vendredi 22 décembre 2017

La bombe Dalle




C’était en 1986, le SIDA venait d’apparaitre mais on était (j’avais 21 ans) dans une décennie de conquête de libertés. On s’était adolescents unis sur des slows avec la Sophie Marceau de la Boum, on avait ensuite frémi à la tristesse de Sandrine Bonnaire dans A nos Amours. Quand, en 1986, sortit la bombe 37,2 le matin, 3eme film de Jean-Jacques Beineix, l’auteur à la mode de Diva.

Avec Jean-Hugues Anglade, l’homme blessé de Patrice Chéreau, qui ici irradiait. Et une petite nouvelle, qui dès sa première scène envoya valdinguer tous les codes de convenance, tant sur l’écran que dans ses apparitions et interviews : Béatrice Dalle. La bombe Béatrice Dalle.

Découverte par le passeur d’étoiles Dominique Besnehard, originaire de Brest (ah nos amis bretons, pas des mous !), Béatrice Dalle, alors fort jeune, devint pour la presse la nouvelle Bardot, et pour ma génération la quintessence de l’amour fou et de la liberté jusqu’auboutiste. Incarnation d’une époque prête à tout pour s’affirmer, cette Betty, comme son interprète incandescente, ne supportait ni les contraintes, ni les normes, ni les compromis. Irradiante de bonheur, amoureuse jusqu’à la folie, elle devint, bien plus que Bardot, comme le symbole d’une jeunesse qui se donne à perte de vie à fond à l’heure, contre tout ce que l’esprit bourgeois peut tacher de vouloir contenir.

Au moment même où l’on commençait à mourir d’amour, le cinéma nous offrait une héroïne qui ne vivait que pour et par lui.

Si différente de toutes les actrices l’ayant en France précédée, tant son refus des convenances allait au-delà de tout ce qu’on n’avait jamais vu, la toute jeune Béatrice (revoyez sa scène d’essai pour 37,2 : absolument irrésistible ! et qu’est-ce qu’elle est mignonne avec son polo marin !) devint à la fois emblème et objet de scandale, de celles à propos desquelles le spectateur raisonnable aime se gausser et juger. Ne comprenant guère, le malheureux, que les astres n’ont rien à voir avec le commun des mortels, et que chacun d’entre eux, je parle des authentiques, ne ressemble par définition à aucun de ceux qui l’ont précédé. 

Béatrice Dalle ou l’étalon-mesure de la tolérance ambiante …

Apres ce triomphe, les chemins empruntés par la jeune autodidacte au parfum de scandale prirent (si l’on passe sur son second film qu’elle renia et qu’aussi je ne citerai point) une direction plus que surprenante pour les amateurs de potins : celle des auteurs les plus exigeants, à la limite de la marge pour certains. 

Dès La sorcière de Marco Bellocchio, la route fut tracée : loin des facilités du Box Office, Béatrice Dalle, film après film, construisait sa légende en associant son nom a tout ce que le cinéma français d’abord, international ensuite, comptait de découvreurs et d’artistes underground : Jacques Doillon (La vengeance d’une femme : superbe duo avec Isabelle Huppert), la géniale Claire Denis (trois films ensemble), Olivier Assayas, Christophe Honoré, Jim Jarmush, Abel Ferrara et Michael Haneke (excusez du peu). Des auteurs, des vrais, pas forcément populaires mais vraiment en avance sur leur temps pour beaucoup, ayant en cette muse à nulle autre pareille reconnu un diamant capable tantôt d’illuminer tantôt d’assombrir.

Car Béatrice Dalle, telle un Depardieu au féminin, incarne et ne joue point, c’est-à-dire se lance et donne son corps sans filet s’il le faut. Loin d’être technique, son jeu qui n’en est pas un est dans certaines expériences limites (qu’elle est la seule à oser – comme un complément underground / avant-garde d’Adjani) est capable de donner le vertige. Cannibale dans Trouble Every day de Claire Denis (chef d’œuvre !) ou meurtrière assaillante terrifiante dans A l’intérieur de Julien Maury : qui d’autre est capable d’aller aussi profondément dans les enfers, je ne vois pas.
Souvent retenue car correspondant aux clichés bourgeois à propos d’une actrice que la rumeur se complait à rejeter dans la marge, cette face-là d’une interprète authentique jusqu’au bout des ongles a parfois tendance à masquer l’autre versant, celui qui se résume en un personnage incarné chez Lelouch (La belle histoire), sans doute l’un des plus beaux personnages féminins qui soient, et à mon sens la traduction la plus juste de Béatrice Dalle dans la vie de tous les jours, à savoir Marie Madeleine.

Car cette Maria Magdalena, qui est-elle sinon outre la prostituée sublime, c’est à dire l’incarnation de ce qu’une société corsetée aime autant utiliser que mépriser sous cape, que la plus fidèle des serviteurs d’un sacré bonhomme qui mourut pour nous autres sur la croix ? Tous l’ayant fui, qui reste-t-il à ses pieds sinon elle, cette amoureuse non pas éperdue mais sans peurs, sans filtres, sans faux semblants ? Dans tous les personnages incarnés par cette actrice que je suis avec admiration depuis trente ans, de Betty à Lucrèce Borgia, je ne vois guère qu’elle, cette Marie- Madeleine, sous différents visages, depuis les plus rayonnants jusqu’aux plus troubles, un peu comme un kaléidoscope capable à partir d’un seul être, que ce soit sur un écran ou sous les objectifs des plus grands photographes, d’éclairer de mille façons différentes un monde enkysté de faux-semblants.

Cette Marie-Madeleine auquel Béatrice, dans le dernier Claude Lelouch, le merveilleux Chacun sa vie, offre une magistrale interprétation. Une Marie Madeleine de type putain à l’ancienne, comme un personnage du cinéma français des années 50, la chouette nana qui te reçoit chez elle dans une jolie maison, qui te soigne, te fait causette, te fait mille petites gâteries et te raccompagne dans un sourire sur le seuil. Une Marie Madeleine qui se décide enfin à raccrocher et à s’occuper uniquement d’elle-même, et qui pour la dernière fois reçoit à demeure un de ses clients fidèles, lequel lui fait la déclaration du siècle et lui demande sa main. Qu elle refuse pour conserver sa liberté, lui disant cash les choses, avec humour, beaucoup d’humour, mais, surtout, et c’est vraiment ce qui contre toutes les incompréhensions envers une femme assumant son gout pour la provocation résume une des deux ou trois plus grandes actrices que nous ayons en France : un humanisme épris de  bienveillance.


1 commentaire:

  1. Magnifique, irradiante Béatrice Dalle, elle a brulé sa chandelle par les deux bouts, comme je la comprends moi qui ne suis qu'une modeste auteure. Merci Christophe Cros Houpion pour nous offrir cette incarnation de Marie Madeleine qui lui sied très bien, amitié, Nadège Gleize

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