Il la retrouva chez Taillevent aux environs de vingt-deux
heures, une demi-heure en retard tout au plus, et l’apercut de loin, sirotant
une coupe de champagne et feuilletant un magazine, vêtue comme Romy Schneider
dans la célèbre scène du Vieux Fusil, soulevant une
voilette noire pour tremper ses lèvres.
« Te voilà donc !
-
Dieu que tu es belle !
-
La beauté du diable, tu veux dire. J’ai
fait quelques emplettes chez Saint Laurent avant de venir ici. Je te préviens, j’ai dépensé un bras.
-
Il ne manquerait plus que ma
bourgeoise se prive ! », fit-il en l’embrassant à peine bouche.
Elle le dévora
des yeux. De lui exultait un parfum de sexe tel qu’elle eut envie, là, de s’abandonner à lui couchée sur la table.
« Francois m’a parlé de ton entrevue avec Rocard.
-
Ca n’a pas trainé dis-donc, le vieux a ses antennes
partout !
-
Andouille, vous étiez filmés, on vous a apercus au 19/20 sur
la 3 !
-
Sympa le Rocard. Super poussiéreux, bien naif et sur de lui,
mais sympa !
-
T’as l’intention de l’utiliser
-
Le gars m’invite à bouffer, j’accepte, ca va pas
plus loin.
-
Pas con d’avoir la aussi un pied
chez l’un puis chez l’autre. On se répartit les roles !
-
Pas vraiment envie de le rouer de
coups comme tu te tapes le vieux, sourit Pierre. T’as couché avec
-
Pas cette fois non. On avait ni
l’un ni l’autre la tête à ca. Je
suis passée chez
Chirac tout-à-l’heure
sinon.
-
Et …
-
Bah, pas brillant le Chichi, tout
frippé, une
tête de hérisson
sous tranxenne. Impossible de le dérider ».
Un serveur en smoking s’approcha, prit commande puis s’éclipsa.
« A toi mon amour ! A ta réussite !
-
Merci partenaire ! Tu es
parfaite, je peux pas dire.
-
Chacun mon tour, coco. Je me délecte à rester dans l’ombre.
-
Telle l’araignée qui tisse sa toile …
-
Je n’ai aucun plan, figure-toi, je
me laisse guider. Au fait, j’ai semé des cailloux pour toi. Tu intègreras le dispositif de campagne
de Chirac à
compter de 1992. Et j’ai fait biffer ton nom sur le truc de Toubon.
-
Je l’ai envoyé bouler. Débile, leur truc !
-
Evidemment l’idée venait de cette pute de Ballamou.
Lequel vient tout juste de s’installer dans de luxueux bureaux dans le VIIème, on se demande bien pourquoi.
-
Ouais je suis au parfum. Devine
qui est son visiteur favori …
-
Le petit Nicolas !
-
Bingo ma bourgeoise !
-
Celui-là, j’ai rencontré son oracle, tiens …
-
Attali !
-
La tête de hibou, en personne. Je
te l’ai battu froid, il a du avaler sa kippa.
-
J’adore tes blagues antisémites.
-
Arrête, tu sais que j’aime le
peuple juif, je parle des vrais. Mais celui-là et les autres du même accabit …
-
Pas la peine de développer, le truc du complot ca va
je maitrise !
-
Donc d’ici 92 t’as trois ans et
demie pour te faire mousser ici.
-
T’as des pistes …
-
La télé, chéri, la télé. T’as une gueule à crever l’écran. 7 sur 7 tu connais.
-
Ouais. Pas mal Anne Sinclair.
-
Très pro, vraiment. Pour moi la
meilleure du PAF. Démerde-toi
pour faire l’invité mystère un de ces quatre. Avant plus
tard de faire un numéro
complet !
-
Tu penses quoi des débats sur la deux.
-
A faire évidemment au moins une fois, mais
ne va pas t’y user. Et débrouille-toi
pour systématiquement
fuir les plateaux ou Sarkozy y sera. Il risquerait de te faire de l’ombre !
-
Quoi, ce nabot !
-
Ne le sous-estime pas, il est
certes infect mais c’est un animal politique de premier plan. Gros, très gros potentiel. Tiens d’ailleurs
j’en ai repéré deux autres, que Francois m’a présentés.
-
Dis toujours.
-
Francois et Segolène !
-
La dinde du Poitou au chabichou !
Nan mais la blague, t’as vu le look !
-
On s’en fout du look. Ecoute, pas
plus tard que ce midi j’ai eu un déjeuner en tête-a-tête avec elle à la demande expresse du prince.
Elle m’a fascinée. Potentiel
énorme.
Gros égo
certes, mais une intuition phénoménale, un culot d’acier, beaucoup
de bon sens et surtout un courage qui force l’admiration.
-
Bigre !
-
En contrepoids son compagnon …
-
Francois Hollande …
-
A première vue on dirait un édredon. Joufflu, marrant, sympa, pas
très
charismatique. Mais si tu regardes le fond de son œil … Aussi froid et
tranchant qu’elle. A eux deux, la baraka, crois-moi.
-
Tout le monde dit que l’avenir c’est
Fabius !
-
Tout le monde se plante ! Ca
sera Chirac, Sarkozy et le couple Hollande,
l’un ou l’autre ou les deux. D’ailleurs entre les trois derniers, devine
le point commun !
-
Attali, je parie !
-
Gagné.
-
OK pas la peine de se creuser
davantage la tête.
-
De toutes facons dis-toi une
chose, Pierre. Si la presse à Paris dit blanc, dis-toi que ca sera tout
sauf blanc. Ces vendus se plantent tout le temps et sont payés pour !
-
Ils le font exprès
-
Même pas, ils sont nuls c’est
tout. Donc, si je peux me permettre, va voir ton Rocard, mais va aussi voir
Hollande. J’en ai parlé à Ségolène, entre femmes ce genre de
choses on peut … Il sera d’accord.
-
But de la manœuvre …
-
Toujours se rapprocher des
meilleurs et le plus en amont possible !
-
Comme toi avec Chirac. Tu auras ta
récompense
après 95.
-
Je n’en veux aucunement, la vie au
Château non merci on s’y emmerde copieusement. Claude et Bernadette se
disputeront l’argenterie et les ors, je passerai en bonne copine pour tacher de
les départager.
-
Bon, pourquoi pas. Purée, avec une capacité comme toi à imaginer l’avenir avec vingt ans
d’avance, on va se faire copieusement chier à appliquer le programme !
-
Toi peut-être mais moi surement
pas vu que j’ai l’intention d’improviser !
-
Tu veux dire …
-
Que j’en serai pas Pierre, sinon
en filigranne et uniquement sur un mode privé. Le sceptre de l’ambition est
entre tes mains dorénavant !
».
Le serveur réapparut avec leurs plats et les servit
avec méticulosité.
« Eh bien sur ces bonnes paroles ma bourgeoise, il ne nous
reste plus qu’à faire
une chose, dévorer !
»
Extrait de SUNDANCE - Livre 2 - Exode - volume 2 - chapitre 131
parution - fin septembre 2018
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