J'écris comme je vis, c'est à dire intensément. Je n'écris jamais que quand c'est absolument nécessaire. J'écris pour jeter des ponts vers les autres. Je ne recherche aucune notoriété.
mardi 31 janvier 2017
De l'ardente nécessité des crises pour renaitre
A celles et ceux d'entre vous qui traversez un hiver intérieur, ces mots nés de l'expérience. Souvenez-vous du "Mal de vivre", la belle chanson de Barbara. Celle-ci se clôture sur "la joie de vivre". Quand nous sommes épris de joie de vivre nous sommes suffisamment occupés à (bien) vivre que nous n'apprenons guère. Les cycles dits dépressifs, les difficultés, les écueils et les échecs sont les véritables opportunités que la vie nous offre pour apprendre sur nous-mêmes et sur nos autres. Ceux qui parmi nos proches abondent toujours dans notre sens nous rendent-ils vraiment service ? Ne sommes-nous pas davantage redevables à ceux que nous qualifions d'ennemis ?
Ceux-là sont placés sur notre route pour nous aider à y voir plus clair. Nous sommes entièrement responsables de ce qui nous arrive, de ce que nous pensons et ressentons. Si untel nous heurte par ses propos et/ou son attitude à notre égard, n'est-ce pas là une occasion unique d'interroger ce qui au-dedans coince ? Sommes-nous si forts, si solides, si nous tremblons à l'approche d'un être, à la lecture ou à l'écoute de mots ? Ceux-ci ne nous traduisent-ils pas dans l'état réel qui est le nôtre ?
Ne cherchons pas en l'autre la source de nos maux, ceux-ci sont nôtres, apprenons à mieux les connaître, à les apprivoiser, pour ensuite leur donner congé. No pain no gain, dit le dicton. Cimentons-nous intérieurement, et réapprenons dans ces cycles hivernaux à faire ressurgir cette lueur intérieure qui est le meilleur de nous. C'est à partir d'elle et de ce que nous en ferons que nous parviendrons pour un temps à briser nos chaînes.
lundi 30 janvier 2017
L'Ange et la Bête (mon 6e livre)
Je
ne l’ai pas vu surgir, tel un taureau affolé qui se dresse, non sans témérité,
au devant du matador. Cherchant à capter mon regard, tandis qu’autour de moi
ils sont plusieurs, à savoir, à deviner, à observer la scène. Celle qu’il
entend m’imposer, à moi qui depuis plusieurs mois la lui refuse, sous quelque
forme que ce soit. Qui lui ai dit, le plus clairement du monde. Que c’était
fini, définitivement fini. Que cette fois plus jamais, plus comme autrefois je
ne lui tendrai la main. Cette pente, irrésistible, qu’il a empruntée depuis
trois ans, le lançant pas à pas dans la direction qu’avait prise son père, le
transformant petit à petit en un autre que celui que j’ai si bien connu et que
j’aurai tant aimé…
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dimanche 29 janvier 2017
Identité
Se choisir comme nom d’écrivain son propre nom tel que défini sur une pièce
d’identité auquel est accolé le nom de famille de sa mère n’a rien du hasard.
Ce n’est pas parce que nous vivons dans un monde régi par les lois du
patriarcat que nous devons oublier que notre identité, c’est à dire nos
fondations, doivent, quels que soit notre histoire personnelle, notre relation
à l’un et à l’autre et notre avis du moment, doit autant à l’un qu’à l’autre.
Nous sommes le fruit de deux êtres qui nous ont donné vie, auxquels nous
devons tout autant. Pour ce qu’ils nous ont donné à l’origine (la vie) et
depuis.
Dans le monde animal, les choses sont fort simples. Il y a accouplement
entre le mâle et la femelle puis reproduction. Dans la plupart des cas il
revient à la mère d’élever, c’est-à-dire de nourrir et de protéger. Le père,
dans certaines races, intervient pour compléter. Dans d’autres races, il se
contente de donner la vie, et est parfois chassé ensuite par la mère. Phénomène
que l’on peut par ailleurs observer dans certaines cellules familiales
humaines. Dans les deux cas, la procréation a bien lieu, ainsi que l’apport par
l’un ou l’autre de ce qu’il faut pour que le petit dispose des armes
nécessaires pour poursuivre sa vie.
Dans une société où la cellule familiale a éclaté (un phénomène extrêmement
récent dans l’histoire des civilisations), la séparation des parents étant
devenu au moins aussi commune que leur perpétuation en tant que couple,
l’enfant, de fait, s’est retrouvé le plus souvent placé sur le devant par le
parent restant à domicile. Le concept d’enfant roi, la civilisation où le jeune
est posé comme le centre et l’exemple sont des phénomènes récents, nés en
Occident, et qui s’inscrivent en faux par rapport à la totalité des histoires
de l’humanité toutes civilisations confondues. Elles sont pour autant une étape
évidente dans la conquête de liberté individuelle née des années 68 et
suivantes, ces années où l’on entreprit de découvrir la liberté individuelle et
l’égalité des sexes – chemins plus que respectables en soi et qui conduisirent
à mon avis à autant de magnifiques expériences que d’impasses. L’une des
conséquences de 68 ayant été la création par la caste dirigeante issue de cette
génération-là de l’ultra-capitalisme qui nous dirige et nous formate, et la
reddition sans conditions d’un nombre incroyable de ces anciens manifestants
libertaires, aujourd’hui à la tête de bien des entreprises, médias et organes
de pouvoir dominants, accrochés comme des gales à leurs maroquins.
Je fis, de mon côté, sans en tirer de loi générale, une expérience
particulière de cet appel sociétal dans lequel je fus né. Mes deux parents,
dont le mariage fut le fruit de l’amour, furent fiancés quatre ans avant que de
« commettre l’acte ». Je fus conçu le soir de leur mariage, ou peu de
temps après, je crois que ce fut le soir même du mariage. Fus donc l’aîné. Et
(vu l’attente engendrée avant ma conception) fruit de l’amour. Je vécus une
enfance dorée dans un paradis. Celui-ci se lézarda morceau par morceau à l’âge
de mon adolescence. La désagrégation du bonheur de mes parents et du magnifique
couple qu’ils avaient créé – cette lente désagrégation a duré plus de huit
années qui correspondirent à ces années où se forgent les choix de l’existence.
Ce fut dans ce creuset où j’étais en construction que les présences et
apports paternels et maternels se montrèrent défaillantes. Et ce fut grâce à
cela que je pus commencer avec bien des difficultés dans les premières années à
chercher en moi-même ce que je voulais faire de cette vie qu’ils m’avaient
donné.
