dimanche 29 avril 2018

Chefs d’oeuvre du 7ème art - Le limier



Un auteur célèbre de romans policiers invite dans sa propriété l’amant de sa femme et lui propose de simuler un cambriolage pour toucher l’argent de l’assurance.

Ultime film, ultime chef d'œuvre de l'immense Joseph Mankiewicz adapté de la pièce de théâtre d'Anthony Schaeffer, Le limier propose sur le modèle des romans d'Agatha Christie un jeu de l'oie en forme de labyrinthe – lequel labyrinthe, parfaite métaphore du scénario, ouvre le film – avec un brillantissime et vertigineux exercice de style autour de la question majeure des films policiers. Qui manipule qui. Y a t-il au-dessus du marionnettiste un autre, la marionnette ne serait-elle pas aux commandes. Et ce jusqu’au final.

Un des deux personnages principaux – Laurence Olivier – est auteur de policiers, esprit froid, calculateur, alchimiste d'intrigues alambiquées très british au sein desquelles la morale est toujours non seulement bafouée mais secondaire. Seuls le canevas, la construction, la malignité, l'astuce, le double-fond comptent. L'illusionniste se doit de cacher les ficelles de la réalité des êtres dépeints, seul le meurtre et son élucidation, complexes forcément, comptent. Ainsi que mettre le lecteur dans le jeu, titiller son intelligence et son flair, le conduire vers des impasses, jouer de ses nerfs comme on joue aux soldats de plomb.

Ici, convoquant un moins que rien par ailleurs amant de sa femme, il s'en va faire pénétrer en son domaine ce qui à ses yeux est un demeuré pour le piéger, lequel de pure marionnette spectatrice à son insu d'un jeu dont il ne maitrise pas grand chose s'en va à son tour se jouer de son manipulateur et tacher de prendre le stylo de romancier. C'est-à-dire prendre le contrôle d'une intrigue qui n'est pas sienne, la retourner en sa faveur et s'essayer à enfermer le scénariste machiavélique dans les rets de son intrigue.

Il y a dans ce duel de cerveaux tortueux un défi qui a à voir avec le jeu d'échecs. On frôle le mat à plusieurs reprises, mais chaque fois l'intrigue rebondit là ou on ne l'attendait point, renversant une fois encore les rôles. Précipitant son spectateur au cœur du combat, Mankiewicz en fait dans son huis-clos un protagoniste à part entière lui aussi jouet des deux et uniques personnages, lesquels l'enferment à deux dans le labyrinthe de leurs fleurets mouchetés.

Il y a là une grande perversion qui a à voir avec le voyeurisme, le désir de se projeter dans l'écran propre au cinéma, l'envie de quitter la passivité de tout spectateur. Chacun joue et se joue de nous, nous qui d'entre les deux tachons de designer un coupable et une victime parce que tel est le jeu dit classique, n'allons-nous pas in fine découvrir que seuls nous qui sommes en train de saisir les pions laissés sur l échiquier pour à notre tour les y poser – c'est-à-dire oser nous engager dans la partie en cours – SOMMES la seule et unique victime de ce jeu de dupes.

Ou l'un des plus brillants scénaristes du cinéma hollywoodien – ici simplement metteur en scène – tire sa révérence sur un énorme éclat de rire à notre sujet.

Vois comme moi fin limier, en t'indiquant des l'ouverture, par ce plan au-dessus d'un labyrinthe, je me suis deux heures durant amusé à t'y perdre. Voilà mon ultime œuvre achevée, spectateur. A toi maintenant sans moi de parvenir à en sortir, de ce labyrinthe, et de rentrer chez toi. Tu t'es cru plus fort, suffisamment intelligent pour … Tu as pris un plaisir infini dans ce jeu que je t'ai proposé. Paie-en donc le prix !


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