Dans les années 1970, sa chance insolente et son
flair infaillible valent à Sam «Ace» Rothstein l'honneur d'être catapulté à la
tête d'un luxueux casino de Las Vegas, le Tangiers, par le puissant syndicat
des camionneurs. L'établissement sert, en réalité, de paravent à la Mafia. Avec
l'aide de Nicky Santoro, son ami d'enfance devenu son homme de main, Sam fait
du Tangiers l'un des casinos les plus rentables de la ville. Il s'éprend
bientôt d'une belle flambeuse, Ginger McKenna, qu'il finit par épouser. Un temps
séduite, Ginger ne parvient pas à oublier son ancien souteneur, Lester Diamond,
un petit escroc sans envergure, puis elle sombre dans l'alcool et la drogue...
Casino – le plus grand Scorcese et un des meilleurs
films américains de ces 30 dernieres années – s’ouvre sur un monde qui explose. Ce monde, Robert de Niro, richissime
propriétaire d’un casino de Las Vegas, vêtu d’un costume bling-bling rose – ouvre la portière de sa voiture de luxe, y pénètre, et celle-ci explose, et avec elle arrive un somptueux générique signé Saul Glass, sur l’ouverture de la Passion selon
Saint Mathieu de Jean-Sebastien Bach.
Nous sommes avant le générique en 1983, et le choix de cet immense opéra mystique de Bach donne le ton. Car Scorcese, catholique jusqu’au bout des ongles et dont toutes les grandes oeuvres interrogent ce
monde qui s’adonne au lucre puis sombre, demeure un moraliste portraitiste sans
pareil de l’Amérique du Veau d’Or. Songez, Taxi Driver, Raging bull, Les Affranchis,
Le Loup de Wall Street …
De 1973 a 1983 donc. Une décennie de lucre en deux parties dans la Cité du Veau d’Or qu’est Las
Vegas. Avec grandeur puis décadence,
comme une parabole de la futilité du rêve américain basé sur la réussite matérielle seule. Le casino est en soi un bandit manchot géant dont la technique-même –
admirablement décortiquée dans le film – est fait pour palper sur le dos des joueurs. Cet
Eldorado des petits parieurs est une arnaque géante détenue par la mafia, dans lequel palpent des politiciens véreux, totalement liée au monde du
crime.
Money Money comme chantait Liza Minelli …
De Niro semble sorti tout droit de The King of Comedy du même Scorcese – sorti en … 1983. Juif – sa judéité est à de fort nombreuses reprises soulignée et assumée par le personnage lui-même. Mais surtout ambitieux, une calculette sur pattes, un oeil
toujours distant tel un scanner, toujours à épier les caméras de surveillance, à espionner son prochain, confiance en personne, un authentique
paranoiaque. Et accompagné d’un petit teckel hyper violent, son Fouché en quelque sorte, interpreté génialement par Joe Pesci, helas disparu des radars.
Cette ame damnée, ce
meilleur ami proprement incontrolable et que De Niro pense contenir sera une
des causes de la chute. En attendant, tronant dans son palace d’or et de paillettes, le Roi des Lieux surprend dans une caméra de surveillance une blonde somptueuse, irrésistible amazone à la robe
pailetée d’or, qui jette des jetons en éclatant de
rire.
Subjuguante image.
Ginger – Sharon Stone, plus que sublime, avec ce
seul role elle est rentrée dans l’histoire du cinéma – en vrai,
qu est-ce sinon une illusion, une femme à la dérive, destructrice et autodestructrice. Image de la star, de la femme
parfaite, de la beauté sans pareille, elle devient Madame Rothstein. Et à partir de l
a, tout l’édifice construit sur du bric et du broc et de la magouille va
lentement imploser.
Le ver est dans le fruit.
Ce personnage de la putain tragique, un des
personnages féminins les plus stupéfiants que le
cinéma américain nous ait livré ces dernières années, est comme le symbole même de cette Amérique bon teint en apparence, ces vestales plantureuses qui hantent
les magazines, incarnations de la perfection aux yeux d’un public avide de chair fraiche. Ginger – le prénom en soi est une clef -, profondément névrosée, porte en sa chair son propre poison en la personne de son ancien
souteneur – James Wood, parfait – et de fait de son incapacité à couper ce lien vénéneux ne peut que plonger et faire plonger son entourage. Drogues,
alcools, excès, scènes d’hystérie, tromperies, larmes, tout, elle va tout faire subir à cet homme qui a fait d’elle une
femme riche. La violence conjugale dès lors ne
peut devenir que le dernier rempart, et après avoir cent fois tenté de l’aider contre elle-même à refaire surface, le mari qui entendait la posséder va littéralement l’éjecter en la
trainant par les cheveux hors de cette immense et désespérante villa qui abrite le désastre de
leur couple.
La déchéance de Ginger est comme le reflet de la déchéance d’un monde entièrement factice, au sein duquel cette femme profondément sincère en dépit de tous
les arrangements avec la vérité et les larcins qu’elle commet –
elle est une voleuse de haut vol de métier - ne
peut qu’étouffer. Voir comment Stone, totalement livrée à ses démons, se donne face caméra est
proprement vertigineux. Tout se lézarde jusqu’à la morale la plus élémentaire, la scène ou elle
taille une pipe au meilleur ami de son mari, la manière dont il la maltraite, ce petit cri avec lequel elle essaie de se dérober à l’indécence pour finalement y céder faute de
forces, Scorcese plonge vraiment dans l’abjection des
etres sans foi ni lois et jamais ne juge ces personnages tragiques qui tous
vont mourir.
Il y a dans la dernière heure, parfois suffoquante, de cet opéra macabre ou l’on rit
heureusement parfois, hyper rythmé dans sa
première partie et absolument terrifiant dans sa toute fin, probablement les
séquences les plus fortes qu’ait jamais
tournées un des plus grands cinéastes US
actuels. Le trop-plein puis le vide et la mort – voilà, c’est ca, le fric.
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