Mes choix, balbutiants et au commencement fruits de refus des leurs, furent
au début et par l’un et par l’autre récusés. Cela m’offrit du fait de la
rébellion que je dus leur opposer une force que je n’aurais jamais pu développer
sans cela. Quand apparurent des années plus tard les premiers résultats
positifs nés de ces choix, l’un et l’autre surent à un moment, avec leurs mots,
acquiescer à ce qu’ils avaient récusé et apporter cette nécessaire
reconnaissance qui opéra comme un ciment sur un mur déjà construit.
Je compris plus tard que, n’ayant eu d’autre choix que de suivre ma voie, je
m’étais finalement montré fidèle à la lettre de chacune des deux lignées dont
mes deux parents étaient eux mêmes les enfants, tout en ayant conservé le
meilleur de ce que l’un et l’autre m’avaient apporté et enseigné.
Du côté de mon père, le pragmatisme paysan de son père et la foi de sa
mère, mes grands parents paternels. Et le sens des affaires, l’optimisme
forcené, l’indifférence à l’avis d’autrui, la confiance en soi irréductible du
père.
Du côté de ma mère, l’obstination en toute circonstance, le refus de plier
le genou y compris dans les moments les plus extrêmes, une sensibilité
artistique prononcée, et un absolu refus des convenances dès lors que celles ci
entraient en collision avec sa propre liberté. Du côté de ses parents, mes
grands parents maternels que j’ai à peine connus, tous deux héros de la
résistance de la première heure
médaillés : eh bien cela, l’esprit de résistance. Y compris dans
les cas extrêmes.
Je ne sais ce vers quoi ce cocktail aboutira – je veux dire in fine. Je
sais simplement que je m’essaie dans mon quotidien, à un âge où trouver la
sérénité et le point d’équilibre sont devenus la seule chose nécessaire, car à
la cinquantaine on se connaît bien et on s’accepte tel qu’on est – que je
m’essaie à trouver ce point d’équilibre en ce que je dois à l’un et à l’autre
de ces deux noms, ces deux branches auxquelles je serai toujours rattachées,
tout en cultivant ma petite musique qui n’est pas la leur et m’est propre. J’ai
été, et j’en sais gré à mes deux parents, le contraire d’un enfant roi pourri
gâté adulé, et ai su de chaque épreuve tirer des enseignements utiles et
surtout de la force. L’amour que j’ai reçu m’a autant apporté que celui qui
m’aura été à tel ou tel moment refusé. C’est, selon l’expérience qui est
mienne, la limite évidente d’une société purement libertaire : on désarme
ceux qu’on aime à trop les aimer pour soi-même et ce qu’ils vous apportent, et
on aide bien mieux sa progéniture en sachant parfois lui opposer son bon
vouloir, ne serait-ce que pour lui apprendre à construire sa liberté pied à pied.
Car les cages les plus aliénantes desquelles nous devons, adultes, apprendre à
nous défaire, ne sont aucunement celles où les autres cherchent à nous entraîner,
mais celles que par jeu de négligences nous avons nous-mêmes construites.
vendredi 27 janvier 2017
Le dessous des cartes
Je comprends de mieux en mieux certains emportements de Mélenchon face aux benêts de journalistes qui l'interrogent. Surtout sur le volet international. Il y a de quoi s'emporter quand on a la culture géopolitique qu'il a et qu'on est malmené par une armada d'idéologues ignares qui ânonnent sur un ton pédant les contrevérités et participent de manière active à l'inculturation des masses.
Comme beaucoup d'entre vous pendant très longtemps je pensais savoir alors que je ne savais rien et me contentais de répéter avec suffisance les éléments de langage qu'on trouve dans 90% des médias français. De la pure doxa ONU/States/Europe libérale. Et puis il y eut un déclic. Il a suffi d'un documentaire sur Poutine, vu il y a un an, et d'un autre sur le conflit syrien pour me donner envie par moi-même d'aller creuser. C'est-à-dire lire des ouvrages ou articles de gens qui étaient là bas, s'y connaissaient, pouvaient témoigner. Ecouter certains discours de certains de ceux que je plaçais dans le camp du mal. Rencontrer des gens de ces pays, les questionner. Faire dans mon petit coin un véritable travail de recherche. Je m'y adonne chaque jour depuis des mois. Et c'est passionnant que de découvrir l'autre face du réel, vu avec d'autres yeux.
Comment peut-on avoir la prétention de "savoir" si on ne bouge jamais de chez soi ? Découvrir les dessous des cartes c'est faire un travail, s'y plonger, confronter les points de vue et les témoignages, partir à la découverte de l'inconnu, et jour après jour se forger un regard, une analyse, qui bouge, devient mouvement. Au bout il n'y a plus aucune certitude, toutes ont explosé, et c'est sensationnel, le champ que ça ouvre, intellectuellement et humainement
jeudi 26 janvier 2017
mercredi 25 janvier 2017
Bienheureux écueils
Voilà, on est sur nos derniers jours au Brésil. Encore une semaine, le
temps de recevoir enfin une petite somme de France (ce qui s’appelle une dette
client qui date…) et on part pour le Paraguay. On fait budget serré, Blablacar,
un jour pour traverser le Brésil direction Foz de Igaçu et ses exceptionnelles
chutes. Puis on passe la frontière à la mode Manu Chao – Clandestino. Ca
évitera les frais à la con pour les coups de tampon sur le passeport de Shadow.
Le gouvernement du Paraguay n’en a parait-il rien à foutre, personne ou presque
n’y va, là-bas.
On a taché de vous faire un peu rêvé avec nos photos, normal, ce qu’on vit
est suffisamment original pour qu’on vous envoie Néo et moi de jolies cartes
postales. Sachez juste que cet effet carte postale ne fut qu’une part, celle
que nous avons choisie de vous faire partager, de ce que nous avons ici vécu.
Du fait de mes clients on s’est, à moins d’un mois de l’arrivée, retrouvés
à de nombreuses reprises dans des situations plus que préoccupantes sur le plan
fric. Quand je dis « préoccupantes » c’est un euphémisme. Je passe
sur toutes les galères qui se sont abattues sur les épaules de Néo pendant les
deux premiers mois : vol de sa carte bleue, de son smartphone, de cash,
ordinateur portable mort, sa nouvelle tablette cassée après une semaine, j’en
passe et des meilleures. C’est bien simple : pour lui, pas une semaine
sans qu’une catastrophe ne lui tombe dessus. Ce fut épique de lui maintenir la
tête hors de l’eau. Combien de fois m’a t-il dit qu’il se sentait maudit ?
