Un
auteur célèbre de romans policiers invite dans sa propriété l’amant de sa femme
et lui propose de simuler un cambriolage pour toucher l’argent de l’assurance.
Ultime
film, ultime chef d'œuvre de l'immense Joseph Mankiewicz adapté de la pièce de théâtre d'Anthony Schaeffer, Le limier propose sur le modèle des romans d'Agatha Christie un jeu de l'oie en forme de labyrinthe – lequel
labyrinthe, parfaite métaphore du scénario,
ouvre le film – avec un brillantissime et vertigineux exercice de style autour
de la question majeure des films policiers. Qui manipule qui. Y a t-il
au-dessus du marionnettiste un autre, la marionnette ne serait-elle pas aux
commandes. Et ce jusqu’au final.
Un
des deux personnages principaux – Laurence Olivier – est auteur de policiers,
esprit froid, calculateur, alchimiste d'intrigues
alambiquées très british au sein desquelles la morale est toujours non
seulement bafouée mais secondaire. Seuls le canevas, la construction, la malignité,
l'astuce, le
double-fond comptent. L'illusionniste se doit
de cacher les ficelles de la réalité des êtres dépeints, seul le meurtre et son
élucidation, complexes forcément, comptent. Ainsi
que mettre le lecteur dans le jeu, titiller son intelligence et son flair, le
conduire vers des impasses, jouer de ses nerfs comme on joue aux soldats de
plomb.
Ici,
convoquant un moins que rien par ailleurs amant de sa femme, il s'en va faire pénétrer en son domaine ce
qui à ses yeux est un demeuré
pour le piéger,
lequel de pure marionnette spectatrice à son insu d'un jeu dont il ne maitrise pas grand
chose s'en va à son tour se
jouer de son manipulateur et tacher de prendre le stylo de romancier. C'est-à-dire prendre le contrôle d'une intrigue qui n'est pas sienne, la retourner en sa
faveur et s'essayer à enfermer le
scénariste machiavélique dans les rets de son intrigue.
Il
y a dans ce duel de cerveaux tortueux un défi qui a à voir avec le jeu d'échecs. On frôle le mat à plusieurs
reprises, mais chaque fois l'intrigue rebondit là
ou on ne l'attendait point,
renversant une fois encore les rôles. Précipitant son spectateur au cœur du
combat, Mankiewicz en fait dans son huis-clos un protagoniste à part entière
lui aussi jouet des deux et uniques personnages, lesquels l'enferment à deux dans le labyrinthe de
leurs fleurets mouchetés.
Il
y a là une grande perversion qui a à voir avec le voyeurisme, le désir de se
projeter dans l'écran propre au cinéma,
l'envie de quitter la passivité
de tout spectateur. Chacun joue et se joue de nous, nous qui d'entre les deux tachons de designer un
coupable et une victime parce que tel est le jeu dit classique, n'allons-nous pas in fine découvrir que
seuls nous qui sommes en train de saisir les pions laissés sur l échiquier pour à notre tour les
y poser – c'est-à-dire oser nous
engager dans la partie en cours – SOMMES la seule et unique victime de ce jeu
de dupes.
Ou
l'un des plus brillants
scénaristes du cinéma hollywoodien – ici simplement metteur en scène – tire sa révérence
sur un énorme éclat de rire à notre sujet.
Vois
comme moi fin limier, en t'indiquant des l'ouverture, par ce plan au-dessus d'un labyrinthe, je me suis deux heures
durant amusé à t'y perdre. Voilà mon ultime œuvre achevée,
spectateur. A toi maintenant sans moi de parvenir à en sortir, de ce
labyrinthe, et de rentrer chez toi. Tu t'es
cru plus fort, suffisamment intelligent pour … Tu as pris un plaisir infini
dans ce jeu que je t'ai proposé. Paie-en donc le prix !
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