C’était en 1986, le SIDA venait d’apparaitre mais on était
(j’avais 21 ans) dans une décennie de conquête de libertés. On s’était
adolescents unis sur des slows avec la Sophie Marceau de la Boum, on avait ensuite frémi à la tristesse de Sandrine Bonnaire
dans A nos Amours. Quand, en 1986, sortit
la bombe 37,2 le matin, 3eme film de Jean-Jacques Beineix, l’auteur à la mode de
Diva.
Avec Jean-Hugues Anglade, l’homme blessé de Patrice Chéreau, qui ici irradiait. Et une petite
nouvelle, qui dès sa première scène envoya valdinguer tous les codes de
convenance, tant sur l’écran que dans ses apparitions et interviews : Béatrice
Dalle. La bombe Béatrice Dalle.
Découverte par le passeur d’étoiles Dominique Besnehard,
originaire de Brest (ah nos amis bretons, pas des mous !), Béatrice Dalle,
alors fort jeune, devint pour la presse la nouvelle Bardot, et pour ma génération
la quintessence de l’amour fou et de la liberté jusqu’auboutiste. Incarnation d’une
époque prête à tout pour s’affirmer, cette Betty, comme son interprète
incandescente, ne supportait ni les contraintes, ni les normes, ni les
compromis. Irradiante de bonheur, amoureuse jusqu’à la folie, elle devint, bien
plus que Bardot, comme le symbole d’une jeunesse qui se donne à perte de vie à
fond à l’heure, contre tout ce que l’esprit bourgeois peut tacher de vouloir
contenir.
Au moment même où l’on commençait à mourir d’amour, le cinéma
nous offrait une héroïne qui ne vivait que pour et par lui.
Si différente de toutes les actrices l’ayant en France précédée,
tant son refus des convenances allait au-delà de tout ce qu’on n’avait jamais
vu, la toute jeune Béatrice (revoyez sa scène d’essai pour 37,2 :
absolument irrésistible ! et qu’est-ce qu’elle est mignonne avec son polo
marin !) devint à la fois emblème et objet de scandale, de celles à propos
desquelles le spectateur raisonnable aime se gausser et juger. Ne comprenant guère,
le malheureux, que les astres n’ont rien à voir avec le commun des mortels, et
que chacun d’entre eux, je parle des authentiques, ne ressemble par définition à
aucun de ceux qui l’ont précédé.
Béatrice Dalle ou l’étalon-mesure de la tolérance
ambiante …
Apres ce triomphe, les chemins empruntés par la jeune
autodidacte au parfum de scandale prirent (si l’on passe sur son second film qu’elle
renia et qu’aussi je ne citerai point) une direction plus que surprenante pour
les amateurs de potins : celle des auteurs les plus exigeants, à la limite
de la marge pour certains.
Dès La sorcière de Marco Bellocchio, la route
fut tracée : loin des facilités du Box Office, Béatrice Dalle, film après
film, construisait sa légende en associant son nom a tout ce que le cinéma français
d’abord, international ensuite, comptait de découvreurs et d’artistes
underground : Jacques Doillon (La
vengeance d’une femme :
superbe duo avec Isabelle Huppert), la géniale Claire Denis (trois films ensemble),
Olivier Assayas, Christophe Honoré, Jim Jarmush, Abel Ferrara et Michael Haneke
(excusez du peu). Des auteurs, des vrais, pas forcément populaires mais
vraiment en avance sur leur temps pour beaucoup, ayant en cette muse à nulle
autre pareille reconnu un diamant capable tantôt d’illuminer tantôt d’assombrir.
Car Béatrice Dalle, telle un Depardieu au féminin,
incarne et ne joue point, c’est-à-dire se lance et donne son corps sans filet s’il
le faut. Loin d’être technique, son jeu qui n’en est pas un est dans certaines expériences
limites (qu’elle est la seule à oser – comme un complément underground /
avant-garde d’Adjani) est capable de donner le vertige. Cannibale dans Trouble Every day de Claire Denis (chef
d’œuvre !) ou meurtrière assaillante terrifiante dans A l’intérieur de Julien Maury : qui d’autre est capable d’aller
aussi profondément dans les enfers, je ne vois pas.
Souvent retenue car correspondant aux clichés bourgeois à
propos d’une actrice que la rumeur se complait à rejeter dans la marge, cette
face-là d’une interprète authentique jusqu’au bout des ongles a parfois
tendance à masquer l’autre versant, celui qui se résume en un personnage incarné
chez Lelouch (La belle histoire),
sans doute l’un des plus beaux personnages féminins qui soient, et à mon sens
la traduction la plus juste de Béatrice Dalle dans la vie de tous les jours, à
savoir Marie Madeleine.
Car cette Maria Magdalena, qui est-elle sinon outre la prostituée
sublime, c’est à dire l’incarnation de ce qu’une société corsetée aime autant
utiliser que mépriser sous cape, que la plus fidèle des serviteurs d’un sacré
bonhomme qui mourut pour nous autres sur la croix ? Tous l’ayant fui, qui reste-t-il
à ses pieds sinon elle, cette amoureuse non pas éperdue mais sans peurs, sans
filtres, sans faux semblants ? Dans tous les personnages incarnés par
cette actrice que je suis avec admiration depuis trente ans, de Betty à Lucrèce
Borgia, je ne vois guère qu’elle, cette Marie- Madeleine, sous différents
visages, depuis les plus rayonnants jusqu’aux plus troubles, un peu comme un kaléidoscope
capable à partir d’un seul être, que ce soit sur un écran ou sous les objectifs
des plus grands photographes, d’éclairer de mille façons différentes un monde enkysté
de faux-semblants.
Cette Marie-Madeleine auquel Béatrice, dans le dernier
Claude Lelouch, le merveilleux Chacun sa
vie, offre une magistrale interprétation. Une Marie Madeleine de type
putain à l’ancienne, comme un personnage du cinéma français des années 50, la
chouette nana qui te reçoit chez elle dans une jolie maison, qui te soigne, te fait
causette, te fait mille petites gâteries et te raccompagne dans un sourire sur
le seuil. Une Marie Madeleine qui se décide enfin à raccrocher et à s’occuper
uniquement d’elle-même, et qui pour la dernière fois reçoit à demeure un de ses
clients fidèles, lequel lui fait la déclaration du siècle et lui demande sa
main. Qu elle refuse pour conserver sa liberté, lui disant cash les choses,
avec humour, beaucoup d’humour, mais, surtout, et c’est vraiment ce qui contre toutes
les incompréhensions envers une femme assumant son gout pour la provocation résume
une des deux ou trois plus grandes actrices que nous ayons en France : un
humanisme épris de bienveillance.
Magnifique, irradiante Béatrice Dalle, elle a brulé sa chandelle par les deux bouts, comme je la comprends moi qui ne suis qu'une modeste auteure. Merci Christophe Cros Houpion pour nous offrir cette incarnation de Marie Madeleine qui lui sied très bien, amitié, Nadège Gleize
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