Randall McMurphy est condamné suite
à une accusation de viol sur mineure. Dans le but d’échapper à la prison, il
fait en sorte de se faire interner en hôpital psychiatrique, ce qu’il parvient
à faire en dépit de sa bonne santé mentale. Une fois admis dans
l’établissement, il prend rapidement les choses avec détachement, s’amusant des
autres pensionnaires, tous touchés par des maux différents. Mais il se heurte
rapidement à l’impassible et taciturne infirmière en chef Ratched, ce qui va
l’inciter à devenir toujours plus provocateur et à défier l’autorité de
l’hôpital.
Adaptation d’un roman éponyme sorti en 1962 et joué au théâtre dans les années
soixante par Kirk Douglas, Vol au dessus
d’un nid de coucou fut
proposé par Michael Douglas, le fils de Kirk, à Milos Forman, chef de file de
la nouvelle vague du cinéma tchèque. Lequel, à la suite du printemps de Prague
en 1968, s’était exilé aux Etats Unis, où il avait réalisé dans une
relative indifférence Taking off,
film portant sur le milieu hippie et la petite bourgeoisie.
Enthousiasmé par ce scénario portant
sur la résistance à l’oppression au sein d’un hôpital
psychiatrique, et dont le parallèle avec l’univers sclérosant
du communisme contre lequel il s’était érigé lui
parlait, Forman se lança à corps perdu dans la réalisation de ce qui allait
devenir un film culte couvert de récompenses, aidé par un casting de tout
premier ordre. Au premier rang duquel Jack Nicholson, dont la prestation
charismatique en diable constitue sans doute la matrice de ses grands rôles
futurs, et Louise Fletcher dans le rôle glaçant de l’infirmière en chef.
La dimension réaliste, presque
documentaire, du film, sur cet univers si rarement visité par le cinéma qu’est
l’asile, est ici renforcée par les conditions mêmes du tournage, où les
acteurs, immergés dans un authentique hôpital psychiatrique, fréquentaient
quotidiennement personnel médical et patients. La puissance de Vol au dessus d’un nid
de coucou tient à cette sensation d’enfermement et d’étouffement dans un décor aseptisé envahi par la blancheur –
les murs, le mobilier, jusqu’aux tenues des patients, à l’exception de McMurphy et de Miss Ratched -, où tout est règlementé
à l’extrême, concentrationnaire et immuable, jusqu’à ces hauts
parleurs qui diffusent en permanence un fond musical sirupeux.
L’intrusion de
McMurphy dans le quotidien du service tenu par une main de fer par l’infirmière va nourrir les germes d’une remise en cause de l’ordre existant. Charismatique,
le personnage incarné par Nicholson offre un cocktail détonnant qui va non seulement
le placer au centre de l’attention de tous, mais faire dérailler la logique même de l’institution.
Capable autant de provoquer que de manipuler, il va par ses insolences et ses
initiatives parvenir à fédérer momentanément le groupe en faisant prendre
conscience à la plupart de ses membres que des individus soudés et déterminés peuvent
faire autre chose que subir et obéir au règlement.
La dramaturgie va donc s’orchestrer autour de la lutte acharnée pour conserver ou conquérir
le leadership, et autour du choix entre deux modèles antagonistes symbolisés
par deux personnalités en tous points opposées. Incarnation implacable de l’autorité, l’infirmière en chef, dont le visage
demeure en toutes circonstances inexpressif et fermé, n’entend pas lâcher une once de ce pouvoir que la verticalité
lui confère. Electron libre libertaire et sorte d’anti-héros
de la contre-culture américaine, McMurphy est un rebelle dans l’âme, cherchant autant à briser les carcans se dressant sur
sa route qu’à prendre sur lui la lumière, y compris en jouant sur la faiblesse
de caractère d’autrui.
Au travers de cet affrontement,
Forman formule une critique virulente de la société
capitaliste, dont la psychiatrie représente un bras armé servant non pas à
soigner des malades mais bien à punir les récalcitrants à coup de traitements
chimiques, de
privations de liberté, d’humiliations et d’électrochocs. Le véritable sujet du film c’est bien la répression sociale par le biais d’une thérapeutique aux vertus plus qu’incertaines et l’intolérance à la différence érigée en dogme scientifique.
A partir de quel moment un individu
cesse t-il d’être normal pour devenir fou ? Qu’arrive-t-il lorsqu’un individu dont la folie n’est absolument pas avérée s’introduit
tel un grain de sable au cœur du jeu social de la folie et tache de le dérégler ?
A quoi cet ordre social est-il prêt pour maintenir son joug ? Et, puisque
tous les pensionnaires de cet asile y sont de leur plein gré, et donc tenus en
laisse et infantilisés avec leur consentement, seraient-ils la métaphore d’une population soumise à une autorité calculatrice par
simple fatigue à l’idée d’affirmer leur singularité ? Voilà bien des questions dérangeantes que
Forman pose à l’Amérique en dénonçant une société qui n’a que l’apparence de la liberté, et réprime avec violence quiconque
entend se défaire des rets du conformisme et de l’obéissance.
Vol au dessus d’un nid de coucou est bel et bien une fable sur le pouvoir, sur l’oppression, et sur ce qui advient quand on entend y résister.
Une fable qui, commencée sur un ton presque comique par une galerie de portraits
de névrotiques, s’achèvera en tragédie.
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