La politique, ma chère Yvonne, je l’avais autrefois déclamé,
ne se fait pas à la corbeille. Je dirais même, pour aller plus loin, que si l’on pouvait se passer de politique pour diriger une
grande nation, c’est-à-dire jeter aux oubliettes ces partis, les godillots
qui les composent et toutes ces viles compromissions avec les détenteurs de capitaux, et ainsi revenir au bon temps
des rois, cela, alors, aurait autrement de superbe. Mais, ma foi, que
pouvais-je faire que composer avec mon temps, et inscrire mon action dans mon époque, celle ou Dieu m’a placé.
J’ai donc fait avec.
Mes compagnons, ceux de la Libération de la France, mais aussi ceux des maquis, se
sont tous adonnés à
ce vice politicien, en ont tiré
des prébendes, des collifichets, et avec les ans, tout en
se réclamant de moi et en chantant mes louanges, ont
trahi l’esprit suprême qui les avait fait suivre mes pas. Tous ou
presque, j’isolerais Malraux, Peyrefite peut être, ont plongé à
la gamelle, et il m’a fallu là aussi composer avec eux, comme avec cette chape de
plomb que fut l’invasion
americaine.
Cette comédie
de la célébration
du 6 juin, jamais je n’ai voulu m’y prêter. Comment fêter cette mascarade, la France ne fut jamais libérée
par les americains seuls, sans la déferlante
soviétique jamais les forces d’occupation n’auraient été vaincues. Roosevelt n’a daigné
quitter son silence qu’en 1941 c’est-à-dire
bien trop tard, pour contrebalancer Pearl Harbor. Pendant et avant l’occupation, que d’affaires, que de contrats, que de compromissions
avec l’ennemi. On taxe Philippe Pétain en lui faisant porter le poids de l’indignité,
il n’est jamais allé aussi loin.
Les forces capitalistes ont pris d’assaut le pays, le notre, notre belle France, et le
patronat, jamais en reste pour trahir les siens, a plongé les mains dans la boue. Que pouvais-je faire,
changer le cours des choses, non, mais le freiner en l’accompagnant et en tachant par quelques directives
de remettre à défaut
d’ordre un peu d’équilibre. C’était ca, mon souhait de mieux partager les bénéfices,
ca ne détruisait point l’édifice mais cela en trahissait l’esprit sournois en redistribuant le pain à ceux qui en ont le plus besoin. Car je le voyais
bien, ce qu’avec
les communistes nous avions bati a la libération, ces forces du
mal voulaient le réduire en cendres.
La corbeille, tous y ont plongé avidement. J’ai vu mes compagnons un à un s’adonner à l’affairisme le plus grossier, s’enrichir démesurément, se pamer dans les couloirs de l’assemblée
la main sur le drapeau et le souiller en coulisses. Las, là aussi je dus composer, c’est-à-dire
rappeler les principes, accepter l’homme de la banque Rothschild, laisser contre ma propre
histoire personnelle se détacher
l’Algérie
de la France et ordonner que les combats cessent pour que la vie puisse
reprendre un cours paisible.
L’on fallit au Petit Clamart m’assassiner pour cet acte historique qui certes m’en couta mais dont je revendique ardemment la nécessaire intangibilité. Les peuples ont une histoire qu’il nous faut respecter, l’apport de la France à l’Algérie
ne fut pas mince, les combattants algériens furent à nos cotes au
moment utile, ils furent bien maigrement récompensés,
et mon coeur saigna quand dans la capitale, sous ma Présidence et contre mes instructions les plus fermes,
certains furent jetés à la Seine.
L’art de la politique, que je maitrise et méprise, est l’art de se compromettre en acceptant des tractations
avec des forces viles. En tant que chef d’Etat je fis de mon mieux, c’est-à-dire
pas assez, pour conserver une certaine grandeur y compris quand l’acte mesquin s’imposait du fait d’un réel
qui tel un tapis glisse sous vos pieds. Mes jours à l’Elysée
furent tout sauf sereins, et vous, ma chère Yvonne, avez du moult fois relever le chêne. Vous futes, au contraire de moi, et je vous
rends un tardif hommage, parfaite.
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