Au lendemain de l’attentat contre Charlie, nos médias se sont bien gardés,
en marge du sensationnel et de l’hystérie émotionnelle qui leur tient lieu de
ligne éditoriale, de répondre à une question toute simple :
pourquoi ? Pourtant il y en eut des experts et des spécialistes de tous
horizons, faisant semblant d’opposer des points de vue antagonistes. Mais
bizarrement, les quelques uns que nous avons en stock, ceux-là même dont je
suis assidument les travaux, ceux qui auraient pu nous apporter quelques éléments
de réponse une fois l’émotion retombée - bref aucun d’entre eux ne fut invité
sur les plateaux. Comme si leur parole n’existait pas.
Le premier à l’ouvrir (et avec quel fracas) quelques mois plus tard fut
Emmanuel Todd, avec un petit ouvrage retentissant qui jeta un pavé dans la mare
et conduisit le premier de nos ministres à l’admonester publiquement. Injure à
laquelle Todd répondit cinglant en traitant Valls de crétin.
Donc : pourquoi ? A t-on souvent entendu ceci ? Que les
frères Kouachi avaient reçu leur formation en Syrie au sein d’Al Nostra,
équivalent syrien d’Al Quaida ? Que cet Al Nostra avait été armé et
financé sous le vocable de « rebelles » au pouvoir de Bachar el Assad
par notre ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, lequel avait reçu
leur visite, les avait écoutés, avait avalisé leurs thèses en les prenant naïvement
pour de gentils démocrates pressés d’en finir avec un odieux dictateur.
Que quelques mois après leurs prises de territoires en Syrie où ils avaient
commencé à entamer des exactions sur les populations locales, chrétiennes mais
pas seulement, le même Fabius avait déclaré : « Al Nostra fait du bon
boulot » ?.
Que depuis des années, suite à la destruction de l’Iraq par les
néo-conservateurs US puis de la Libye par la force occidentale (au premier rang
de laquelle le glorieux tandem BHL Sarkozy), à son tour la Syrie d’Assad était
dans le collimateur.
Qu’on nous vendait cette guerre comme à chaque fois, importer un système
démocratique pour de nobles desseins, sauver le peuple syrien (qui ne nous
avait rien demandé), placer à leur tête des « amis » (les fameux
rebelles djihadistes), chasser un fou sanguinaire (à propos duquel de jolies
fictions avaient été montées de toutes pièces puis diffusées par moult canaux
dans nos médias pour faire passer la pillule) ?
Que par en-dessous cette main mise sur les pays du Proche Orient, décidée
de longue date par les Etats Unis d’Amérique (la fameuse liste des 7 pays à
renverser qu’avait en ses mains Dick Cheney), dictée par la nécessité absolue
de faire une razzia sur leur pétrole, leurs matières premières et leurs sources
d’énergie, répondait à l’obligation de tout entreprendre, même le pire, pour
enrayer le déclin d’une superpuissance aux abois, que l’irrésistible montée de
la Chine et le sursaut russe effrayait ?
Que la ré-entrée dans l’OTAN de la France décidée par Sarkozy, ce machin
dont De Gaulle avait claqué la porte (rappelons que De Gaulle, grand réaliste,
parlait et avec les Etats Unis, et avec la Chine de Mao Tsé Toung, et avec
l’URSS de Staline à équi-distance sans jamais se lier à aucun des trois) nous
transformait de facto en commando pro-US aux ordres, dépendants d’intérêts
supérieurs et distincts des nôtres ?
Que le bloubiboulga droit-de-l’hommiste mis en avant par cette gauche
pro-guerre pour vendre la sauce à son opinion se heurtait à une
contradiction de fond si évidente que presque personne sur nos antennes ne la
relevait : quid de nos amitiés avec les monarchies du Golfe et les
dictateurs africains ? Si vraiment nous souhaitons importer le modèle
démocratique dans des régimes forts que nous qualifions de dictatures, pourquoi
ces choix biaisés par nos intérêts économiques bien compris ? Et quelle
est la valeur ajoutée réelle pour celui que Sarkozy appelle « peuple de
France » ?
Nos médias nous ont-ils quelques mois plus tard, au moment des attentats du
Bataclan, alerté sur l’incroyable paradoxe de la géostratégie de caniche de
notre diplomatie consistant à d’un côté soutenir ceux qui tiraient à Paris sur
notre peuple (les tireurs venaient pour beaucoup de Syrie, les donneurs d’ordre
étaient bel et bien Al Nostra) tout en créant à l’intérieur un état quasi
policier censé protéger cette même population attaquée depuis l’intérieur par
des hommes et des armes financés par les contribuables français ?
En l’occurrence, notre diplomatie ne fut une fois de plus que le fondé de
pouvoir d’intérêts ô combien supérieurs à des vies humaines de parisiennes et
de parisiens. Car à qui profite doublement la guerre, sinon aux multinationales
US et européennes, impliquées et dans la destruction des pays du Proche Orient,
et dans la captation de leurs ressources naturelles, et dans la reconstruction
à venir, et dans l’ouverture de nouveaux marchés, et dans les vagues migratoires
en Europe réclamés en sous main par le patronat, trop heureux de disposer d’une
main d’œuvre à très bon marché disposant d’une excellente formation payée par
ces régimes qu’il entend mettre à plat ?
En outre, la montée des populismes, ces ersatz de guerres civiles
nationales, les petits français contre les pouilleux campant sur nos trottoirs,
à qui cela profite t-il encore ? Excellente fondée de pouvoir des grands
intérêts industriels de son pays, Angela Merkel eut beau jeu d’habiller ces
derniers sous le voile d’une générosité de façade et d’ouvrir grand ses bras
aux futurs exploités. Il semble assuré que le dindon de la farce ne soit le
salarié allemand.
Sur le champ de ces médias mensonges additionnés, tandis que les peuples s’écharpent
contre les plus miséreux d’entre eux, l’âne peut continuer à regarder le doigt,
et les profits explosent. Les cycles de guerre et de crises sont les périodes
les plus fastueuses pour les oligarchies financières. Et les pantins à la tête
de nos états émasculés par la commission européenne à qui ils ont offert le volant comme leurs opposants continuent à faire semblant de défendre
des visions du monde différentes au sein d’un aquarium invariant.
Pendant ce temps-là, le bon peuple, décervelé par les fausses pistes déversées
dès la première heure dans son cellulaire via la presse de 9 milliardaires s’en
va de bonne heure prendre en courant son métro. Maintenu dans l’ignorance du
danger s’approchant de lui et l’encerclant sur de nombreux théâtres
d’opération. Un peu comme un mouton qu’on promet à l’abattoir et à qui l’on
tend chaque matin sa gamelle pour le faire bien grossir pour l’occasion ultime.
Qu’on ne s’étonne pas de la montée irrésistible des partis populistes en
Europe : ceux-ci, enfant adultérin des deux grandes forces politiques nous
ayant collectivement conduit au bord du précipice, risquent bel et bien de
poursuivre leur essor sur les cendres de la démocratie.
(Remerciements à Michel Collon,
Bruno Guigue, Emmanuel Todd, Jacques Sapir et quelques autres désignés par le journal Le Monde dans son
« outil DECODEX » comme faisant partie des penseurs et journalistes à
excommunier par le silence et le mépris)
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