Le
palais de justice de Rouen, en 1431, vit un événement historique. Un tribunal
ecclésiastique présidé par l'évêque Cauchon et tout acquis aux Anglais juge
Jeanne d'Arc, l'audacieuse petite Lorraine qui écouta les injonctions du
Seigneur, convainquit le sire de Baudricourt de la mener jusqu'à Chinon, sut
démêler d'entre les courtisans le dauphin de France, méfiant et cauteleux, prit
la tête de ses armées et parvint à rendre au Valois le royaume que les Anglais
lui avaient ravi. Faite prisonnière par les Bourguignons, vendue à ses ennemis,
abandonnée par ses amis, elle affronte des clercs hypocrites et verbeux, armée
de sa seule mais lumineuse simplicité...
Avec
ce pur chef d'œuvre, l'immense Carl Theodore Dreyer interroge
sur l'essence-même du cinéma,
ici muet – le film date de 1928. Qu’est-ce que le cinéma sinon l'art d'agencer ombres et lumière. Dans cet
hymne à la victoire de l'ame sur l'être, la lumière prédomine et écrase l'ombre. Littéralement. La lumière qui se
dégage de ce visage de Jeanne, de ce regard parfois voilé de perles de larmes mais pénétrant au
point – les gros plans abondent – de capter du dedans la lumière de l'ame et d'en faire un projecteur d émotions –
cette Lumière, spirituelle, divine, Lumière du Cinéma, celle-là recouvre d'ombres ces petits juges puissants d'ici-bas et ici pratiquement toujours
filmés en contre-plongée
tels des nains aux yeux exorbités.
Cette
passion, celle de cette Jeanne qui fut quatre ans plus tôt canonisée par l'Eglise, elle se vit donc tel un
reportage suivant scrupuleusement le procès qui lui fut fait. A partir du et
des visages dont les pores, jusqu’à la plus infime goutte de transpiration sont
saisis par une caméra mettant de part l éclairage
choisi TOUT EN LUMIERE. La geôle est simplement quatre murs blanchis et des barreaux
mais la geôle en soi n'emprisonne guère que
l'être et non point l'ame. De même que le feu et que les
flammes, tandis que le plan demeure fixe sur le visage et sur le regard de l'ame, ne flambent guère qu’une
enveloppe.
Jeanne
ce fut et ce demeure Renée Falconetti, actrice de boulevard que Dreyer découvrit
émerveillé un jour, une quasi inconnue. L'entente
entre le réalisateur et sa muse fut pleine et entière. Cette Passion propose
une aventure, prodigieusement émouvante pour ne pas dire bouleversante, autour
d'un visage. Peintre et
sculpteur de légères crevasses au cœur d'un
visage de lumière, Dreyer façonne et se laisse fasciner par l'immense et vertigineuse puissance qui
se dégage du moindre frémissement de la pate à filmer qu’est Falconetti. Dont
le plus léger mouvement d'ame se donne littéralement
à vivre sur la pellicule. Face à pareil spectacle minimaliste, le spectateur,
celui de 1928 comme celui de 2018, est pris de sidération. Nous sommes face à
une passion authentique, c'est-à-dire une
incarnation à meme la peau saisie de la souffrance à l'état pur. Une épreuve saisissant le
corps pour mieux en détacher l'ame.
Laquelle
demeure Lumière.
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