!969. Entre La femme infidèle et Le
boucher, Claude Chabrol, abordant ici un cycle majeur de son œuvre, adapte
avec Paul Guegauff un roman britannique de Peter Blake, dont il ne retient que
la trame – un intellectuel fou de douleur d’avoir perdu son jeune fils, écrasé par
un chauffard anonyme, part à la recherche de ce dernier, animé d’un sentiment
de vengeance, et tombe sur un être absolument abject, une bête donc, qu’il va
prendre pour cible – pour créer un exercice de style entre Hitchcock et Fritz
Lang.
On parle souvent à tort à propos du cinéma
de Chabrol d’un pourfendeur des hypocrisies bourgeoises françaises, comme si la
seule bourgeoisie était la cible et en même temps le sujet central de l’œuvre de
ce réalisateur témoin de son époque. Or c’est bien l’ambiguïté qui constitue le
cœur des sujets de cinquante films d’importance inégale, une somme qui évoque La comédie humaine de Balzac à la fois
par sa profusion et par la richesse des portraits dressés.
Tout comme son maitre Hitchcock
ennemi de la vraisemblance au profit d’une dramaturgie libérée des contraintes réalistes,
Chabrol s’en va dans Que la bête meure créer
comme une abstraction à partir de ce personnage vengeur s étant donné pour but
ultime de faire mourir l’assassin de son fils, ce qui signifie conduire lui-même
une enquête à partir de trois fois rien. Là, le malicieux réalisateur met en scène
un personnage scénariste qui sitôt consignées quelques phrases dans son carnet
secret créée en projection sur l’écran la matérialisation même de son scénario.
Ainsi le dévoilement de l’identité de l’assassin se fera au travers de
rencontres semblant tomber du ciel, et ces invraisemblances, loin de nuire au récit,
lui permettront de se déployer jusqu’à pénétrer l’antre du monstre.
Lequel personnifie à l’excès tout ce
que l’on aime haïr, et d’ailleurs est entouré de personnages qu’il sadise tous
sous le regard bienveillant d’une mère aussi déséquilibrée que lui. L’introduction
du vengeur dans ce petit cénacle ou le bourreau trône sans partages sera vécu
par chacun comme une possible salvation, chacun ressentant au plus profond de
lui même que l’intrus porte en germe le désir de tuer le monstre à leur place.
On se trouve ainsi placés par Chabrol et son scénariste dans un dilemme éthique
ambigu au possible en étant identifié au vengeur, dont nous épousons à notre
tour le désir et le projet macabre. Facon de mettre les deux dos à dos, le
tueur et sa potentielle victime, et de nous placer nous spectateurs non
seulement du côté du couteau, mais à la frontière du bien et du mal. Frontière
que Chabrol ici fait reculer pour mieux l’interroger.
Ainsi la justice des hommes, une
justice privée, qui s’appuie sur le sentiment de vengeance, est-elle à la fois exhibée,
justifiée et interrogée dans ses fondements. L’injonction du titre, Que la bête
meure, peut se retourner comme un gant tant sur celui qui a porté le coup que
sur ceux qui l’ont regardé agir dans un silence approbateur.
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