lundi 20 février 2023

BFM infiltrée : l'information, une marchandise comme une autre, libre et faussée

 

Donc une agence, une officine plutôt, israélienne, sans nom, avec une adresse, où les employés qui n’en sont pas déguisent leur identité sous des pseudos, y compris leur chef, qui se fait appeler Jorge et dont le patronyme est Tal Hanan, un ancien des forces spéciales de Tsahal. Une officine composée d’anciens du renseignement et d’anciens militaires, disposant d’une force de frappe en matière de maîtrise des outils technologiques considérable, à la hauteur du savoir-faire développé par le Mossad et en Israël. Permettant la création et la tenue d’un nombre conséquent de faux profils Facebook et Twitter, indétectables selon les deux firmes californiennes qui n’y ont vu que du feu.

Des faux comptes qui sont virtuellement animées par des bots. Des faux comptes prêts à accueillir et à diffuser en masse le résultat de commandes de « clients » aussi fortunés que secrets, afin, qui de défendre ses intérêts, qui de répandre un narratif contrevenant, selon les normes journalistiques, à ce qu’on nomme véracité, qui d’imposer le sien.

Team Jorge. Une officine de diffusion de désinformation donc, travaillant avec des moyens considérables, planquée entre Jérusalem et Tel Aviv au coeur de la Sillicon Valley de l’État hébreu, et tout récemment infiltrée par un collectif de journalistes, dont un du quotidien Haaretz. Lequel parvint à ses fins au moyen de caméras cachées en se faisant passer pour un consultant travaillant pour un client.

Piégé sans s’en rendre compte, « Jorge » leur déroule le menu : une plateforme de 40 000 faux comptes, et des interventions dans 33 campagnes électorales dont 27 victorieuses, au Kenya, au Sénégal, en Indonésie ...

Et, petit bonus, il leur montre des séquences diffusées sur BFM provenant de chez eux, en l’occurrence une douzaine. Coût de la diffusion : 20 000 euros dont 3 000 rétrocédés au journaliste. Pour ce faire, un réseau d’intermédiaires dont les membres ne connaissent pour beaucoup point la finalité comme l’identité du commanditaire. On n’est jamais trop prudents.

Les brèves, en tant que telles, ne sont pas tant des « fake news » que des nouvelles présentées selon un angle qui obéit au narratif du client. Ce qui, entre nous, peut s’appliquer à bien des « nouvelles » on ne peut plus autorisées.

Forbidden Stories, tel est le nom de ce collectif qui vient de publier son rapport d’enquête.

Deux campagnes de « brèves » correspondant donc à deux « commandes » passées à cette officine ont été identifiées concernant BFM . Des brèves sur les oligarques russes afin de prendre leur défense lors des sanctions qui furent prises à leur encontre après le déclenchement de la guerre en Ukraine. D’autres brèves afin de lutter contre la campagne de presse écornant l’image du Qatar.

A peine rédigées, ces « brèves » sont diffusées en masse sur les réseaux sociaux et envahissent l’espace numérique. Puis sont reprises par certains médias infiltrés, comme ce fut le cas en France chez BFM TV, où, approché par un intermédiaire, le journaliste Rachid M’Barki, bien connu des téléspectateurs assidus à cette chaîne, profitait de la nuit pour les faire passer en l’absence de son supérieur hiérarchique. Une fois diffusées à l’antenne fort tard, les séquences tournaient alors en boucle à partir des faux profils créés sur les réseaux, ce qui leur offrait, de facto, un factice blanc-seing de crédibilité. BFM est donc pour Team Jorge un simple instrument utilisé pour blanchir une « information » puis la rendre virale grâce aux trous noirs des GAFAM.

L’affaire, toute récente, fait dans le milieu médiatique grand bruit, et notamment dans les couloirs de la filiale de l’empire de Patrick Drahi. A peine informée, la direction de BFM en la personne de son Directeur Général Marc-Olivier Faugiel ouvrit un audit interne et décida de trancher dans le vif en suspendant le journaliste incriminé, lequel plaide la bonne foi. Les procédures internes dites de vérification et de validation d’une info, on le voit, ont beau exister, elles sont aisément piratables, et l’image de la chaîne, déjà peu glorieuse dans l’opinion, s’en retrouve entachée.

Jamais en reste lorsqu’il faut s’attaquer sabre en mains aux complotistes et aux désinformateurs de métier, en d’autres termes à ceux qu’elle définit ainsi, la « chaîne de courroie du régime » se voit à son tour prise la main dans le sac et infiltrée. Agent offensif de lutte contre la « propagande russe », la voilà qui tandis que la plupart de ses employés dorment, en diffuse. Le serpent se mord la queue, et ce cher Marc-Olivier se précipite dès l’aube sur les antennes de France Inter pour tâcher d’éteindre le feu et tenter de sauver son honneur perdu. A coups de « déontologie », d’audit interne, de « renforcement de nos procédures » et autres « comités de vigilance », voilà l’attaquant aux dents longues qui de bon matin apprend les rudiments de la défense et tente d’éviter le penalty.

L’information, on ne le découvre pas avec cette enquête, est un produit, et donc une marchandise. Une marchandise qui s’achète, sur un marché qui est aussi libre et aussi peu non faussé que celui de tout autre type de marchandise.

Le scandale de cette officine israélienne n’est finalement rien d’autre qu’une nouvelle opération des services de renseignement de pointe, lesquels forment leurs agents à cela : espionner, infiltrer, manipuler, faire accroire, tromper l’ennemi. Que ce soit la CIA, le FSB, le Mossad ou le MI6 : tous ont fait et font peu ou prou la même chose, depuis a minima les années de guerre froide. Certains papiers rédigés dans les bureaux de la CIA envoyés traduits dans certains bureaux de certaines rédactions parisiennes, certains journalistes fort connus dont on découvrira des années plus tard qu’ils étaient secrètement rémunérés en villas et frais par le KGB, certaines rencontres secrètes de nuit dans des parkings d’hôtels de luxe du VIIIème arrondissement de Paris … L’histoire de la presse fourmille de ces affaires qui parfois donnent lieu à des synopsis de films à succès, où la pègre se mêle aux moutons noirs de la profession journalistique, avec son aval ou à son insu.

On le voit, cette officine, à l’heure où certains grand patrons du CAC 40 emploient des agences dites de crise pour surveiller comme le lait sur le feu leur réputation tout en salissant celles de leurs opposants directs, n’innove guère que dans les moyens technologiques employés ainsi que dans les méthodes, tout en conservant la même philosophie. On peut, selon ses intérêts comme sa lecture du monde, parler de marché de l’information ou de la désinformation, de luttes idéologiques, de guerres culturelles, de guerres de civilisation, de soldats du bien, de soldats numériques ou de propagateurs de fausses nouvelles. Nous serions libres nous dit-on, au cœur d’un monde où tout s’imite, s’infiltre, ment, corrompt, hacke et détruit : tel est le prix !




1 commentaire:

  1. Bonjour, toujours intéressant de vous lire car cette information je ne la connaissais pas. Contrepoints est un site dédiés et orientés écrit par des pigistes à la demande de clients. je pense que Fakir en avait aussi parlé.

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