Bref, sur ce plan-là, tout est enfin rétabli. Les cycles ne durent jamais
éternellement
Non, le truc de plus avoir de pognon ou presque dans un pays où très peu
parlent anglais et où la plupart de tes repères se sont évanouis, d’être dans
un hôtel et de devoir convaincre les proprios de pas te foutre à la rue, de
patienter trois jours, puis sept, puis quinze, parce que la CB yen a plus, on
en attend une autre, les sous qui devaient tomber et qui finalement tombent
avec un mois de retard, je nous revois à Rio certains soirs, on bouffait le
moins et le moins cher possible, tous les jours des pâtes, et autour ça
dévorait des trucs succulents.
Ou alors foutus dehors parce que tu expliques la situation en amont, le
lendemain ça revient à la charge après avoir dit oui, puis encore le
surlendemain, tu n’as que ta bonne foi, et ils parlent ni ta langue ni
l’anglais, à un moment la tension est telle qu’il faut qu’on parte, t’as un mec
qui jusque là était cool, limite amorphe et qui se met subitement à hurler – et
tu te retrouves sous le cagnard à trainer 20 kilos, une valise à roulettes sur
un chemin de terre, vers 13h…
Ou (oui oui on a vécu ça), à fouiller les poubelles quelques soirs pour
récupérer des fruits et légumes simplement pour économiser quelques réals.
Et puis (une nuit) dormir dehors (enfin, dormir, on a juste pas pu, merci
les moustiques, fermer l’œil de la nuit) avec tous nos bagages et Shadow dans
sa caisse… Je me revois attendre à l’aube l’ouverture du café du coin, juste
pour avaler une tasse, avec la faim et surtout le manque de sommeil.
Et puis (ça quel show) accueillis chez une fille barmaid qui voulait se
faire des sous, qui rajoutait des sommes à peu près tous les deux jours, qui
nous l’a jouée grande copine puis subitement, d’un jour l’autre, s’est
réveillée en insultant Néo sur messenger, exigeant ce qu’on ne pouvait ni
devait lui verser « ou sinon dehors » (moi elle avait les jetons,
j’ai rien eu), et on décide de se tirer à l’arrache, sans savoir où aller avec
5 euros dans les poches….
Le nombre de petites galères hallucinant sur aussi peu de temps…
Bizarrement je ne me souviens pas avoir flippé un instant. A part le matin
où on a dû dormir dehors et où on n’a pu fermer l’œil, je pense avoir eu la
tête froide à peu près tout le temps. Quand les difficultés tombaient, je
restais calme, je faisais mon job, l’air de rien, Néo me disait : tu
planes, on se faisait de belles engueulades, le ton montait puis ça
redescendait aussitôt, une heure après on se serrait les coudes.
Ces courses où tu cherches le truc le moins cher, où tu fouilles dans tes
poches à la recherche de quelques centimes pour t’acheter des clopes, où tu
regardes sur les tables des bars s’il ne reste pas une cannette de bière pas
finie…
Ben oui, on a aussi (à côté de toutes ces sublimes rencontres qu’on a
faites) vécu tout ça. Avec un peu de recul je puis le dire : je trouve ça
chouette, quand ça dure pas éternellement, la galère. Ca rend débrouillard, ça
forge le caractère.
Heureusement, il y a eu le reste, c’est-à-dire tous ceux qui nous ont aidé.
Certains depuis la France, quelques autres ici. Ces galères passagères,
incroyablement formatrices sur nous et notre aptitude à résister à l’adversité,
nous ont permis de voir le meilleur de certains, à qui je rends ici hommage,
sans les citer. Il y eut des gestes de solidarité et d’entraide superbes. Et
c’est ça évidemment que je retiens de ces trois mois si denses. Car la
nature humaine a quelque chose de somptueux, et l’humaniste que je veux rester
en toutes circonstances se doit de terminer ce billet sur ce simple constat.
Sans les autres, nous sommes si peu de choses !
mardi 24 janvier 2017
2017 : la double impasse
Cette présidentielle 2017 je sens qu'elle ne va (comme aux States mais à la sauce Astérix) ressembler à aucune autre. Déjà parce qu'avant même son commencement tous les sortants (on attend Valls out et ça sera bon) ont été systématiquement dégagés. Tous les sondages et à peu près tous les commentateurs dits de métier se sont tous systématiquement plantés. A ce point : du jamais vu ! Je note au passage un et un seul sortant qui aura eu la clairvoyance de s'auto-sortir : ne serait-ce que pour cela je lui décerne le prix de l'intelligence politique 2016.
Chacun des deux partis dits de gouvernement vient ou va désigner celui qui dans son camp représente le facteur de radicalité aérosol par rapport au réel. Les programmes de Fillon et Hamon m'apparaissent tellement anachroniques que je me demande si dans les deux camps on n'a pas envoyé une fusée dans les années 80 au moment de leur élaboration. Sans vouloir insulter ou déplaire à leurs supporters, je me demande vraiment comment on peut croire deux secondes en leur faisabilité. Qui plus est, il m'apparait que ces deux partis qui sont sur le point d'imploser viennent de désigner (ou vont...) celui qui va faire le pire score qu'ils aient et l'un et l'autre connu de toute l'histoire de la Ve. Et ce ne sont pas les sondages qui créditent encore Fillon d'un bon score qui me feront penser le contraire. Ce que je vois c'est qu'il baisse par paliers sans discontinuer alors que la campagne n'a pas encore véritablement commencé, qu'il se renie, qu'il se fait planter semaine après semaine des tas de couteaux dans le dos, et que, surtout, c'est un épouvantail épouvantablement mauvais. Avoir éliminé Juppé : dans le genre suicide collectif, le PS n'est pas le seul.
Le PS ? Mais que n'arrêtent-ils pas immédiatement cette pitrerie qu'est devenue leur "belle alliance" ? Le perdant crédité de 8 à 9% tape comme un fou sur le probable gagnant crédité de 6%, le tout sur fond de triche. En l'état leurs candidatures n'ont de sens que pour se compter dans l'après mai : mais à quel prix ? Ces deux croque-morts courent tous deux au suicide politique, ils sont partis bien trop tard, ces deux-là comme disait Valls fort justement, représentent deux gauches irréconciliables, par ailleurs mille fois mieux incarnées quoi qu'on en pense par Macron et Mélenchon.
Bref : je ne vois d'autre issue qu'une explosion pure et simple des partis traditionnels, la mort du PS, un cadavre à la renverse nommé Sens Commun en survivant des Républicains (merci aux fossoyeurs Sarkozy et Fillon, et heureusement que Chirac est sourd !), un second tour FN/En marche et une recomposition totale de tout l'espace politique français de ces 30 ou 40 dernières années.
Au-delà, alors qu'on vit depuis 3 ou 4 ans avec des sondages qui systématiquement donnent Marine Le Pen au 2e tour, le plus souvent en tête, avec des scores en hausse de manière régulière (de 18% en 2012 à 28% aux dernières régionales de mémoire : +10% en 4 ans, qui dit mieux ?), que le FN a vraiment réussi une implantation régionale, départementale et locale, que la Marine quoi qu'on en dise à réussi à dédiaboliser le parti tout en dégageant papa, que l'actualité milite chaque semaine pour elle, qu'en dépit d'un programme économique qui ressemble à un SAUT DANS LE VIDE mais pas plus que celui de Trump, que l'Europe sauce Merkel est devenu un repoussoir, qu'on a Daesch aux portes et à domicile, que son meilleur opposant risque d'être un ex banquier de Rotschild, qu'elle a 40% d'intentions de vote chez les ouvriers et presque tout autant (30/40) chez les commerçants, petits patrons agriculteurs, qu'elle est largement en tête chez les 35/49, dans la France rurale, que la petite nièce Marion n'a certes pas été montée en épingle mais fait toujours partie du FN et incarne au moins aussi bien que Fillon la France réac du Sud et la droite dure de chez dure... Qu'on attaque encore le FN dont la stratégie est vraiment hyper efficace et d'une intelligence tactique indéniable (pourvu qu'on accepte d'ôter sa paire de lunettes habituelle) avec des arguments de type SOS Racisme totalement débiles et contre productifs, et qu'on se rassure en se disant comme pour Trump : mais non, voyons, les sondages, le plafond de verre etc...
Marine Le Pen ? Franchement le seul qui l'attaque vraiment frontalement, c'est Mélenchon, et là-dessus, vu comment il mouille la chemise, chapeau ! Macron, lui, fait semblant, mais au moins il fait le job. Leur débat entre les deux tours ça va être vraiment quelque chose : pas sûr que la plus excitée des deux ce soit elle, question d'expérience... Bref : il y a là (et je rejoins entièrement Emmanuel Todd que je suis depuis plus de 15 ans avec fascination, un mec qui honnit et qu'honnit le politiquement correct, un mec qui a une culture insensée et surtout une aptitude à prendre énormément de distance par rapport à ce qu'il ingurgite et à lui-même) : il se peut fort que comme l'américain-dit-moyen le français-dit-moyen fasse sur le plan historique une nouvelle fois preuve de son génie révolutionnaire.
Faire table rase de tout. Faire pêter le système avec les seules armes dont on lui concède encore la possibilité. Jouer avec l'extrême limite de ce qu'offre le choix démocratique, une partie d'échec et mat. Le tiers Etat qui coupe la tête de la totalité ou presque de la bourgeoisie dominante et joue la carte de la théorie du chaos, parce qu'il n'a rien à perdre dans une partie truquée où à tous les coups il est éjecté.
En conclusion : un passionnant et magnifique merdier, dont on pourra sans aucun doute faire quelque chose de mieux que ce qu'on a actuellement. Je suis bien content d'avoir finalement renoncé à prendre parti, de ne plus habiter en France, et d'observer ce système se déliter pour mieux se recomposer ensuite.
Car je vous le dis cash ; je crois tellement en mon pays d'origine et dans sa capacité à rebondir, je pense connaitre si bien son histoire et son âme et ai tellement bourlingué dans des milieux les plus divers, jusqu'aux plus opposés à celui de mes origines et de mon milieu, que j'aurais été à deux doigts de mettre dans l'urne le bulletin de la blondasse de Saint Cloud
J'aurais fait, si seulement je n'avais pas déchiré cette carte asservissante fait ce double-choix hallucinant tellement il est contradictoire. Mélenchon au 1er tour, puis Le Pen au second. Le 1er par coeur, le 2e par foi en l'après. Deux utopies politiques, la première romantique et la seconde rance. Deux utopies aussi complémentaires que le pile et le face d'une pièce de monnaie. Auxquelles je ne crois absolument pas. Et deux solutions qui se rejoignent sur le plan géostratégique/relations internationales, là où à mon sens se focalise l'essentiel, Le Pen et Mélenchon, sur le plan international, ayant à de très rares détails près le même logiciel. Bref : le grand écart.
Alors vu cette conclusion en guise de rapport d'étape : mieux vaut m'abstenir.
mercredi 18 janvier 2017
Choisir son lectorat
Ecrire et
s'exprimer en toute liberté implique de laisser chacun lire et écrire ce qu'il
veut, et bien entendu ne pas être lu et/ou ne pas lire tel ou telle. Mais aussi
s'autoriser à évacuer de son lectorat comme de sa vie toute personne dès lors
que l'on a acquis la conviction que l'un de ses sports favoris est d'aller
fouiller dans la vie d'autrui, dans son intimité (tout du moins ce qu'elle
perçoit comme intimité) à des fins, je n'oserais dire de malveillance, mais de
conciergerie hanounesque.
J'en ai connu, et de près, dont la vie, insatisfaisante et quelque peu incolore, vivaient par ce prisme déformant et passaient un temps fou à aller fouiner ici et là, dans l'univers virtuel. Ces benêts peu méfiants au final ne pouvaient à tel moment s'interdire de trahir leurs pratiques, tant leurs propos se ramenaient à ça. Non à la vérité des êtres qu'ils fréquentaient et dont ils se disaient proches, mais à ce qu'ils exposaient. Ce reflet, cette imitation projective du réel avaient pris une place considérable dans leurs vies, au point d'être tout bonnement inaptes à suivre un échange plus d'une minute sans pianoter sur ce minuscule écran leur tenant lieu de fenêtre sur le monde.
Face à cette comédie humaine qu'un Balzac des temps modernes aurait sans doute zébré de ses impitoyables descriptions, quiconque s'est donné pour mission et savoir-être de s'exprimer en toute liberté et aussi d'écrire pour ses contemporains le plus honnêtement possible se doit de tenir compte de cette réalité, de la connaître intimement, d'apprendre (ce dont j'ai pu à quelques reprises me délecter, c'est-à-dire jouer littéralement avec, jouer avec les masques, la réalité, le regard de certains ...) à surfer avec cet outil et ses dérives, toutes ses dérives.
