Au temps du cinéma muet,
"Baby" Jane est une grande star, une des premières enfants prodiges.
Sa sœur Blanche, timide et réservée, reste dans l’ombre. Dans les années 30,
les rôles sont inversés, Blanche est une grande vedette, Jane est oubliée.
Désormais, bien des années après, elles vivent en commun une double névrose.
Blanche, victime d’un mystérieux accident, est infirme et semble tout accepter
d’une sœur transformée en infirmière sadique qui multiplie les mauvais
traitements ...
Hollywood usine à cauchemars, le rêve
américain de célébrité ou la descente aux enfers, la vieillesse d’anciennes
gloires sous le signe de la déchéance et de la haine, la réification de créatures
névrosées, tels sont quelques ingrédients de ce brulot de Robert Aldrich, que
la Warner soutint sans vraiment le produire. Avec à l’affiche deux anciennes
stars de la Warner en question, toutes deux plus qu’en perte de vitesse, du
fait autant de leurs caprices incessants que de leur âge. A la ville comme
pendant le tournage, la haine entre Bette Davis et Joan Crawford était un
secret d’alcôve. Haine dont le réalisateur sut se pourlécher tant elle servait
le propos de son intrigue.
L’extrême cruauté du film surprend
pour l’époque, il fut sifflé lors de sa présentation à Cannes mais remporta un
triomphe populaire international. Il y a à la vision de ce brulot une
connotation quelque peu malsaine, comme face à un Freaks ou à un numéro de
vieux singes quelque peu obscène. Provocateur, le réalisateur en fait des
tonnes et dirige ses stars en fonction, les rendant plus que caricaturales,
monstrueuses, flirtant en permanence avec le ridicule. Mimée en fillette peinturlurée,
hurlant des insanités, forçant un sourire exposant toute une dentition abimée
et une peau fripée, Bette Davis joue sans filet et montre d’elle toute l’horreur
d’une vieille femme névrotique ravagée par l’envie et l’envie de faire mal. A
ses cotés, Crawford semble totalement hagarde, presque asexuée. On est ici à la
foire d’empoigne, ça s’insulte, ça cogne, ça maltraite, ce que le film expose
de la nature humaine c’est la puanteur, la mythomanie, la mégalomanie et la
folie furieuse.
Il y a là quelque chose d’assez
fascinant, dans cette intrigue tendue et quelque peu hitchcockienne, voir ces
deux immenses stars déchues plonger dans la fange et l’assumer face caméra.
Avoir été et n’être plus rien, vivre des reflets et des images et des
souvenirs, demeurer rivé dans un paradis artificiel et entretenir à la fois son
mythe ou le souvenir inventé de celui-ci rend fou. Hollywood c’est cela, une
usine à créer de la folie, qui envoie ses produits avariés à l’asile. Là, sous
l’implacable camera du terrible Robert Aldrich, la déchéance sera telle,
tellement gorgée de haine, que les deux sœurs s’échoueront sur le sable face à
l’océan, avant que d’être emportées par l’oubli.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire