sclérosantes me font penser à ces maisons ou on ne peut arriver qu’après avoir prévenu, et dans lesquelles, sitôt entrés, on doit obéir a mille caprices de la maitresse de maison « parce que Madame pense que ».

Des comme ça on en connait tous. Pour ma part, être invité chez quelqu’un qui a peine touché un verre a envie de me taper sur les doigts et m’imposer sa vision étriquée de la liberté « parce que je suis chez moi et que c’est comme ça » ne m’intéresse en rien. Je n’ai tout bonnement plus envie d’y mettre un pied, dans ces geôles ou on doit signer un bon d’autorisation pour pouvoir respirer ou ouvrir la bouche.


A partir d’un certain âge plus utile de transiger : ma liberté avant tout, et si la tienne consiste à limiter la mienne, basta. Je préfère encore jeter mes mégots par terre et regarder cet homme payé pour le balayer. Au moins lui et moi nous nous complétons. Et je préfère mille fois ce bordel harmonieux à cet ordre auquel tu t’es tant et tant enchaîné que songer le quitter te fait avoir des sueurs froides. 




mardi 25 avril 2017

Les reflets sans miroir d'Isabelle A.


Nous avons elle et moi dix ans moins deux jours d’écart. Etant galant je ne vous donnerai pas mon âge. Sachez simplement que quand sortit La Gifle que je pus découvrir au cinéma j’avais sept ans. Et qu’immédiatement je m’identifiai à cette jeune héroïne bourgeoise en recherche de liberté, et qui telle la cible des élans de 68 par la génération de son père se prit aux deux tiers une baffe monumentale par Lino Ventura qui l’envoya valdinguer à l’autre bout de sa chambre.

Il m’apparait que toute la brillante carrière de la belle Isabelle fut marquée par cette gifle première, qu'un certain public friand de jugements à l’emporte pièces, une presse avide de croustillant et des paparazzis jamais en manque de harceler des artistes voulant simplement vivre tranquillement n’ont eu de cesse des décennies durant de lui administrer à son corps défendant. Rarement une actrice à ma connaissance fut autant la cible d’autant de médisances, de rumeurs, de railleries et de moqueries que la sublime interprète de La Reine Margot. Jamais n’ai-je autant entendu d’histoires « de source sure » à propos d’une actrice qu’à son sujet. Une « folle » bien sûr …Une piquée, hystérique, dépressive, hyper capricieuse, infantile et irresponsable … C’est fou le nombre de psys qu’on a dans nos carnets d’adresses…

Que diable donc leur a-t-elle fait, elle qui dans ses rôles donne tout et bien davantage, pour attirer à elle autant de violences sur une durée aussi longue ? Inutile de rappeler la grève des photographes à Cannes lors de la présentation de L’été meurtrier ou la rumeur sur son présupposé SIDA en 1986. A croire que d’aucuns l’aimeraient morte et enterrée d’oser exposer dans son jeu cette face démesurément passionnée jusqu’aux frontières de l’auto destruction, ce miroir si dérangeant pour certains qui en bouleverse tant d’autres, dont je fais bien entendu partie.

Il y a dans le rapport de cette admirable comédienne à sa propre image un fait biographique éclairant qui met bien des choses en lumière. Fille d’un père algérien kabyle  et d’une mère allemande d’origine modeste et ayant grandi à Gennevilliers, la toute jeune Isabelle fut par son père interdite de regarder son propre reflet dans un miroir pendant des années, y compris dans la salle de bains. Ce dernier, honteux de ses origines algériennes, avait pour habitude de se faire passer pour turc. Y avait-il un lien ?

Se retrouver propulsée si jeune (dès ses premières années à la Comédie Française) sous le feu des projecteurs fut donc pour elle un véritable déchirement en même temps qu’une libération. Et l’on peut imaginer que le manque originel nécessita de fort nombreuses années pour s’éclipser sans forcément disparaitre en entier. Pensez donc : privée enfant de reflet …

Ses rôles les plus forts penchent (quel hasard) vers la tragédie et la mort : Adèle H, Camille Claudel, La Reine Margot ou L’été meurtrier pour les plus connus. Avec un pic vers la folie pure zulawskienne avec l’immense et unique en son genre Possession, que l’actrice n’aura de cesse dans ses interviews de regretter d’avoir tourné. Quelques rôles de comédie ou elle excelle tout autant (Tout feu tout flamme, Bon voyage…).

Et puis de longues très longues absences en pleine gloire (5 ans d’absence après le triomphe de L’été meurtrier, tout autant après celui de Camille Claudel), une stratégie de fuite avec des rôles acceptés puis refusés, un départ à une semaine du début du tournage du Prénom Carmen de Godard, quelques films totalement insignifiants ou son talent se perdait (La repentie, Ishtar, Diabolique ou Toxic Affair). Peu d’interviews, une présence rarissime dans les émissions de télévision, à la Garbo. Et une intimité corsetée et maintenue loin des objectifs, contredite par des interviews vérité à la limite de l'analyse en direct.

Peu de triomphes, quand on s’y penche, trois  ou quatre en plus de 40 ans de carrière. Mais un statut longtemps conservé de comédienne préférée des français (dans les années 80 en tout cas, et sans doute jusqu’à la Reine Margot). et des roles, quelques uns, inoubliables et inoubliés.

Quelques pièces de théâtre retentissantes (Mademoiselle Julie, Marie Stuart, La Dame aux Camélias…) transformées en concert de rock tant les performances scéniques de l’actrice sont électrisantes, 3 sur 20 ans seulement, salles combles, petits évenements en soi, avec des rappels de trente minutes à la fin.

Des films souvent ratés depuis 10 ans et qui sortent quasiment tous à la va vite et se plantent au bout d’une semaine (à l’exception de La Journée de la jupe ou elle fut redécouverte et encensée), ce qui parait incroyable quand on songe que cette actrice, dans les années 80 et 90, était la star du cinéma français par excellence.

Bref à la fois peu et beaucoup, tant ses grands rôles et ses grandes performances auront marqué en profondeur son époque. Et que sa carrière fut par l’intéressée gérée en dépit du bon sens, c’est-à-dire à l’aulne du cœur et du cœur seul, ce que peu comprennent.

L’ayant revue tout récemment dans un très beau téléfilm, Carole Matthieu ou son talent est intact, je me suis dit que cette comédienne immense que les plus jeunes ne connaissent que via le sketch fort drôle que lui consacra Florence Foresti avait à la longueur réussi son coup en devenant enfin à son âge une comédienne parmi d’autres, sur les pas desquels miroirs et flashes ne s’acharnent plus. Son investissement artistique n’a pas changé d’un iota, elle se donne toujours autant, sans filet : sauf qu’enfin, à la longue et dorénavant attirés par de plus jeunes proies, ses poursuiveurs la laissent travailler en paix. Un droit à l’indifférence acquis de haute lutte après avoir tutoyé les sommets et plusieurs fois « touché l’fond d’la piscine ».

Comme un retour aux sources pour une toute jeune fille ayant grandi à Gennevilliers, française de sang mêlé, et qui loin de vouloir faire des milliers de couvertures de magazines, ne rêvait sans doute que d'une chose dans sa chambre d’enfant privée de miroirs : jouer.