Il n'est plus possible de prétendre écrire comme on le faisait autrefois, il n'y a pas si longtemps - dans le sens être lu, compris, par la multitude, dès lors que celle-ci a pris cette direction. Le lecteur-zappeur-qui-se-reveille-avec-ses-applis passe sa journée à lire et à écrire en diagonale, à penser et à s'informer en diagonale, à aimer en diagonale, à rencontrer une image désincarnée qu'il nomme l'autre et qui n'est personne. Ce lecteur-là, je le dis, vraiment, ne m'intéresse en rien. Il est pour moi un non être asservi qui s'est comme dans 1984 enchainé à un semblant de liberté qui l'a isolé du monde, de son époque, de ses contemporains, et de bien d'autres choses encore. J'en suis en tant que frère humain désolé, sincèrement désolé pour lui. Et l'ai donc sorti de ce jeu dans lequel lui et moi n'avons aucune raison de partager quoi que ce soit.
J'en ai connu, et de près, dont la vie, insatisfaisante et quelque peu incolore, vivaient par ce prisme déformant et passaient un temps fou à aller fouiner ici et là, dans l'univers virtuel. Ces benêts peu méfiants au final ne pouvaient à tel moment s'interdire de trahir leurs pratiques, tant leurs propos se ramenaient à ça. Non à la vérité des êtres qu'ils fréquentaient et dont ils se disaient proches, mais à ce qu'ils exposaient. Ce reflet, cette imitation projective du réel avaient pris une place considérable dans leurs vies, au point d'être tout bonnement inaptes à suivre un échange plus d'une minute sans pianoter sur ce minuscule écran leur tenant lieu de fenêtre sur le monde.
Face à cette comédie humaine qu'un Balzac des temps modernes aurait sans doute zébré de ses impitoyables descriptions, quiconque s'est donné pour mission et savoir-être de s'exprimer en toute liberté et aussi d'écrire pour ses contemporains le plus honnêtement possible se doit de tenir compte de cette réalité, de la connaître intimement, d'apprendre (ce dont j'ai pu à quelques reprises me délecter, c'est-à-dire jouer littéralement avec, jouer avec les masques, la réalité, le regard de certains ...) à surfer avec cet outil et ses dérives, toutes ses dérives.
Il n'est plus possible de prétendre écrire comme on le faisait autrefois, il n'y a pas si longtemps - dans le sens être lu, compris, par la multitude, dès lors que celle-ci a pris cette direction. Le lecteur-zappeur-qui-se-reveille-avec-ses-applis passe sa journée à lire et à écrire en diagonale, à penser et à s'informer en diagonale, à aimer en diagonale, à rencontrer une image désincarnée qu'il nomme l'autre et qui n'est personne. Ce lecteur-là, je le dis, vraiment, ne m'intéresse en rien. Il est pour moi un non être asservi qui s'est comme dans 1984 enchainé à un semblant de liberté qui l'a isolé du monde, de son époque, de ses contemporains, et de bien d'autres choses encore. J'en suis en tant que frère humain désolé, sincèrement désolé pour lui. Et l'ai donc sorti de ce jeu dans lequel lui et moi n'avons aucune raison de partager quoi que ce soit.
samedi 14 janvier 2017
vendredi 13 janvier 2017
mardi 10 janvier 2017
SUNDANCE - Livre 1 : Genèse (vol.1) - chapitres 3 et 4
3
Ce furent davantage de
présence, quelques attentions, parfois des confidences, témoignant d’une
certaine forme de confiance. Et cela la réchauffa. De frêle et glacée, elle
devint peu à peu plus en chair. Et à défaut de s’embraser, elle sentit en elle
une douce flamme, qui la réveilla.
Aucune main ne l’ayant
touché depuis tant d’années, ce fut donc comme une nouvelle première fois. Elle
crut défaillir quand un soir, la rejoignant dans la chambre redevenue commune,
il s’assit à ses côtés, et posa sur son bras sa main.
Lorsqu’il s’abandonna,
elle retint un cri. Il l’écrasait de tout son poids, elle suffoquait, mais
trouva assez de force pour poser sur sa nuque brûlante une main caressante en lui
murmurant:
« C’est bien.
Repose – toi, maintenant. »
Quand, quelques mois
plus tard, au terme d’une grossesse douloureuse elle le fit prévenir qu’elle
était partie à la maternité, il était à Guéret, auprès de ses électeurs.
Lorsqu’il arriva,
Suzanne reposait, gémissante, sous d’épaisses couvertures.
Il entra, précédé
d’une infirmière, le souffle coupé.
« Ma chère, dit
il en s’épongeant le front, ma chère… »
Elle eut à peine la
force de tourner vers lui son visage défait par la douleur, et parvint à
articuler.
« Soyez sans
crainte, mon ami. Tout s’est bien passé. Elles sont en vie.
-
Elles ? répondit il en écarquillant les yeux.
-
Oui mon ami »
L’infirmière avança
d’un pas, et se posta entre eux.
« Vous êtes père
de deux adorables filles, Monsieur. Je vais vous y conduire. »
4
Lorsqu’elle s’éveilla
de sa torpeur, elle se redécouvrit plus seule encore qu’elle l’avait jamais
été. Auguste était reparti, avec à chacun de ses deux bras chacune des petites.
L’infirmière, d’une voix neutre, lui apprit qu’il les avait enregistrées à
l’état civil.
« Ce qui veut
dire qu’il a choisi les prénoms ? », lui demanda Suzanne.
« Ah ça… »,
répondit-elle le regard fuyant. « Tenez, prenez plutôt votre
cachet ! »
Laure et Suzanne…
Lorsqu’il lui apprit
quels prénoms il leur avait donné, elle ne put retenir ses larmes, et il en fut
fortement agacé.
« S’il vous
plait, ma chère… », maugréa t-il en soufflant tel un taureau dans
l’enclos.
« Oh, mon ami
! », répéta t-elle en ne pouvant contrôler le flot.
Il dut se résigner, le
lendemain, à un second appel au registre des naissances, et user de tout son
pouvoir pour qu’un « e » se transforme en un « a ».
C’était le prix de la
tranquillité.
La petite Suzanne
devint, d’un trait de plume, Suzanna.
Ce fut la seule
compromission qu’il accepta jamais. Désormais père, il n’avait plus besoin
d’elle.
Une nourrice vint
s’immiscer dans l’alcôve, et ôta à Suzanne l’accès à sa progéniture. Cette
Marie Louise venue des îles fut un redoutable cerbère, grassement payée par
l’époux absent pour la tenir à distance des fillettes. C’était à peine si elle
pouvait passer plus d’une heure devant le berceau.
