samedi 12 mai 2018

Chefs d’oeuvre du 7ème art - Une étrange affaire



Bertrand Malair reprend en main les destinées des «Magasins». Sa réputation le précède. Maniaque, tyrannique, exigeant tout, n'accordant rien, il effraie le personnel et plus particulièrement Louis Coline, sous-chef du service de publicité, jusqu'ici bien content de la petite vie qu'il s'était créée entre sa femme, Nina, sa mère et sa grand-mère. Une première entrevue tourne au cauchemar. Pourtant, Coline bénéficie d'une promotion. Etroitement associé à la gestion de l'entreprise, il se laisse peu à peu fasciner par la puissante personnalité de son patron, que mettent en relief deux énigmatiques assistants, François Lingre et Paul Belais...

Adaptation d'Affaires étrangères de Jean-Marc Robert et tourné en un mois en attendant la fin de la convalescence de Simone Signoret avant de s'attaquer à L'Etoile du nord, son film suivant, Une étrange affaire constitue le sommet de la carrière d’un cinéaste aussi discret qu’apprécie par le grand public, Pierre Granier Deferre. Un de nos auteurs de films populaires parfois de très grande qualité – Le chat, Le train, La veuve Couderc. Tout sauf un faiseur, contrairement aux assertions snobinardes des contempteurs du cinéma intello.

Très en avance sur son temps, Une étrange affaire parle de vampirisation dans le monde des affaires et de l'entreprise par un homme personnifiant ambiguïté et manipulation comme personne, et sachant user des êtres faibles pour son seul profit. La lente appropriation de l'ame de son servile salarié par ce Bertrand Malair – Michel Piccoli, absolument prodigieux, totalement fascinant – dont il va jouer avec brio jusqu’à le déposséder de son intimité – exclusion de l'épouse, disparition de la sphère privée, le personnage de Gerard Lanvin n'habitant plus nulle part que chez son boss, dans l'antichambre d'un appartement vide ou  il dort à meme le sol.

L'ambition comme arme de manipulation massive, l'ambition de devenir un esclave, d'obéir, d'être bien noté par le chef, d'intégrer le cercle de ses intimes, tout ceci pour se faire humilier. Quelle magnifique parabole grinçante sur le carriérisme dans nos sociétés modernes ou seul le haut de la pyramide s'en sort bien et palpe. Les cadres, les plus ambitieux surtout, sont des laquais, certains malsains – le couple Kalfon Balmer, ames damnées du gourou – fonctionnent comme des duos soufflant chaud puis froid en alternatif.

Le petit cadre de la publicité ne voit rien, ne comprend goutte, se laisse peu a peu happer, ses horaires s'étendent, le chef oscille entre médailles et humiliations, le piège se ressert, prend une connotation quasi homosexuelle, le patron se faisant un plaisir d'exhiber son postérieur nu à son employé, de lui présenter un hermaphrodite, de le tenter, de distiller quelques piques contre l'épouse légitime, contre ce pouvoir du couple qu’il est en train de détruire pour rien, juste pour le fun, pour le gout du jeu. Et il parvient à ses fins avec l'assentiment et la complicité de sa victime, laquelle tel un papillon s'approche de plus en plus près de la lumière de l'ampoule puis s'y brule les ailes.

Lorsque sans prévenir Malair s'évanouira dans la nature aussi mystérieusement qu’il était apparu, sa petite créature abandonnée comme un enfant sur un trottoir se mettra à pleurer. Tout en lui, dignité surtout, s est effondré. Avec son accord. Il a voulu, il y a cru, il a joué, il s'est donné à bien plus fort et plus machiavélique, comme un petit militant naïf. Et le chef, le phare, le repère, le gourou, le sauveur, a fini par lui cracher au visage son indifférence. Et à l'abandonner à son triste sort de petit suiveur sans charisme et sans talent.

Conte cruel mais juste, si factuel, si actuel … Un miroir à peine déformant de nos vaines prétentions. Un miroir sans teint …


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