Sorti
au tout début des années Reagan en 1983, le Scarface
de Brian de Palma vient cinquante ans après celui d’Howard Hawks. A l’ère de la
prohibition de l’alcool succède celle du trafic de cocaïne, à l’immigré italien
un cubain ennemi du régime communiste de Fidel Castro.
Autres
temps autres mœurs, le film noir ici se mue en opéra paranoïaque sanguinolent
aux accents gore, construit en deux parties. Une première comptant l’ascension
d’un petit caïd inculte, paranoïaque, mégalomane et obsédé par l’argent et la
réussite. Une seconde lui répondant, mettant en image sa lente et inexorable
chute. Et avec elle le suicide du rêve américain.
L’action
est passée de Chicago – le film de Hawks – à la Floride, celle de la coke, un état
de débauches en tous genres, de soleil et de moiteur, ou les couleurs sont
comme les chemises de l’anti héros Tony Montana, criardes. Mégalomane et prêt à
tout pour oublier le mépris dans lequel le tient sa propre mère, laquelle lui
avait prédit sa chute avant même son ascension, le petit caïd cubain est un obsédé,
un obsédé du fric et d’une réussite ou l’on ne doit rien à personne, et ou l’on
n’hésite pas à trucider quiconque se met sur votre voie. Prive d’empathie, de
socle, d’éthique, ce chien fou est comme un bolide incontrôlable lâché dans un
univers ou la vulgarité, la perversion, la violence et le mensonge vous
assurent comme au Casino un tour de manège en plus.
Dans
la cour des miracles qu’il fréquente et à laquelle il se heurte, Montana fait
office de champion sur tous les plans. FUCK – le film en compte 207 prononcés
sur ses 2h45 – est son mantra, ce mot-insulte est comme un langage en soi dans
la bouche d’un personnage manquant tellement de vocabulaire que seules les
armes semblent compléter un dispositif sensoriel et intellectuel des plus
maigres. Ce personnage central est pire qu’une bête, en même temps un symptôme
de l’époque, un mutant, un robot de l’intelligence artificielle avant l’heure,
programmé pour tuer puis s’autodétruire en un double mouvement catalysant l’insignifiance
comme horizon. Tout ce qui aura été accumulé in fine sera détruit sous les
balles et par le feu. Tony Montana, nous dit De Palma, c’est rien. Une
gesticulation sans conscience, une action dénuée de pensée, juste une
accumulation de nerfs qui se débattent dans un vide sidéral qui lui tient lieu
d’être.
Il
est cocasse de constater que cet absolu contre-exemple dont le réalisateur tire
un portrait à boulets rouges – c’est peu dire que le film est un énorme éclat
de rire à la face de son personnage principal – sera devenu avec les ans comme
une référence pour bien des jeunes quelque peu dénués de conscience. Cette
attirance envers un personnage vide qui n’est au même titre qu’une star de rap qu’une image virtuelle dégradante aura donc créé des
émules, et la dimension plus qu’ironique, ravageuse du film envers son héros
aura échappé à bien des fans de Scarface.
Ce
que dit le film c’est que cette époque d’hyper-matérialisme créée des nains grotesques,
grotesquement attifés, aux intérieurs criards d’un mauvais gout hallucinant,
incapables d’articuler ne serait-ce qu’une seule phrase faisant sens et
confondant autorité et force intérieure avec des sautes d’humeur faisant penser
à un dessin animé de Tex Avery.
Car
Tony Montana qui est-ce d’autre que Vil Coyote en chemise rouge à jabots avec
des pompes de mac, des grosses chaines bling-bling, trois prostituées dans
chaque bras qui lui piquent ses Rolex, un gars d’un mètre soixante dix gros
maximum dont la seule expression faciale est un rictus. Un gars incapable d’articuler,
qui parle comme on crache de la bouillie, qui fait au froc devant maman. Et se
fait littéralement flinguer dans sa propriété de luxe après nous avoir imposé
la fumée de ses cigares infects dans des bains moussants soap opéra.
Il
fallait tout le génie du grand Al Pacino pour parvenir, lui l’acteur
shakespearien, à cette absolue caricature cartoonesque, et celui du grand De
Palma, qui ici brosse à coups de pinceaux pleins d’hémoglobine le portrait
d’une Amérique dégoulinante de vulgarité bouffonne.
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