Seule Laure la
dévisageait lorsque, Marie Louise sortie, sa mère se penchait vers elle.
Suzanna semblait, quant à elle, ignorer sa présence, tétant désespérément son
pouce, recroquevillée.
Tout en consacrant un
temps infini à ses diverses affaires, Auguste fut dès le premier jour un père comblé.
Il aima tant et tant cette chair de sa chair qu’il n’avait de plus grande joie
que de rentrer, le vendredi soir, aussi tôt que possible. Donnant son congé à
la nourrice jusqu’au dimanche, il passait tous ses vendredis soirs et ses
samedis au chevet des petites.
Une ombre, cependant,
s’installa, qui prit de plus en plus de place au fur et à mesure des années.
S’il était devenu l’astre de la petite Suzanna, qui dès qu’elle l’apercevait
s’illuminait d’un radieux sourire, il n’en était point de même pour la seconde,
dont les traits s’assombrissaient à son contact.
Je les aime pourtant
pareillement, se lamentait-il en tachant de la serrer contre son cœur. Mais il
ne réussissait guère qu’à déclencher les cris et les pleurs de la petite, et se
désolait jour après jour de ce refus répété, si incompréhensible à ses yeux.
Le retour au pouvoir
du Général ne manqua point d’apporter sa pierre à l’édifice Dewitt. Inconnu du
grand homme, Auguste s’était rapproché de celui qui devint, dès 1962, le second
Premier Ministre de la Vème République. Appelé aux commandes de l’Etat,
Georges Pompidou, à peine sorti de la Banque Rothschild, y avait fréquenté
l’édile de Guéret, et apprécié à sa juste valeur son entregent. Il lui fut tout
naturel d’appeler ce dernier à la table de son gouvernement, et de lui confier
le secrétariat d’état de la Fonction Publique.
A compter de là,
Auguste devint un personnage d’état, logé comme il se doit dans un très bel
hôtel particulier de la rue de Grenelle. Sitôt installé, il y fit venir Suzanna,
Laure et Marie Louise – non sans oublier Suzanne.
Ce déménagement hâtif
ne constitua point de déchirement pour les petites, seulement âgées de cinq
ans. Pour Suzanna la brune, le rapprochement d’avec son père, qu’elle pouvait
désormais voir chaque soir, fut une aubaine.
Elles grandirent dans
d’immenses salons aux parquets recouverts de tapis, sans jamais avoir à ouvrir
la moindre porte par elles mêmes. Et furent à peine en âge de comprendre,
lorsqu’en 1969 Georges Pompidou fut élu, qu’elles avaient intégré un monde de
privilèges.
Leur mère parvint non
sans mal à se faire une petite place dans la prestigieuse scénographie où
brillait son époux. Elle se transforma patiemment en une parfaite maîtresse de
maison. Devenant ainsi comme un emblème dont les femmes de la génération
suivante voulaient absolument se détourner.
Les évènements de Mai
furent vécus par les fillettes un peu comme Marie Antoinette avait traversé les
premiers mois de la révolution : à l’abri des échaufourés, derrière de
lourdes portes d’où l’on ne surprend pas les échos des coups de feu. De ce qui
bouillonnait au dehors, leur monde était entièrement préservé. Leurs
précepteurs avaient été suffisamment sermonés pour ne pas leur en dire un mot.
Seule Suzanna, à
présent adolescente, parvenait parfois à s’échapper. Elle quittait le ministère
fort tard, passant parfois devant son père, qui lui demandait :
« Mais où vas tu
donc ?
-
Nulle part, papa. Juste envie de me promener.
-
Fais attention à toi ! »
Il voyait bien qu’elle
lui cachait quelque chose. Mais comment lui refuser quoi que ce soit ?
Imperceptiblement,
tous sentirent, au fil des mois, l’air de liberté qu’elle ramenait du dehors.
Son comportement changea, et sa parole se libéra. Elle fit entrer dans ce
mausolée compassé un peu d’air frais, qui devint un tourbillon.
lundi 9 janvier 2017
samedi 7 janvier 2017
SUNDANCE (Genèse vol.1) - chapitre 2
On la diagnostiqua stérile,
et ce fut un déchirement. Pour elle, qui vivait confinée dans un grand manoir
de la région bordelaise, seule l’arrivée d’un nourrisson aurait pu donner un
peu de contenu à cette existence sans reliefs dans laquelle elle avait glissé.
Elle regarda ce ventre désespérément plat, et fut aussitôt prise de dégoût.
Que s’était-il
passé ? Comment, sitôt ses parents mis en bière, s’était-elle retrouvée
là ? Ca s’était passé si vite, cet exode … Cette zone qu’on l’appelait la zone libre fut sa prison.
Et la demeure bordelaise achetée par Auguste une geole.
Elle avait vu son
jeune époux, imperceptiblement, se transformer. Il s’éloignait d’elle, de plus
en plus souvent, de plus en plus longtemps. De l’étourdissant compagnon des
premières années, il ne subsistait que cette trépidante silhouette juchée sur
ressorts, et cette longue mèche qui venait se plaquer en travers du front.
Lorsqu’il revenait au bercail certains samedis, suivi d’une cohorte bruyante,
c’était à peine s’il lui adressait un regard.
La mâchoire d’Auguste
devint un rictus. Parlementer sans fin avec les occupants pour accroître ses
gains lui coûtait, sa joie de vivre s’était tarie. Quand par miracle il
bénéficiait d’un bref instant de repos, il ôtait ses chausses, étendait ses
longues jambes en direction de l’âtre, et lisait avec distraction le journal en
étouffant des baillements.
Suzanne apprit à se
recueillir en silence, à ses côtés, se positionnant légèrement derrière lui, de
sorte que sa seule vue ne le détourne point de sa lecture.
Son corps s’était
contracté jusqu’à évacuer toute respiration. Elle devint plus pâle encore, plus
silencieuse, laissant les domestiques décider à sa place des mets à préparer,
ne répondant à leurs sollicitations qu’en inclinant la tête et en expirant
d’épuisement. Au lieu des livres dont elle se nourissait jadis, elle ne tenait
plus entre ses mains que de petits canevas qu’elle brodait sans fin.
« A quoi
pensez-vous donc encore? », lui demandait parfois Auguste en fixant
exaspéré ce visage marquée de cernes.
