Trelkovsky,
émigré polonais récemment naturalisé et petit employé de bureau solitaire à
Paris, parvient à surmonter sa timidité pour louer dans un bel immeuble un
appartement dont l'ex-locataire, mademoiselle Choule, vient de succomber à une
énième tentative de suicide. Le propriétaire des lieux, le très strict mais
accueillant monsieur Zy, lui recommande d'observer le plus grand silence, par
respect pour le voisinage. Les réels efforts de Trelkovsky pour se conformer à
cette demande restent vains. Ses voisins l'accablent de reproches infondés,
bientôt suivis d'innombrables vexations. Le pauvre locataire ne sait bientôt
plus à quel saint se vouer...
Apres
Répulsion et Rosemary s baby, 3eme incursion de Polanski dans le genre paranoïa
en appartement ! Cette fois à Paris avec Roman en personne dans le rôle
clef – ou il excelle. Dans cet univers à la Kafka – que le metteur en scène
adaptera brillamment au théâtre un peu plus tard – tout est étouffant, tout est
inquiétant, bizarre, le moindre évènement du quotidien semble décalé et fait frémir,
les voisins, la concierge, le propriétaire – tous complotent contre cet immigré
taciturne et réservé et veulent lui faire prendre la place d'une suicidée.
Film
sur la paranoïa galopante, ce Locataire
est une plongée dans un esprit malade progressivement gagné par la peur de l'autre,
cet autre qui lui renvoie en permanence son altérité d'étranger. Simple
locataire sans autre droit que de payer un loyer à un riche vieux propriétaire
profondément raciste, ce polonais effrayé en permanence par tout, qui entend
des bruits dans sa tête, frémit à peine un pied posé dans ce cagibis qu’on lui
loue cher, qui voit des fantômes dans les toilettes en face de son appartement
et s'identifie peu a peu à une morte jusqu’à se travestir symbolise et incarne
la terreur qu’il y a à vivre seul dans une ville pieuvre ou chacun vit pour soi
contre les autres, sans respect et sans amour. Littéralement enfermé chez lui,
en lui et en sa folie, cette folie que tous les autres selon lui veulent faire
croitre, le personnage développe une imagination débordante et créée de toutes pièces
un univers mental absolument terrifiant ou les sons grincent et les visages se déforment.
L'univers
claustrophobique du film, addition de bizarreries cocasses et de vulgarité affirmée
par tous ces voisins franchouillards – le personnage de la concierge jouée par
la grande Shelley Winters, qui se présente sous un jour fort peu avantageux,
est parmi les plus incroyables -, procède par paliers et met le spectateur sous
étau. Le suspens et le grinçant font de plus en plus place au malsain et au
morbide, de décalé le climat devient pesant, presque étouffant, et la terreur
progressivement s'installe par processus d'identification au personnage de
Polanski – alias Simone Choule.
Isabelle
Adjani, ici grimée en névrosée soixante-huitarde obsédée, fait quelques allées
et venues et s'ajoute à la distribution de protagonistes tous aussi détraqués
les uns que les autres. Mine de rien, le miroir que nous tend ce drôle de Roman
fait peur, difficile de ne pas avouer qu’il marque des points, qu’il n'y a pas
un peu de vrai dans ce miroir déformant du parisien moyen, veule, égoïste et
raciste. Il doit j'imagine savoir de quoi il parle.
Ce
cinéaste de l'étrange et du bizarre n'a pas son pareil, c'est à mon sens la force
du regard dit slave sur l'occident, pour faire grincer des dents. Polanski l'homme
fut et demeure un homme controversé, un provocateur narquois et ricaneur, un
authentique artiste aussi, avec un regard absolument unique sur notre monde,
qui aura fait de lui à la fois un puissant et une victime, quelqu'un qu’encore
aujourd’hui on aime accuser de tous les maux, jusqu’à l'assassinat de sa femme
Sharon Tate, et le viol d'une adolescente dans les années 70 qui lui a pourtant
pardonné depuis des lustres.
Tel
est le sort de certains grands, être désigné par la populace comme des
assassins, être raillé et être injurié. La réponse de l'artiste à ceux-ci, à
ces juges autoproclamés, elle est toute contenue dans ce génial Locataire, et le moins qu’on puisse
dire c est qu’elle est sacrément bien tournée !
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