Une très belle femme, outrageusement maquillée,
à califourchon sur un homme ensanglanté. A qui – nous sommes sur le plateau de
tournage d’un film porno – une harpie hurle de dire JE T’AIME. Les sons restent
bloqués, l’actrice ne parvient pas à dire ces mots tant cette situation dégradante
la heurte, et la metteur en scène, déchainée, la houspille, lui sort le coup du
contrat signé. Jusqu’à ce que l’actrice – la sublime Romy Schneider dans son
plus beau rôle – remarque un photographe dont le viseur la scrute. Et elle
craque, fond en larmes, Non ne faites pas de photos, je suis comédienne, ici je
fais ca pour bouffer c’est tout alors s’il vous plait ne faites pas de photos.
L’introduction, sidérante, bouleversante
de cet Important c’est d’aimer,
second film du génial Andrzej Zulawski, a marqué en profondeur la quasi totalité
de son auditoire. Quel film a jamais commence de manière aussi brute, à peine
assis que l’émotion vous submerge, le visage de la sublime Romy se décompose,
les larmes coulent, son regard bleu se perd dans les abimes du désespoir et de
la honte.
Ce pur chef d’œuvre noir au delà-de tout
reprend le pitch d un petit roman bourgeois signé Christopher Franck, La nuit américaine, un de ces petits
romans comme on les aime tant chez Galligrasset. L’explose à la dynamite, ne
retient rien que le triangle amoureux. Soient Nadine Chevallier, actrice de
pornos totalement paumée, actrice ratée et femme boulersante, son mari Jacques
Servais – Dutronc, prodigieux Pierrot Lunaire dans sa 2e apparition
sur grand écran -, sorte de cinéphile quelque peu fêlé et suicidaire, et l’amant
le photographe, le beau Fabio Testi, acteur de westerns italiens, amoureux fou
mais ne sachant guère aimer et donc le dire.
Le cheminement va être celui vers ces
mots, ressentis et donc prononcés par elle à lui qui in fine prendra la place
de … Et donc de la consommation des corps propre au porno vulgaire à la révélation
des sentiments et à la capacité à dire JE T’AIME.
Le monde décrit par Zulawski, celui du
Paris des années 70, est celui de la déchéance et de la corruption. Une ville
ou règnent des démons, ce personnage joué par Claude Dauphin et celui de sa
femme, authentiques maquereaux qui font travailler le père de Servais ainsi que
ce dernier sur ce qu’il y a de plus putride, partouzes et chantages, vieille
lesbienne dégénérée sodomisant une jeune femme droguée avec un gode
ceinture. Trash, extrêmement violent et
perturbant, le monde ainsi posé est une fosse à purin ou pour quelques billets
l’on va descendre dans les abimes de la nature humaine dans ce qu’elle a de
plus vil.
Le cadeau – caché – c est-a-dire l’hameçon
tendu à Nadine par son photographe éperdu sera
un rôle, celui de Lady Anne dans le Macbeth
de Shakespeare. Mis en scène par un homosexuel à moitié
fou, compagnon de l’acteur principal de la pièce joué
par un Klaus Kinsky totalement possédé, homme qui dans la vie était
profondément décadent, demandez donc à Nastasia sa fille ou au cinéaste
Werner Herzog qui voulut le faire assassiner sur le tournage de son film Fitzcarraldo.
La pièce sera un four, Nadine se verra
odieusement par un critique du Figaro renvoyer son passé
porno en pleine figure, Jacques D. se suicidera dans les toilettes d’un
bar dans un déluge de bave et l’amant rentrera en scène.
Tableau terrible, terriblement juste, d’un
occident en proie au matérialisme le plus abject ou le beau est pulvérisé et l’infect
mis au pinacle, ce diamant noir L’important
c’est d’aimer est un maelstrom d’émotions
fortes, violentes, choquantes ou les acteurs se donnent à
fond jusqu’a la suffocation. La mise en scène
caméra à l’épaule est tellement rentre-dedans et
les sentiments extrêmes que nombreuses sont les crises de larmes pendant la
projection, à la fin surtout. Besoin de reprendre
son souffle et de retrouver espoir tant le miroir tendu est impitoyable.
Au fond de la cuvette des chiottes deux
cœurs purs brinquebalés par un monde hyper violent jusqu’a ce que dans le
cloaque ils parviennent ensanglantes à se dire JE T’AIME.
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