Ses parents étaient
morts, l’un après l’autre, à l’automne 1942. Elle s’était laissée exiler dans
cette région de vignobles ensoleillée, comme on déplace une porcelaine en
l’enfermant dans du carton. Sans rien comprendre. Sans personne à qui parler. A
peine éclose, sitôt éteinte.
Quand fut signé
l’armistice, elle ne pesait que quarante kilos. Une petite robe grise, un châle
sur les épaules, et un chignon mal peigné, piqué en travers. Il lui arrivait de
devoir s’appuyer sur les murs blancs pour ne pas tomber, tant au dedans les
forces manquaient.
L’usine Desmaret, ce
fleuron, se portait dorénavant bien mieux qu’au début du conflit. Tout étant à
terre, on ne pouvait faire table rase de ce qui restait encore debout. Là, dans
cette province relativement épargnée, avait été amassé de quoi aider à la
reconstruction. Assitôt constitué, le gouvernement de la Libération décida la
nationalisation de l’entreprise, tout en laissant à sa tête cet homme dont la
rumeur populaire, pourtant expéditive à passer les traitres au peloton
d’exécution, louait le talent pour les affaires.
Ne doutant pas de sa
bonne étoile, Auguste eut tôt fait de comprendre que ses intérêts bien compris
passaient par Paris. Il prit l’habitude d’y monter pour y rencontrer tout ce
que l’après guerre comptait comme personnages importants. Il ne lui fallut que
quelques mois pour embrasser, mieux encore que feu son beau père, une carrière
politique.
Cette seconde
maîtresse lui ôta jusqu’au souvenir de son épouse. Il n’avait tout simplement
plus de temps disponible à autre chose qu’à cela : gravir la montagne,
plus haut, plus vite encore. 1945, 1946 et les suivantes, concentrèrent à elles
seules ce qu’en temps normal on met vingt ans à bâtir.
Il devint député, sur
les bancs du MRP, par pur opportunisme. A gauche, il n’y en avait que pour les
communistes, et, à la place qu’il occupait, le rattachement idéologique allait
de soi. Son territoire fut conquis aisément. En bon séducteur à la poigne
franche, il le défricha mois après mois, jusqu’à connaître les fermes les plus
reculées de l’arrière pays de la Creuse – puisque c’était là qu’il avait jeté
son dévolu.
Avec le temps, il en
vint à mépriser tout ce qu’il ne pouvait plus que délaisser, et notamment cette
femme à laquelle il devait tout, qui végétait avec son ventre vide. De ce
mépris qu’on ressent pour un souvenir qui vous fait vous sentir finalement bien
misérable, et qu’on veut à tout prix oublier.
A Paris, dans ses
bras, les belles, ça valsait. Au fil des ans, pressé de toutes parts par ses
occupations, il y prit moins goût. Il les supportait de plus en plus difficilement, ces sangsues capricieuses, qui, à peine son
pantalon relevé, quémandaient une faveur, et lui renvoyaient ce vide qu’il
ressentait en se regardant vivre pour lui même. Il s’abandonnait un peu, et
elles voulaient lui ôter un bras. Alors il les chassait, toujours plus
abruptement. Et, avec elles, jusqu’au goût de la chair.
Reconstituer le stock
des armes de guerre fut jugé aussi nécessaire que remettre en place les
immeubles, canalisations et chemins de fer. Les années cinquante et soixante
furent des années d’expansion pour à peu près tout le monde, et de fortune pour
une poignée. Délaissant les affaires pour le Parlement, Auguste, à présent
lesté par un ventre protubérant retenu par deux bretelles, sut habilement tirer
les fils. La Maçonnerie à laquelle il souscrivit contre ses propres convictions
lui apporta cette manne qui permet de faire couler l’argent à flots sans trop
d’efforts. Jusqu’à atteindre une forme de lassitude devant tant de capital
accumulé dont il ne savait que faire.
Ce fut là, au milieu
de l’été 1955, qu’il se souvint qu’il avait une femme, dans cette sombre
demeure bordelaise qu’il possédait. Puisque tout était devenu si ennuyeux, si
lassant et si répétitif, pourquoi ne pas revenir à la source, là où tout avait
commencé ?
Il la fit appeler au
jardin, et, pour la première fois depuis des années, la regarda.
Tandis qu’elle
demeurait silencieuse, le regard baissé vers le massif de roses, il se surprit
à reconnaître dans ce visage éteint un peu de cette lueur d’âme qui l’avait, en
des temps reculés, touché.
Eteinte, certes, et
pâle. Désespérément pâle. Mais encore assez belle, sous sa mise disgracieuse.
Il en fut troublé.
« Ma chère amie.
Je sais que je me suis fort mal occupé de vous. Je vous prie de ne pas m’en
tenir trop rigueur »
Elle leva son regard
en direction de cet homme qu’elle reconnaissait avec difficulté, tant il
s’était physiquement détérioré.
« Quelque chose
ne va pas, Suzanne. Quelque chose ne va pas. Et je ne sais pas quoi »
Elle le vit lentement
s’affaisser et retenir son souffle.
« Je peux faire
quelque chose ? »
Les mots s’étaient
échappés d’elle sans qu’elle eût le temps de les réfléchir. Et son teint
s’empourpra.
« Je me sens si
seul, soudain…. »
Il n’eut plus de
force, et son corps plia sous son propre poids.
« Appuyez-vous
donc sur moi »
https://www.youtube.com/watch?v=JwYX52BP2Sk
SUNDANCE (Genèse vol.1) - chapitre 1
Pour
comprendre d’où vient la fortune d’Auguste Lewitt, il suffit de tourner le
regard vers l’épouse. Suzanne, cette frêle et discrète moitié, dont la
silhouette apparaît sur certaines photographies en arrière plan, est la
troisième de la famille Desmaret. La célèbre, la riche, la fascinante famille
Desmaret, les plus grands propriétaires de la région de Calais.
Etre
née fille, cadette de surcroit, venant après deux garçons aux destinées tracées
en lettres d’or dans la saga d’une des familles bourgeoises les plus fortunées
de l’hexagone, constitue une position beaucoup moins enviable qu’il n’y parait.
On a beau de nos jours considérer les femmes comme les égales des hommes,
arriver après deux héritiers mâles n’offre en certaines contrées et dans
certains milieux que des inconvénients.
Suzanne
fut élevée à l’ombre et confinée dans ses recoins, aussi longtemps que ses
parents furent en quête d’un bras suffisamment long pour la faire déguerpir
d’une place qu’elle occupait aussi discrètement qu’un bibelot. Timide mais
opiniâtre, la jeune femme récusa néanmoins un à un les quelques soupirants
introduits de force dans le peu d’intimité auquel elle avait droit. Se réfugier
dans le silence fut sa seule défense, et les riches prétendants, découragés par
cette indifférence polie, remisèrent sans insister leurs rêves de fortune. De
guerre lasse, les Desmaret se résignèrent à l’expédier à sa majorité dans la
capitale, un peu comme on se débarrasse d’un mobilier dont la présence à la
cave encombre la tranquillité d’esprit.
Aussi
vrai que les bâtiments austères de Calais avaient eu raison de son teint, pâle
jusqu’à la transparence, les façades étourdissantes des immeubles du Boulevard
Saint Germain illuminèrent la jeune provinciale, lui révélant soudain un monde
gorgé de promesses. Chez elle, en cette terre peu fertile où la renommée
familiale l’avait recouverte d’un linceul, elle ne pouvait s’irriguer que
secrètement, à l’abri du regard des siens. Et ce fut au cœur du collège
catholique pour jeunes filles de bonne famille où on l’avait placée en
internat, dans cette excroissance de sa prison d’origine, que le commencement
d’un miracle eut lieu. Dont elle ne prit conscience que tardivement, arpentant
seule, quelques années plus tard, les grandes artères de la Ville Lumière.
Elève
douée, elle fut tôt repérée, puis encouragée, par quelques uns de ces maîtres
qui, dans les années d’avant guerre, fourmillaient dans les établissements de
province. Ses notes étaient excellentes, suffisamment en tout cas pour qu’à de
nombreuses reprises ces bonnes fées ne vinssent frapper à la lourde porte
fermée à double tour des parents Desmaret, quémandant un traitement adéquat
envers les dispositions intellectuelles de la demoiselle.
L’obstination
eut, à la longue, raison de ces esprits si conventionnels que seule l’envie
d’être débarrassés d’un tracas fit céder. Monsieur et Madame se concertèrent,
puis d’une seule voix décrétèrent un soir de mai que la petite partirait en
septembre s’inscrire du côté de la rue d’Ulm.
Une
tante servit de facilitatrice. Elle possédait non loin de la célèbre école
quelques immeubles loués à des prix fort élevés à de jeunes étudiants issus de
la classe supérieure. Contactée par sa sœur, elle consentit après quelques
palabres à mettre gracieusement à la disposition de sa nièce une petite chambre
de bonne, au sixième étage du 25 de la rue Bonaparte.
Ainsi
Suzanne put s’installer au cœur même de ce que la rumeur populaire nomme
« la vie », et à partir de là s’aventurer à découvrir la sienne. Sortant peu et étudiant jusque fort tard à la
lueur d’une bougie, elle devint un des meilleurs éléments de sa promotion.
Jusqu’à être encouragée à se présenter au concours d’entrée de l’Institut des
Sciences Politiques.
Où
elle rencontra Auguste.
Ce
fut elle qui le repéra en premier. Comment échapper à cette force animale qui,
déjà, en cette année 1937, irradiait ? Tout était déjà en place à cet
âge-là, chez cet homme façonné pour le pouvoir, auquel, pour le meilleur mais surtout pour le pire, elle allait s’unir
pendant plus de quarante années.
Lorsqu’elle
le remarqua, juché sur une estrade et faisant de grands moulinets avec ses
bras, il était par trop occupé à ignorer les quelques dix soupirantes qui à ses
pieds s’agglutinaient, avec cette forme de détachement irrésistible à l’esprit
de cour dont il était l’épicentre. C’était le jour de la rentrée, première
matinée de la première année d’études, et déjà, avant même que les visages ne
dévoilent leur identité, il s’était fait un nom. Tous, les garçons comme les
filles, semblaient chavirés par ce généreux tourbillon.
Il
la remarqua un soir, calfeutrée sous un épais châle, dans un coin peu éclairé
de la bibliothèque. Pour ce cancre féru de pragmatisme, cette petite donzelle
renfermée dont il ignorait encore le patronyme flairait bon l’investissement.
Personnifiant son parfait complément, elle détenait ce qu’il avait absolument
besoin d’acquérir pour réussir son ascension, et il perçut aussitôt quels
avantages il pourrait tirer de cette union de contraires.
Il
la prit donc sous sa coupe, et se plaça sous la sienne, se métamorphosant à ses
côtés en un élève studieux à quelques mois des examens. Elle lui enseigna aussi
sérieusement que possible les matières dans lesquelles il était faible,
c’est-à-dire presque toutes. Et ils prirent rapidement l’habitude de poursuivre
fort tard dans la nuit leurs travaux chez elle.
Jusqu’à
ce qu’un soir, profitant d’un relâchement de sa vigilance, il lui enseignât à
son tour quelque chose dont elle ignorait jusqu’à l’existence.
Elle
tomba instantanément amoureuse, et ils devinrent amants.
Lorsque,
après quelques semaines, il apprit ce que signifiait son nom, cela lui plut,
beaucoup. Lâchant soudain sa taille, il lui demanda sa main.
Les
présentations eurent lieu à Calais, par un samedi de septembre. Les Desmaret
firent entrer le prétendant par la porte du salon, et les yeux de la maitresse
de maison s’attardèrent sur les chaussures du jeune homme. Il s’assit aussitôt,
et d’un sourire éclatant, déclara identité, pedigree et flamme en quelques
minutes.
Il
marqua des points en abordant la carrière politique du futur beau père par le
bon angle, vantant sans paraître flatter les mesures de rigueur qu’il avait
imposées à ses administrés lors de son premier mandat de Maire. Y décryptant
les assises idéologiques, il les mit habilement en perspective, et se lança
dans un long plaidoyer d’où il ressortit que pour maintenir un monde en
équilibre, il convenait de veiller à ce que les intérêts d’en haut soient le
mieux préservés.
Le
politique s’en trouva conforté, et l’homme séduit. Puis ce fut au tour de
Madame, qu’il n’eut à cueillir qu’en quelques minutes. On lui proposa d’autres
chaussures, qu’il accepta puis mit à son pied.
L’affaire
du mariage ne prit que quelques mois. Suzanne Desmaret devint Madame Lewitt, et
Auguste enfin lui même.
En
moins de deux ans, le beau père l’avait placé à la tête d’un des plus beaux
fleurons du groupe industriel familial, spécialisé dans l’armement naval.
L’invasion
allemande et l’occupation qui lui succéda transformèrent le plomb en or,
faisant du royaume Desmaret un Empire, d’Auguste un César, des deux beaux
parents deux macchabées relégués dans un
mausolée.
Et
de Suzanne, l’ombre d’elle même.
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